L’historien Mohamed El Hadi Harèche vient de publier sur sa page Facebook une intéressante contribution sur la langue utilisée en Afrique du Nord du temps de Carthage et de Saint Augustin.
L’Evêque d’Hippone, Annaba aujourd’hui, avait déclaré : « Demandez à nos paysans d’où ils viennent, et ils vous répondront : nous sommes des cananéens ». Cette phrase a suffit pour que les historiens, aussi bien arabes que latins affirment que les nord-africains descendent des cananéens. Cette affirmation est même soutenue par Ibn Khaldoun, faisant des Berbères des descendants des phéniciens, parlant le Punic et non le Berbère.
Mais Mohamed El Hadi Harèche s’étonne de ce que personne n’a jeté un regard plus approfondi sur cette déclaration pour essayer de la comprendre dans son contexte. Car évidement, l’en sortir donnerait une lecture erronée à quiconque tombe dessus. C’est d’ailleurs ce qu’il reproche notamment aux historiens français comme Stéphane Gsell, Emile Félix Gauthiers, ou encore Gabriel Camps, ainsi qu’Ibn Khaldoun dont il a démontré l’erreur historique dans son affirmation de la descendance cananéenne des Berbères.
En effet, après examen de la déclaration de Saint Augustin à qui il rend hommage en reconnaissant sa valeur comme sommité mondiale, il en analyse le contexte historique, notamment en s’appuyant sur d’autres déclarations d’historiens de l’antiquité, comme Procope ou Arnobe le Jeune. Tous les trois semblent donc affirmer que les Berbères parlaient la langue punique, au détriment du libyque, c'est-à-dire, le Tamazight.
Ainsi, le Professeur Harèche démontre en fait que le mot « Punic » pouvait avoir un autre sens que celui auquel on pourrait penser en premier lieu. Il en prend pour témoin, le fait que pour beaucoup, le mot « Maghreb » serait synonyme de celui « d’arabe ». Pour le Professeur, le sens du mot « Punic » devrait être pris dans une dimension beaucoup plus large, pour signifier « Afrique du Nord ». C’est ainsi que les historiens, en fonction de l’époque ou ils vivaient utilisaient des mots différents pour désigner l’Afrique du Nord : Libye, Afrique, Maurétanie, etc,… et aujourd’hui, Maghreb. Les exemples qu’il a pris pour soutenir son affirmation est le fait que les historiens décrivent la langue punique comme celle utilisée dans les régions les plus reculées du Maghreb, jusqu’au fin fonds du désert, avec notamment les Garamantes. Or, historiquement, la langue punique n’était utilisée que dans les grandes villes du nord, et Saint Augustin rapporte que quand il prêchait en Punic, il faisait appel à un interprète pour traduire ces propos dans la langue du peuple. Autrement dit, le Tamazight. Ni à Annaba, ni dans sa banlieue, le peuple ne parlait le Punic, langue réservée à une élite intellectuelle et à l’administration, aux côté du Latin ou du Grec.
Le sens du mot Punic au temps de Saint Augustin voulait-il donc dire « Tamazight » ? Oui, selon le Professeur Harèche, qui s’appuie sur l’étude de documents historiques pour avancer sa thèse. Reste à comprendre comment ces berbères ont appris l’arabe si facilement, au point ou en les pends pour des descendants de Qoreich et du Yemen. La réponse du Professeur n’a pas été claire à ce sujet. Ne s’étant pas étalé sur le sujet, il n’a pas répondu à la question vitale de savoir si les Maghrébins parlent effectivement la langue arabe. Ou bien ne serait-ce pas une confusion du même type qui fait penser que les Maghrébins sont des arabes. Car en effet, si on considère la définition exacte de la langue « arabe », on se rend bien vite compte qu’au Maghreb, la langue utilisée est très éloignée de cette définition. Pour preuve, les arabes eux-mêmes ne la comprennent pas. Il faut, pour communiquer avec eux, passer par l’arabe classique ou littéraire. Car comment expliquer à un arabe ce qu’est une « Tchina », « Sperdina », ou « Nekwa » ? L’intégration de mots d’origine étrangère est courant dans toutes les langues. Et la présence de mots d’origine arabe dans le langage courant au Maghreb ne signifie nullement que sa langue est arabe. Pas plus qu’espagnole ou française, d’ailleurs. Ce qui fait la richesse du tamazight justement, c’est sa capacité à intégrer et assimiler des mots d’origines diverses, et de se les approprier. « Tonobil », « Carrossa » et « L’auto » sont clairement d’origine étrangère, et pourtant, personne au Maghreb ne parle de « Siyara ».
Il y a encore certainement du travail à faire sur cette question, et le travail de Mohamed El Hadi Harèche est une grande avancée pour comprendre l’histoire amazighe, celle de sa langue et aussi de sa culture.
Nabil Z.
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