Toutes les catégories socioprofessionnelles semblent s’être relayées pour manifester leur désir de changement, et par là même, faire connaître haut et fort leurs revendications. Qu’en est-il pour les artistes.
Le célèbre animateur de télévision, Hafid Derradji a appelé les sportifs à rejoindre la foule des marcheurs et ainsi, ne pas se couper de la société. Dans ces moments difficiles, il est important que chaque catégorie de la société se solidarise avec le reste de la population. Ce qui vaut aussi pour les artistes.
Depuis des décennies, le secteur de la culture a été l’un des moins bien lotis dans le budget national. Chaque année, la loi des finances ne réserve à la culture que quelques miettes. Pourtant, alors que les recettes du pays ont substantiellement augmenté durant les premières années de l’ère Bouteflika, celui de la culture n’a pas augmenté en proportion. Les augmentations accordées par le gouvernement étaient à la fois insuffisantes et mal réparties. Durant cette période, deux axes ont été favorisés dans ce qu’on appelait « le développement de la culture ». Le premier était lié à l’infrastructure culturelle, avec la construction de nouveaux bâtiments, tous plus budgétivores les uns que les autres. On a construit et équipé des locaux vides de culture. On a édifié des bibliothèques sans investir dans la formation de leurs personnels, sans enrichir leurs fonds documentaires, et sans rien avoir fait pour susciter l’envie de les fréquenter. Le Ministère de la Culture les a dotées d’une documentation soigneusement sélectionnée pour aller dans le sens de l’idéologie du pouvoir. La plupart de ces livres sont restés inutilisés, se contentant de garnir les rayonnages et les étagères. Ainsi en a été pour les centres culturels, les maisons de la culture et autres organismes sensés participer à la revivification de la culture en Algérie.
L’autre axe qui s’est beaucoup développé, a été celui des festivals. Beaucoup ont été crées, et certains de ceux qui existaient ont ainsi été renforcés. Depuis la célèbre « Année de l’Algérie en France », beaucoup d’argent a été mis pour le développement des festivals en tous genres : musique, chanson, patrimoine, théâtre, cinéma, etc… C’est ainsi que chaque région, chaque wilaya a eu droit à son festival, et tout le monde semblait content.
Cependant, ces festivals extrêmement budgétivores n’ont pas produit grand-chose en matière de développement culturel. On n’a pas vu se développer de grandes troupes de théâtre, une industrie cinématographique ou la réémergence d’une musique du terroir suffisamment intégrée dans le patrimoine public. On a par contre profané Timgad, Djemila et d’autres sites archéologiques qui, au lieu d’être protégés pour les préserver, ont été ouverts au commerce culturel de façon dangereuse, portant ainsi atteinte à ce patrimoine ancestral.
Les plus grands perdants dans cette politique, en plus de la culture profonde du pays, ce furent les artistes. Ainsi, l’argent qui a coulé à flots a été soigneusement distribué à un certain nombre d’entre eux qui, d’une façon ou d’une autre ont chanté au profit du pouvoir. Des millions de dinars rien que pour un gala de musique de telle star, argent qui disparaît sans produire de « petits ». Une fois les projecteurs éteints, la page est tournée, et d’autres millions iront financer d’autres spectacles qui à leur tour seront stériles. Les « petits artistes » - petits par leur surface financière et non par leur talent- ont continué à peiner pour trouver un espace d’expression leur permettant de faire connaitre leurs œuvres et ainsi gagner leur vie. Le système de répartition des budgets a été ainsi conçu de manière à faire dépendre les artistes du Ministère de la Culture. On les a habitués à recevoir des miettes et de plus en plus, en dépendre pour vivre. L’esprit créatif a été étouffé et désormais, la plupart de ces musiciens, dramaturges par exemple, ont cessé de créer pour faire dans la reproduction, adaptation et copiage. Les véritables créateurs, ceux qui sortent du moule officiel ont carrément été marginalisés, ignorés sinon combattus.
Cette distribution de la manne a également été utilisée pour détourner l’argent public de façon éhontée. La « tchippa » est devenue reine, et des fortunes se sont constituées sur le dos des artistes. Une des choses qui ont été supprimées ces dernières années fut évidement tout ce qui restait de cette manne et qui aurait pu être utilisé pour assurer la formation artistique et la préparation de la relève et la révélation des jeunes talents. On a vu des « Directions de la Culture » peiner pour trouver de l’argent par exemple pour faire le plein d’essence dans les voitures de service. Des salles de cinéma privées de moyens pour remplacer des lampes grillées ou réparer des projecteurs. Des salles d’exposition qui ne pouvaient pas offrir suffisamment de chevalets pour exposer des tableaux, etc… des artistes attendre plus d’une année pour toucher un misérable cachet, tout juste suffisant pour vivre quelques jours… Le secteur est ainsi tombé dans la pauvreté, voire, la misère, malgré tout l’argent encore disponible. Le Ministère de la Culture continuait à vivre dans un certain faste, notamment au profit d’artistes étrangers « amis »…
Si nos artistes veulent voir les choses changer, il est temps de mettre fin à cette politique. Il est temps de mettre en place une politique ambitieuse, tournée vers la création en vue de former des générations capables de mettre en valeur notre patrimoine culturel, le revivifier, le développer et le faire connaître, aussi bien au niveau national qu’à l’étranger. Les artistes doivent se prendre en main. Et pour cela, une simple manifestation sur les marches du TNA est loin de suffire. Il faut crée une synergie de toutes ces initiatives en vue de définir un objectif clair à atteindre, ainsi que les moyens de le faire, tout en veillant sur les modalités de son exécution.
Il ne s’agit pas de marcher pour marcher. Il faut donner du contenu à cette démarche, et qu’elle s’inscrive dans l’actuel mouvement national pour rationaliser les ressources et les moyens. Enfin, il faut éviter de marcher « contre » le système actuel. L’ensemble du peuple le fait suffisamment. Il faudrait envisager de marcher « pour » un nouveau système. Car c’est dans l’avenir que réside l’espoir.
Nabil Ziani
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