André Chouraqui était un juif d’Ain Timouchent en Algérie. Il est devenu célèbre suite à ses traductions de la Bible et du Coran.
La famille de Nathan André Chouraqui est venue s’installer en Afrique du Nord, après avoir quitté Israël, il y a de cela près de mille ans. D’ailleurs, dans son livre « l’Amour fort comme la mort » où il raconte sa vie passée en Algérie, André explique que l’origine de son nom vient du mot « Cherq », c’est-à-dire l’Orient. Sa famille a été appelée ainsi, parce qu’elle venait de l’Orient.
André Chouraqui est né en 1917, en pleine Grande Guerre. En parallèle avec l’école républicaine ou il a d’excellent résultats scolaires, il étudie l’arabe, l’hébreu et la Torah. Quand il a obtenu son baccalauréat, ses parents décident qu’il devait étudier le droit en France. Quand la deuxième Guerre Mondiale éclate en 1939, il rejoint la résistance. Après la Guerre, il rentre en Algérie, où il exerce comme juge à la cour d’appel d’Alger. Il est ensuite promu Docteur en Droit International à l’Université de Paris. Il exercera ensuite comme avocat, et sa carrière évolue dans le monde juridique ou son nom était devenu connu et respecté. Mais au fonds de lui-même, André Chouraqui rêvait d’autre chose. Sa maîtrise des trois langues le pousse à aller plus loin, et le mène vers des horizons nouveaux. Il connaissait l’hébreu de ses parents, l’hébreu biblique, l’arabe et le français. Il avait également des notions de berbère, mais n’a pas eu l’occasion de l’étudier. Il ne tardera pas tirer profit de cette maîtrise des langues pour entamer un travail exceptionnel, qui est celui de la traduction de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments, puis du Coran. Le journal « Le Monde » écrivait à sa mort : « Dans l’Algérie de ses pères, André Chouraqui a puisé son génie des langues et son rêve insensé de paix entre les trois religions monothéistes ». Il disait à propos de son enfance « Trois langues, trois textes sacrés, trois religions, trois cultures trottaient en permanence dans ma tête".
Lassé de l’antisémitisme ambiant, il décide de s’installer en Israël ou il devient vite Maire-Adjoint de Jérusalem, et conseiller du Premier Ministre, chargé des affaires culturelles et interconfessionnelles.
Traduction de la Bible
Contrairement à l’idée répandue alors, André Chouraqui déclarait que la Bible n’était ni grecque, ni latine. Jésus appartient au judaïsme. Il était juif, parlait l’hébreu et l’araméen comme les gens de son époque en Israël. Les racines chrétiennes sont donc juives et non gréco-latines. En 1972 il se met alors à collecter tous les textes disponibles de l’Ancien et du Nouveau Testaments pour entamer une traduction à partir des textes originaux, et non de ceux de seconde main. Dans son travail, il tient compte de plusieurs paramètres, en restant le plus proche possible de la langue originale : le rythme du texte, son vocabulaire et sa musicalité. « Son effort consiste à retrouver l'authenticité de la Bible et son intuition première faite de transcendance et d'unité. Il restitue ainsi la force du nom de Dieu - Adonaï-Elohims - révélé à Moïse dans le Buisson ardent, traduit - et trahi - de l'Olympe à l'Aventin par les noms de divinités locales : Dieu, qui dérive du latin deus, apparenté à Zeus et en grec theos. De même que god est un avatar de Tor et de Wotan, divinités nordiques », ajoute l’article du « Monde ». Chose étonnante pour un juif, André Chouraqui se met aussi à traduire les livres chrétiens du Nouveau Testament. Il refuse de se laisser enfermer dans une vision exclusivement juive de la Bible, et s’attaque aussi à la langue grecque pour traduire le plus fidèlement possible les évangiles et les autres livres du Nouveau Testament.
Ce travail aura duré cinq ans, de 1972 à 1977. En tout, sa traduction a été publiée dans vingt-six volumes. La critique est unanime pour reconnaitre la qualité et la valeur de son travail. Ne se contentant pas de ça, l’avocat-écrivain-traducteur publie également une encyclopédie en huit tomes de l’Univers de la Bible. Plusieurs autres publications vont suivre, car Chouraqui était un génie d’exception. Avide de savoir, il était également généreux, voulant partager ses connaissances avec un maximum de gens, dont les arabes. Il publiera d’ailleurs, après la guerre des six jours, « Lettre à un ami arabe ».
Traduction du Coran
Moins de dix années après, en 1985 André Chouraqui se lance un nouveau défi : traduire le Coran. Il connaissait déjà le livre sacré de l’Islam qu’il avait appris étant enfant en Algérie. Il garde sa méthodologie de travail, et colle au plus près du texte arabe pour restituer de la façon la plus fidèle possible le sens du texte coranique. Son honnêteté intellectuelle le pousse à sortir des sentiers battus et des traductions classiques, pour faire ressortir le sens le plus exacte de la langue d’origine. Ainsi, au lieu du traditionnel « Au nom d’Allah, le clément et le miséricordieux », il donne une autre traduction : « Au nom d'Allah, le matriciant, le matriciel, la désirance d'Allah, le rab de l'univers." Si plusieurs spécialistes du Coran le félicitent pour son travail à sa publication en 1990, des intégristes se sont montrés très mécontents de sa traduction, ayant été habitués à un autre style et un autre travail. Mais cela ne suffisait pas pour décourager l’homme de lettres. Il ajouta à sa traduction des commentaires explicatifs, et assumait pleinement son travail. Aujourd’hui encore, sa traduction fait autorité.
Chouraqui et les berbères
Sur le plan culturel et civilisationnel, André Chouraqui n’oublie pas son pays d’origine. Dans son livre « Histoire des Juifs en Afrique du Nord », il déclare : « Les Berbères sont des frères de race, de langue et de religion avec les Juifs ». Car il existait en Algérie un certain nombre de communautés berbères qui ont adopté le judaïsme, tout comme les juifs venus d’Orient sont devenus berbères, adoptant la langue, la culture et les coutumes locales. Depuis l’époque des phéniciens, les berbères avaient, en plus du Libyque, langue originelle d’Afrique du Nord, adopté la langue de l’envahisseur pour former une langue nouvelle, le Punique. Au quatrième siècle encore, il arrivait fréquemment à Saint Augustin de prêcher en Punique. Cette dernière étant très proche de l’hébreu, elle facilita la transition vers le berbère, et plus tard, vers l’arabe, créant aussi une nouvelle langue maghrébine. André Chouraqui connaissait donc la langue berbère qui avait cours en son temps à Ain Timouchent, Oran, Alger, etc… Mais faute d’enseignement officiel, de l’existence de supports écrits, et en l’absence d’écoles d’enseignement du Tamazight, il n’a pas eu l’occasion de l’apprendre de façon académique, et encore moins de la maîtriser. Mais il en était fier, et ne l’avait jamais reniée. D’ailleurs, son livre « L’Amour fort comme l’a mort » qui est son autobiographie ou il consacre une bonne partie à sa vie algérienne, a eu un immense succès auprès du public. Dès sa parution, il s’en est vendu plus de cent mille exemplaires.
André Chouraqui a marqué son temps de manière très positive. Il laisse derrière lui une œuvre importante, ayant couru derrière son idéal, celui de voir les trois religions monothéistes vivre dans la paix. Il sera reçu par plusieurs dignitaires musulmans, plusieurs Papes, et plusieurs responsables politiques israéliens et internationaux, qui lui étaient reconnaissants pour son travail et ses efforts de paix. Il a parcouru le monde, du continent américain au Japon, et de l’Afrique à l’Europe. Il s’est revendiqué comme juif, mais aussi comme frère de culture, de race et de religion avec les berbères. Il s’est éteint le neuf juillet 2007 à Jérusalem où il a également souhaité être enterré. Il reste cependant étonnant que l’Algérie officielle ne lui ait jamais rendu hommage, et l’Algérie profonde ignore tout de l’enfant du pays connu partout ailleurs, sauf dans son propre pays. Pour reprendre les paroles de Jésus qu’il a traduits : « Nul n’est prophète en son pays ».
Nabil Z.
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