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Photo du rédacteurNabil Z.

Comment les Berbères ont-ils été Considérés Comme Arabes: le Mythe des Origines Arabes des Berbères

Les études les plus récentes et les plus poussées montrent clairement que les habitants de l’Afrique du Nord sont des berbères. Pourtant, ils sont considérés comme arabes. Depuis quand s’est opérée cette confusion, et quels en ont été les motivations ?


Dans un article publié par une chercheuse canadienne, Shatzmiller Maya, intitulé « Le mythe d'origine berbère (aspects historiques et sociaux). Dans la « Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée », cette historienne, professeur associé d'histoire à la University of Western Ontario, Canada, on découvre que l’arabité des maghrébins est un mythe. « Le mythe d'origine berbère présente un grand intérêt, d'autant plus que, du Maghreb médiéval, nous n'avons pas de témoignages écrits proprement berbères, ni pour la langue ni pour la culture ». Il est vrai que dans la plupart des cas, notre histoire est racontée de l’extérieure, et non pas par des autochtones. Ce qui a provoqué toutes les déformations qu’on connaît. Mais il est quand même arrivé que des locaux s’y mettent. d'autant plus qu'au Maghreb médiéval, nous n'avons pas de témoignages écrits proprement berbères, ni pour la langue ni pour la culture.

Ainsi, Maya Schatzmiller argumente sur ce sujet de la manière suivante : « Le fait que les Berbères médiévaux se soient réclamés d'une origine arabe est connu et admis par tous ceux qui ont été introduits à l'histoire de l'Afrique du Nord par l'oeuvre d'Ibn Khaldun où, dans son Kitâb al-'ibar, il rapporte, grosso modo, des traditions attestant qu'à une époque reculée les tribus berbères se rattachaient à la nation arabe par l'intermédiaire d'ancêtres légendaires ». Ainsi, l’auteur de l’Histoire des Berbères aurait-il contribué à installer cette confusion ? « Ibn Khaldun lui-même accepte l'authenticité de cette filiation pour certains, les tribus Kutama et Sanhadja, mais reproche aux Zenata d'avoir de fausses prétentions à une origine arabe, prétentions motivées par le mépris qu'ils éprouvent envers leur propre race berbère, qu'ils considèrent comme servile et dédaignée ». Voilà qui nous situe dans le contexte de l’époque. « A tort ou à raison, Ibn Khaldun observait, avec sa clairvoyance habituelle qu'au XlVe siècle, le mythe d'origine dépassait de loin le cadre d'un motif littéraire pour prendre une signification d'actualité ». Il y a donc des motivations d’actualité, c’est à dire politiques. C’est en raisons de besoins politiques que nous aurions été considérés comme arabes, et non pour des raisons ethniques, sociales ou civilisationnelles.


La chercheuse ajoute : « Étudiant l'historiographie mérinide de la même époque, j'ai également eu l'occasion de situer le motif du mythe d'origine berbère dans un contexte socio-politique donné, où il s'agissait de résoudre le problème auquel se heurta la famille Zanatienne des Mérinides dès son installation sur le trône du Maroc, à savoir le problème de la légitimité ». Il fallait se réclammer d’une origine noble, notamment la descendance de la famille du Prophète, donc arabe, pour se donner une légitimité pour l’accession au pouvoir. Une compilation intitulée : Kitâb al-ansâb li-abi Hayyân, qui traite exclusivement des origines et des généalogies berbères est considérée comme la source commune de deux fragments anonymes traitant le sujet a éclairé, dans une large mesure, la conception historiographique adoptée par Ibn Khaldun dans son Kitâb al-'ibar.


La contribution de Maya SHATZMILLER consiste en la reproduction d'un grand nombre de sources dont les auteurs sont inconnus ou partiellement connus, et qui permettent d'apprécier, dans une plus ample mesure, la quantité et la qualité de la littérature qui constituait ce mythe d'origine.


L'intérêt de l'étude du mythe d'origine consiste à essayer de comprendre « les mutations sociales et mentales des générations postérieures auxquelles il s'adapte. Il n'est pas sans intérêt de rappeler que le genre généalogique, qui retrace l'origine des races et des familles, genre qui fut parmi les premières sources historiques rédigées dans le monde arabo-musulman, n'est pas l'exclusivité de cette culture. Au contraire, il présente de grandes similarités historiographiques et contextuelles avec les généalogies chrétiennes et juives rédigées en Europe médiévale. Parmi ces traits communs, on peut retenir la toile de fond tribale commune aux Arabes et aux peuples barbares, un choix d'ancêtres parmi les personnages bibliques, la rédaction de généalogies pour exalter une lignée, justifier une usurpation du pouvoir, légitimer un acte politique, etc. »


Le développement de ce mythe d’origine arabe des berbères s’est fait en plusieurs phases : : La première date du IXe siècle et dure jusqu'au XIIe siècle. La deuxième commence au Xlle siècle avec les Almohades et dans laquelle on trouve les historiens du XlVe siècle. Elle se termine avec la conquête ottomane et l'avènement des Sa'adiens au Maroc.


Trois écoles :

Selon Maya Schatzmiller, une première école «orientale» cède la place à l'école «ibérique», arabe et berbère qui, elle, est suivie à son tour par une école «ifriqiyenne». Ce fut l'école «orientale», qui a fourni les données de base à ce mythe d'origine arabe des berbère. Elle était composée de géographes et d'historiens qui vécurent pendant les IXe et Xe siècles dans les régions centrales de l'empire 'abbaside et qui, dans leurs récits historiques ou descriptions du pays, ont dû résoudre le problème de l'anonymat historique des Berbères.


Dans l'ensemble, il s'agit de trois filiations : la première, qui est la plus fréquente, proclame les Berbères originaires de Palestine, chassés au Maghreb après la mort de Jalut (Goliath)qui appartenait à la tribu Arabe de Mudar. La deuxième voit les Berbères comme des descendants de Cham fils de Noé, nés au Maghreb après l'exil de celui-ci. La troisième accorde à plusieurs tribus berbères une origine himyarite sud-arabique. On peut donc constater que ce mythe n’est pas la création des berbères eux-mêmes, mais des orientaux, pour la plupart eux-mêmes d’origines non arabes.

D'un côté, les géographes ont acquis sur le terrain des renseignements importants sur la vie et les structures tribales des Berbères, et de l'autre, les révoltes successives de ces tribus Berbères ont attiré l'attention sur le problème posé par leur existence. Selon Maya Schatzmiller « C'est à ce moment seulement que les historiens orientaux s'interrogent sur l'origine des Berbères, question qui se pose pour eux en termes historiographiques, plutôt que sociaux ou politiques. Pour la résoudre, ils cherchent à incorporer les Berbères à l'Histoire à leur manière, c'est-à-dire conformément aux règles de leur mémoire collective bâtie sur des récits bibliques -et musulmanes- et des structures tribales ».


Deuxième école :

La deuxième école qui s’est constituée en Espagne musulmane pendant les Xe et Xle siècles, interprétait et manipulait la généalogie berbère dans un but politique et culturel. Cette école est composée de deux groupes divisés selon un clivage ethnique : un groupe arabe, de géographes, de traditionnistes et d'historiens comme al-Warrâq, Ibn Hazm, Ibn 'Abd al-Barr, al-Bakri, et un deuxième groupe de ceux qu’on peut appeler «généalogistes berbères». La confirmation de leur identité se trouve dans la chronique anonyme mérinide, la Dhakhira al-Saniyya. L'auteur, en parlant de la généalogie des tribus mérinides, reproduit des vers qui ont été cités par plusieurs érudits zanatiens qui demeuraient en Andalousie. Plus loin encore, il décrit les circonstances de la rédaction de ces vers : «C'était lors des batailles sanglantes entre Arabes et Berbères d'Andalousie au Xle siècle, épisode connu sous le nom «al-fitna al-barbariya».


« Le débat qui se déclencha entre les deux groupes de généalogistes avait pour source la tentative de dénier aux Berbères la généalogie qui leur avait été accordée en Orient peu de temps auparavant », ajoute Maya Schatzmiller. « Voici le récit catégorique d'Ibn Hazm : Quelques peuplades berbères veulent faire accroire qu'elles viennent du Yémen et qu'elles descendent de Himyar ; d'autres se disent des descendants de Berr, fils de Cais ; mais la fausseté de ces prétentions est hors de doute : le fait que Cais ait eu un fils nommé Berr est absolument inconnu à tous les généalogistes ; et les Himyarites n'eurent jamais d'autre voie pour se rendre au Maghreb que les récits mensongers des historiens yéménites».

L'activité politique se trouve ainsi jumelée avec l'apparition des récits généalogiques que les groupes en question trouvent nécessaires à l'anoblissement de leurs origines et à la légitimation de leur avènement. A partir de ce moment, l'origine arabe des Zenata est aussi établie que celle des Sanhadja; comme l’a aussi prétendu al-Idrisi (né 493/1100).


Non moins importante dans la genèse et les mutations du mythe d'origine arabe des berbères, en ces années, fut l'influence de la berbérophobie en Espagne. Dans ce pays, l'ordre social était régi par une stricte division ethnique : Arabes, Ibéro-Romans, Berbères, Juifs ; chaque ethnie avait sa place dans une société très structurée qui ne permettait que très peu de mobilité sur l'échelle sociale et politique traditionnelle. Le rôle militaire joué par les soldats berbères se transforma en aspirations politiques et contribua à la haine contre les Berbères, haine qui allait éclater dans les émeutes connues sous le nom de «fitna al-barbaria», auxquelles fait allusion le chroniqueur de la Dhakhira.


Le troisième facteur est lié à la crise du califat de Cordoue, qui souleva l'intérêt public pour l'ascendance noble comme critère de choix politique, et donna ainsi naissance à une littérature généalogique. L'émir ziride 'Abd Allah écrit : «... Ils placèrent à leur tête un homme auquel ils donnèrent le titre califien d'al-Murtada, prétendant qu'il était QuraiSite, afin de concilier, grâce à son califat, l'ensemble de la population»


L’école Ifriquienne :

La généalogie berbère ne devient un sujet proprement maghrébin qu'avec les historiens qui appartiennent à la troisième école, 1' «ifriqiyenne»». Les chroniques issues de cette école sont pour la plupart perdues aujourd'hui, et c'est à travers les citations d'auteurs postérieurs, notamment Ibn 'Idhari, Ibn Khaldun et l'auteur du Kitâb al-ansâb, que nous savons que ces historiens ont consacré un ouvrage ou un chapitre à la question du mythe d'origine. La vie de cette école se poursuit du Xle au XIIIe siècles, surtout en Ifriqiya. Liée à son début à l'historiographie dynastique des Zirides.

Notre historienne ajoute « La deuxième phase dans l'histoire du mythe d'origine berbère au Maghreb a commencé avec les Almohades et a pris une nouvelle tournure avec l'attribution d'une ascendance alide ( ou alaouite?)à la famille régnante. La transformation subie à ce moment par le motif lui donne la forme d'une généalogie familiale qui remplace la généalogie des races. Une fois encore, cette transformation tient compte des mutations historiques socio-politiques en Afrique du Nord qui font que la filiation 'alide (ou alaouite) est utilisée pour faire face à la question de la légitimation du régime, ou plutôt de la justification devant l'opinion publique d'un acte d'usurpation du pouvoir ». Ainsi, ajoute Maya Schatmiller, « Il me semble que nous abordons avec l'étude du mythe d'origine le problème du décalage qui existait, en effet, en Afrique du nord médiévale, entre l'histoire, telle qu'elle fut interprétée par les éléments d'élite islamisés et arabisés, et les faits réels tels qu'ils ont été vécus par la plus grande partie de la population berbérisante. Pour ces dernières, le mythe d'origine reste marginal et inaccessible ».


Le retard que prit le processus d'arabisation en Afrique du Nord explique qu'il y ait eu un décalage de mentalités entre les éléments arabisés qui étaient une minorité et la majorité encore berbère, manifestant une opposition tacite, et encore vivante au XlIIe siècle envers les Arabes et l'Islam.


Ainsi, le mythe de l’origine arabe des berbères se trouve dévoilé et dénoncé comme une usurpation et une falsification réelles de la vérité historique de la berbérité totale et entière de l’Afrique du Nord, des origines jusqu’à nos jours. Les tenants de ce mythe à l’heure actuelle feraient bien d’examiner leur propre histoire afin de cesser de vivre dans une illusion qui les garde dans l’erreur et le mensonge.

Nabil Z.

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