Saint Augustin a inspiré et enseigné de grands personnages de son vivant. Parmi eux, Quodvultdeus, l’évêque qui a fait face à l’invasion Vandale en Tunisie.
« Ce que Dieu veut »- telle est la signification de son nom- est né à la fin du quatrième siècle. Il a donc été contemporain de Saint Augustin. Il a fait ses études à Carthage et a très vite occupé des fonctions dans l’église locale, alors en pleine expansion. Si l’Afrique du Nord était largement chrétienne, il n’en demeurait pas moins qu’elle était traversée par plusieurs courants hérétiques, telles ceux de Donat et d’Arius, tous deux nord africains. Mais il existait aussi de nombreuses autres hérésies venues d’ailleurs, comme celle professée par les Pélagiens.
Vers l’an 421, Quodvultdeus qui avait déjà rencontré Saint Augustin lors d’une conférence à Carthage, écrit à l’évêque d’Hippone pour lui demander de rédiger un livre sur les hérésies, pour aider les croyants à combattre les dangereuses doctrines qui circulaient, non seulement en Afrique du Nord, mais dans tout le bassin méditerranéen. D’ailleurs, l’importante correspondance entretenue entre les deux hommes existe toujours.
« Je demande à Votre Béatitude de vouloir bien faire un exposé des hérésies qui se sont élevées et s’élèvent encore depuis que la religion chrétienne a reçu le nom de l’héritage promis, des erreurs qu’elles ont répandues ou répandent encore, ce qu’elles pensent et ont pensé, en opposition avec l’Église Universelle, sur la foi, … le Nouveau et l’Ancien Testament, enfin de tout ce en quoi elles s’écartent de la vérité … comment elle reçoit ceux qui reviennent à elle, ce qu’elle répond à chacun en s’appuyant sur la loi, l’autorité et la raison. »
Augustin a bien saisi l’importance du sujet, et s’est studieusement mis au travail et publie « De Haeresibus » qu’il dédie naturellement à son ami Quodvultdeus, puisque c’est « Ce que Dieu Veut ». C’était à peine deux ans avant la mort du Père et Docteur de l’Église, vers 428-429. Il aurait voulu aller plus loin, mais à son âge, les forces commençaient à lui manquer.
Dans son œuvre, Augustin recense les hérésies qui circulaient à son époque, les décrit et montre en quoi elles étaient dans l’erreur. Il apporte donc des éclaircissements sur la foi, et répond aux critiques et attaques de ces sectes et doctrines hérétiques.
Les Vandales sont aux portes de Carthage, mais ses habitants ne font rien pour se préparer à l’invasion annoncée. Un auteur de l’époque les décrivait ainsi : « Le pays, nage dans le sang, et les habitants ne sentent quelques émotions au cœur que lorsqu’ils sont au spectacle ou au cirque ». L’insouciance, l’irresponsabilité, et l’inconscience était ce qui caractérisait le plus cette ville adonnée aux plaisirs et au cirque.
Silvio Gaston Moréno raconte : « Le 19 octobre 439, Genséric entrait à Carthage, déjà incapable de se défendre. Aussitôt commencèrent les violences, pillages et destructions. On démolit de fond en comble les grands édifices et les beaux quartiers, comme le théâtre, l’Odéon, le temple de Mémoire, la rue de la Dea Cœlestis. Les Vandales laissent les basiliques chrétiennes debout, mais ils chassent d’elles le clergé, pour y installer leurs prêtres ariens ».
Saint Augustin meurt en 430, âgé et rassasié de jours, pour reprendre la formule consacrée. C’est quelques années plus tard, en 437 que Quodvultdeus accède au siège de Carthage en tant qu’évêque attitré. En 439, Carthage tombe donc entre les mains des Vandales, et le roi Genséric lui propose de se convertir à sa doctrine arienne pour lui accorder ses faveurs. Mais Quodvultdeus refuse et résiste. Genséric décide alors de se débarrasser de lui et, craignant la réaction de la foule qui respectait beaucoup son évêque, il le met dans un vieux rafiot sans voiles ni rames et le jette à la mer, espérant qu’une tempête l’emporte et coule, lui et ses compagnons qui l’accompagnent, dont beaucoup étaient également des ecclésiastiques.
Mais la Providence semble veiller sur le fidèle évêque. Les vagues et les courants marins emportent le rafiot jusqu’à Naples en Italie ou il est accueilli avec respect. Non seulement les italiens savaient qui il était, mais en plus, plusieurs habitants de la région avaient également fui les Vandales et s’y ont installés, réservant ainsi à leur évêque un accueil digne et respectueux.
Dans son exile, l’évêque se met à écrire. Déjà, avant de quitter Carthage, il avait publié « Tractatus adversus quinque haereses », un traité contre cinq hérésies. Il publie donc « Liber promissionum et praedictorum Dei », un livre sur les promesses et les prédictions de Dieu, de l’origine jusqu’à la fin des temps. Œuvre majeure qui comptera parmi les plus grandes publications de cette époque de l’Histoire en Méditerranée.
Dans son œuvre, on voit clairement l’influence de Saint Augustin. Quodvultdeus adopte en effet le style de son maître et s’inspire largement de ses œuvres, dont La Cité de Dieu. Il s’inspire aussi des écrits de Saint Jérôme et d’Orose, l’historien. Ainsi, « Ce que Dieu Veut » raconte l’histoire humaine en s’appuyant sur des sources diverses, parfois même contradictoires pour construire son récit. Il donne un aperçu de ce qui serait, selon lui, le plan de Dieu pour l’humanité. Parfois, il va dans le sens de ses sources pour qui il affirme avoir le plus grand respect, mais d’autres fois, il exprime des points de vue différents, affirmant ainsi son indépendance d’esprit.
Certains commentateurs reprochent à Quodvultdeus son « chauvinisme africain ». Car dans son raisonnement, on distingue très nettement sa culture nord-africaine, qui ne s’attarde pas tellement sur le passé, mais est surtout préoccupée par l’avenir. Si l’évêque de Carthage plonge son regard dans l’Histoire, c’est surtout pour mieux éclairer le futur. Car ce qui était c’est ce qui sera, comme l’avait dit le roi Salomon. Et les raisons de s’inquiéter pour l’avenir étaient évidente. D’abord, il y a les vagues de persécutions, puis la chute de Rome. Et maintenant, les invasions Vandales lui rappellent que l’Apocalypse n’est pas si loin. D’ailleurs, en faisant un certain nombre de calculs basés sur sa compréhension des prophéties de Daniel, il en conclut que la fin du monde est dans, au plus tard, quatre-vingt-dix ans. Pour lui d’ailleurs, Gog et Magog seront représentés par les Goths et les Maures. Donc aussi des nord-africains comme lui.
Pourtant, dans la Cité de Dieu, Augustin avait averti de ne pas spéculer sur la date de la fin du monde. Car pour lui, la chute de Rome ne signifiait certainement pas la fin du monde, mais un avertissement de Dieu appelant les Hommes à la repentance. Cette différence de point de vue entre le Maître et son disciple peut être expliquée soit par la liberté qu’a pris l’élève par rapport à son maître, soit par le fait que Quodvultdeus n’avait pas un exemplaire de la Cité de Dieu entre les mains au moment où il rédigeait son ouvrage. En effet, les spécialistes de la question ont remarqué que les citations qu’il faisait du livre étaient relativement approximatives, montrant qu’il faisait appel à sa mémoire et non à un support écrit.
Plusieurs des ouvrages de Quodvultdeus ont été attribués par la suite à d’autres auteurs. Ce n’est que ces dernières années que des experts ont commencé à lui rendre justice en rendant à César ce qui lui appartient. Parions que dans les prochaines années, on aura droit à la publication des œuvres complètes de Quodvultdeus. C’est à ce moment-là que nous apprécierons totalement la valeur de cet écrivain africain disciple de Saint Augustin.
Nabil Z.
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