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Photo du rédacteurNabil Z.

Béjaia, Entre Folklore et Soumission ?

Béjaia a la réputation d’être la ville des lumières, comme l’affirme un récent ouvrage présenté par son auteur à la nouvelle bibliothèque le week-end dernier, et un haut lieu d’histoire et de culture. C’était vrai, il y a encore quelque temps. Mais, est-ce toujours le cas de nos jours ?



Béjaia est aussi le lieu par excellence de tous les combats, tant sociaux, culturels que politiques. C’est dans la région de Béjaia qu’eut lieu le congrès de la Soummam, et c’est également à cet endroit que le mouvement berbère s’est donné une plateforme de revendications politiques, véritable projet à vision lointaine, témoin d’une maturité et d’une prise de conscience profonde des enjeux à court et long termes, montrant ainsi que les amazighs ne comptent pas se laisser mener par le bout du nez, et qu’ils entendent prendre en main leur avenir, à tous les niveaux.


La région de Béjaia est donc un repère important dans la vie de la nation, puisqu’à chaque fois qu’elle bouge, elle influe directement sur le devenir du pays dans tous les domaines. Tout le monde en est conscient aujourd’hui, sauf peut-être les bougiotes eux-mêmes. C’est pourquoi, autant beaucoup en sont fiers, autant il existe des forces cachées qui veulent en découdre, mais pas dans une confrontation directe ou dans un combat frontal, mais dans des luttes discrètes avec des armes subtiles mais puissantes. Leur objectif, casser et soumettre la population, pour l’emmener inconsciemment à perdre ses repères, diminuer sa force, et cesser ainsi de jouer au trouble-fête en s’opposant obstinément aux projets de domination et d’écrasement de tout espoir et de toute ouverture politique permettant à la population de s’émanciper et de se développer davantage.


Ainsi, si on regarde bien la carte géographique de la ville de Béjaia, puis celle de la région dans son ensemble, il y a des éléments troublants qui sont en train de se mettre en place. Pris un par un, le schéma ne se décline pas encore de façon claire. Mais regardé dans son ensemble, il semble bien qu’il y a un projet clair qui va dans le sens de museler la région, de la contrôler et de la réduire au silence. Est-ce un fait exprès, ou un concours des circonstances ?


La ville de Vgayet est jolie. Elle regorge de moyens et grouille de vie. Entre La Cap Carbon, le Pic des Singes, la Place Gueydon, la Brise de Mer, par exemple, les bougiotes bénéficient d’un site quasi exceptionnel de beauté. Tous les visiteurs sont subjugués par la vue qui leur est offerte, et il y a unanimité sur cette rare beauté de la région. Le golfe de Bougie, ses montages et ses plaines, réunis au même endroit, ne connaissent que très peu d’équivalents dans le monde. La ville elle-même, avec ses ruelles en pentes douces, ses quartiers calmes et paisibles, ses marchés joyeux, ses cafés tranquilles, offrent aux habitants un cadre de vie magnifique, qui se prête idéalement à la méditation et à la création culturelle et artistique. Les bougiotes sont donc connus pour être des rêveurs, des mélomanes, mais aussi des penseurs et des critiques acerbes de leur environnement. Il n’est pas rare d’assister, aussi bien dans les cafés que sur les places publiques à des débats hauts et en couleurs, animés par des intellectuels fort nombreux dans la région. Le niveau culturel moyen de la population locale est déjà en lui-même, un indicateur de la maturité de la région. Et cela ne va pas sans provoquer la jalousie de certains cercles, que cette situation n’arrange pas, et qui se met en travers de leurs projets sinistres.


Qu’à cela ne tienne, certains cercles « occultes », ont décidé de mettre en place un programme évolutif, adapté des pires stratégies militaires, enseignées dans les meilleures académies, inspirés par Machiavel, Sen Tzu et autre Clauswitz. Il s’agit du noyautage de l’environnement de la ville afin de préparer sa prise. Il s’agit pour eux d’investir leur objectif, et de neutraliser tous les points de résistance afin d’ôter à l’ « ennemi » tous ses moyens de combat. Et si on se met dans la tête de ces gens, l’ennemi c’est l’esprit de résistance, de combat et de revendication permanente, soutenu par la richesse culturelle et la diversité artistique de la population. Il faudrait selon eux, briser l’ossature intellectuelle et culturelle, voire même spirituelle de la région. Soheib Benchikh avait averti les bougiotes lors de sa dernière conférence donnée à l’occasion d’un colloque organisé en Novembre dernier. « Béjaia est le dernier bastion de résistance en Algérie. Si elle tombe, c’est toute l’Algérie qui basculera », avait-il déclaré. Et les bougiotes eux-mêmes ne semblent même pas s’en rendre compte.


Structure urbaine

En dehors des lieux touristiques de la ville, à l’instar de la Place Gueydon, de la Brise de Mer et de la Porte Sarazine, Béjaia est actuellement structurée autour d’un boulevard principal, le Boulevard Amirouche, prolongé par la Rue de la Liberté. Les symboles ne s’inventent pas, ils sont là pour parler d’eux-mêmes. La liberté n’est-elle pas le fruit du combat d’Amirouche ? Le Boulevard en question commence au niveau du Théâtre Régional de la Ville, et la rue de la Liberté se prolonge jusqu’au rond- point d’Aamriw, là où est érigée la Maison de la Culture, Taos Amrouche. En fait, ce sont les deux principaux repères culturels de la ville, et cela correspond parfaitement au caractère de la région, avec sa richesse culturelle et sa diversité artistique, comme écrit plus haut. Mais entre ces deux repères, il y a un désert culturel effrayant. Pas de musées, pas de cinémas, pas de salles d’exposition, et presque pas de places publiques exploitables culturellement parlant. Les librairies ont fermé leurs portes, et il n’y a aucune trace d’une quelconque bibliothèque ou ne serait-ce, que d’un mini centre culturel. Même les cafés s’y font rares. Nous y reviendrons.


A partir du Théâtre, et allant vers Aamriou, la grande avenue est longée essentiellement par des infrastructures administratives, sans aucun lien avec le caractère culturel de la ville. Ainsi, nous rencontrons tour à tour, un centre de recrutement de l’armée, suivi un peu plus bas par l’ancienne prison encore en activité, puis de la Gendarmerie, avant de rencontrer les services administratifs et techniques de la Mairie, puis le siège de la Daira. Cent mètres plus loin toujours sur les abords immédiats de l’Avenue centrale de la ville se trouve « Le Bloc Administratif » faisant face à un autre bâtiment administratif abritant différents sièges d’administrations publiques, distant d’une centaine de mètres du siège de la Wilaya. Cette dernière se prolonge avec un bâtiment dernier cri de Direction de l’Education pour être clôturée deux cents mètres plus loin par la Direction des Impôts, avant de tomber finalement, quelques trois cents mètres plus loin sur la Maison de la Culture. La colonne vertébrale de la ville est devenue administrative et non plus culturelle, changeant ainsi la nature de la région, la faisant passer de haut lieu de la Culture, en vallée de l’Administration. D’ailleurs, l’essentiel de l’investissement consenti ces dernières années pour changer la face de la ville a consisté en la construction d’autres bâtiments administratifs longeant les principales artères de la ville. Directions de la Culture, des Affaires religieuses, de l’Urbanisme, des Transports, de l’Agriculture, etc… Ces bâtiments, au lieu de les excentrer par rapport à l’axe de vie principal de la ville, en occupent tout l’espace, et s’impose à la vue de tous, comme symbole de la toute puissance et de la présence de l’Etat. Le même constat peut être fait le long de la route nationale menant vers Alger. Ce qui s’offre à la vue des passants est dominé par l’immense mur de la prison d’Oued Ghir, longeant la route, avec son corridor et ses barbelés, rappelant à ceux qui veulent bien comprendre le message, le sort de tous ceux qui seraient tentés de dévier de l’ordre imposé. Plus loin, se trouvent également des infrastructures à caractère étatique, à l’exemple de la caserne de gendarmerie en construction vers Remila. Ce n’est pas que ces infrastructures ne soient pas utiles, voire même indispensables. Elles font partie de l’arsenal normal de tout Etat visant à instaurer un minimum d’ordre et de discipline dans le pays. C’est le choix des sites de leur implantation qui pose problème. Avait-on besoin de prisons avec pignon sur rue ? La Daira, a-t-elle besoin d’une vitrine ? Aurait-elle quelque chose à vendre ? Pourtant, depuis quelques années, le Ministère de l’Intérieur ne cesse de transformer les pratiques administratives en allégeant le poids de la bureaucratie qui pesait lourd sur les épaules de la population. Déjà, les services de l’Etat-Civil se vident peu à peu laissant les lieux plus agréables à fréquenter, et moins stressants dans l’ensemble, même s’il y a encore beaucoup à faire dans le domaine. Les services administratifs n’ont pas besoin de se mettre à l’avant. Plus encore, ils devraient se retirer des points stratégiques de la ville pour permettre à la vie sociale, commerciale culturelle de se développer. Ailleurs, les grands boulevards sont occupés par les commerces, les salles de spectacles, les musées, les cinémas, les banques, etc… Pas par des bureaux qui n’ont rien à faire sur les abords de la colonne vertébrale de la ville.


A Alger, la Rue Didouche est essentiellement bordée de commerces et de lieux de culture. C’est aussi le cas des rues Ben M’Hidi, Hassiba et Belouizdad. Les services administratifs se font discrets et n’occupent que très peu de place, pour ne pas empêcher le reste des activités sociales de se développer. A Béjaia, les repères géographiques ont été investis par l’administration, au détriment du développement d’une ville purement « civile » et civilisée. Les projets de développements de la ville prévoiraient la démolition de l’actuel siège de la Wilaya, pour en construire un autre, encore plus grand, mais à la même place, s’imposant comme le principal édifice de la région. Exit la grande salle de spectacles de plusieurs milliers de places promises il y a encore à peine quelques années, et tant pis si la ville n’a pas une grande place publique, fleurie et animée, permettant aux citadins et aux visiteurs d’exprimer leur créativité et leurs rêves.


Réveil spirituel contre esprit de médiocrité

Ainsi, petit à petit, l’esprit bougiote s’accommode de la médiocrité ambiante, l’intégrant même dans ses repères, tout en perdant ce qui est la quintessence de sa culture et de sa personnalité. Ceux qui le ressentent, sans toutefois arriver à l’exprimer, se font tout petits et se retirent chacun dans son coin, avalant sans la digérer, cette situation expliquant en partie le voile de tristesse qui a fait perdre leur joie aux bougiotes. Il ne semble pas que tout cela soit innocent. Il relèverait plutôt d’un projet bien étudié et qui s’inscrit dans le temps. La résistance naturelle des gens de la région ne tardera, sans doute pas à réagir et à se faire connaître. Déjà, le printemps a apporté les prémices de l’éclosion des esprits, en manifestant depuis cet « Amenzou nTefsut » la renaissance de la région, après un hiver caractérisé par l’attentisme et la confusion. Des dizaines d’activités artistiques, culturelles, sociales et politiques se préparent actuellement dans toute la région. Akbou, Seddouk, Kherrata, Souke El tenine,… aussi bien les montages, que les plaines et le littoral s’apprêtent à se secouer et à laisser s’exprimer la belle âme de la Kabylie. Quant aux projets de type administratif, il faudra veiller à mieux les intégrer dans la vie de la région, en les replaçant dans leur contexte, pour leur permettre d’être plus efficaces et plus rentables. Ne pourrait-on pas aménager une Bibliothèque ou un centre culturel sur le lieu où sont érigés les sièges administratifs de la Daira et de l’APC ? Ne pourrai-t-on pas construire une vraie salle de spectacles avec une immense place, là où est actuellement le siège de la Wilaya ? Ne pourrait-on pas déplacer les services de la téléphonie pour permettre au boulevard central de la ville d’offrir des activités plus adéquates à la population, et aménager le bureau de poste qui se trouve à côté, le rendant plus digne de figurer sur l’espace public ? Car sa façade ne comporte aucune trace de beauté ou d’élégance architecturale, la qualifiant pour figurer sur un axe urbain aussi important.


Il y a certainement beaucoup à dire encore sur le sujet. Cela mériterait une réflexion, aussi bien de la part des architectes et des urbanistes. Mais pas seulement de ceux qui travaillent déjà dans l’administration. Ce serait le rôle des bureaux d’études, des enseignants et chercheurs de l’université, et de l’ensemble des amoureux de cette magnifique région, qui est en train de reculer et de se détériorer. Le cadre culturel actuel relève plus du folklore politique que d’un projet urbain civilisé, tentant d’en mettre plein la vue à la population, au lieu de lui permettre de s’exprimer et de prendre en main son devenir, en faisant appel à ce qui est le plus profond et le plus enfouis de sa culture et de sa civilisation.


Nabil Z.

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