Dès son arrivée au pouvoir, Bouteflika s’est inspiré de Saint-Augustin pour installer sa gouvernance. Maintenant qu’il en est arrivé au bout, se pourrait-il que l’Evêque d’Hippone lui montre la voie à suivre ?
Le fils de Taghaste, Souk Ahras,, ville située à l’autre extrémité de l’Algérie par rapport à Tlemcen, viendrait-il au secours de celui qu’il avait évoqué, honoré et utilisé lors de son arrivée au pouvoir ? Il est le plus grand théologien et philosophe de l’Histoire. Il est celui qui a inventé l’autobiographie, un style qui permet de se raconter et de livre au public sa vie personnelle, partageant ses sentiments, ses ambitions, ses victoires et ses échecs avec ses célèbres « Confessions ». Il est aussi celui qui a mis les fondements de la géopolitique avec son monumental « Cité de Dieu ». Il est aussi grand et humble, puisqu’à la fin de sa vie, il a parlé de ses « Rétractations ». Et c’est peut-être dans cette œuvre que réside la solution à la crise que vit actuellement l’Algérie.
A la fin de sa vie, Augustin a publié un livre exceptionnel, dans lequel il fait montre d’un courage rare, puisque le serviteur de Dieu s’est regardé et face et a fait son autocritique. Il dit : « J’entreprends enfin, avec l’aide de Dieu, l’accomplissement d’un dessein auquel je songeais depuis longtemps et que je ne veux plus différer. Je vais faire la révision de tout ce que j’ai écrit, livres, lettres ou traités ». Pour ainsi dire, il va à nouveau exposer sa vie, puisqu’elle a déjà été racontée dans ses nombreux ouvrages (plus de 200), et prendre le temps de l’autocritique. Ses livres sont l’héritage qu’il nous laisse, un peu comme un homme politique laisse après lui des monuments, des routes ou des écoles. Il ajoute : « Je vais soumettre mes œuvres à une critique sévère, et ce qui m’y déplaît, à des annotations qui vaudront une censure ». Il y va sans concessions, et prend la peine de se regarder en face. Car il sait que tout ce qu’il a accompli (on connait aujourd’hui toute son importance) ne peut être parfait. Et que certainement il a commis des erreurs qu’il aurait pu éviter. Son regard est plein d’humilité. Il est emprunt de théologie et de philosophie, car il sait qu’il aura des comptes à rende sur tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a dit. « Oserait-on avoir l’imprudence de me reprendre, parce que je reprends moi-même mes erreurs? Si l’on me dit que je n’aurais pas dû écrire ce qui était de nature à me déplaire plus tard, on aura raison, et je suis de cet avis; ce qu’on reproche justement à mes œuvres, je le leur reproche moi-même. Et je n’aurais rien à corriger si j’avais dit ce qu’il fallait dire ».
Augustin n’attend donc pas la critique des autres pour se défendre. Bien au contraire, il la précède en se critiquant d’abord lui-même, et en reconnaissant ses fautes. « Aussi bien, que chacun pense de mon entreprise ce qu’il voudra; pour moi il m’importe d’avoir pris en considération, même ici, cette maxime de l’Apôtre: « Si nous nous jugions nous-mêmes, le Seigneur ne nous jugerait point. » Il ajoute, en montrant toute la crainte respectueuse qu’il avait pour Dieu qu’il appelle son Maitre : « Ce qui me fait trembler devant cette sentence de 1’Ecriture, c’est que dans le grand nombre de mes dissertations on peut recueillir beaucoup de paroles qui, si elles ne sont pas erronées, peuvent cependant paraître inutiles ou même le sont réellement ». Penser que le fils de Taghaste doute de l’utilité et de l’importance de son œuvre est incroyable. Et pourtant, dans son humilité, il considère qu’il n’a pas fait grand-chose dans sa vie. Au lieu de trop parler, il estime qu’il aurait dû passer plus de temps à écouter. Il rappelle les Ecritures à ce sujet : « Que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à parler ».
Concernant ses responsabilité en sa qualité d’Evêque de la future Annaba, il dit : « N’aspirez pas à devenir plusieurs maîtres, mes frères, sachant que vous vous chargez d’un jugement plus sévère. En effet nous commettons tous beaucoup de fautes.» Nul n’est donc parfait à ses yeux. Lui le premier : « Quant à moi, je ne m’arroge point cette perfection, aujourd’hui que je suis un vieillard; encore moins eussé-je pu y prétendre, quand j’étais un jeune homme et que j’ai commencé à écrire ou à parler en public ». Difficile d’être plus lucide. « Il me reste donc à me juger moi-même en face du Maître unique dont je voudrais éviter le jugement sur mes offenses ».
En tant que sage et homme avisé, celui qui a le cœur de berger, aussi bien pour son peuple que pour tous ceux qui sont appelés à exercer des responsabilités, il laisse un message : « J’ai tenu aussi à écrire ces observations, afin de les mettre dans les mains de ceux à qui je ne puis reprendre, pour les corriger, les copies de ce que j’ai publié. Je ne passe pas sous silence les livres que j’ai composés, n’étant encore que catéchumène, mais ayant déjà abandonné mes espérances terrestres, quoique j’eusse gardé encore la vanité des lettres humaines ». C’est ici le cœur de son message. « Ayant abandonné mes espérances terrestres ». Au crépuscule de sa vie terrestre, Augustin a compris que le meilleur était à venir. Non plus sur cette terre, mais dans le Ciel.
Cela nous emmène vers un autre livre de ce géant que nous connaissons à peine : La Cité de Dieu. Rappelons toutefois, que pendant qu’Augustin agonisait en l’an 430, Annaba est assiégée par les troupes vandales qui venaient d’envahir l’Afrique du Nord en traversant le détroit de Gibraltar et en détruisant tout sur leur passage sur leur chemin vers Carthage. Il mourra d’ailleurs durant ce siège.
La Cité de Dieu
La Cité de Dieu est une œuvre en vingt-deux livres qui a demandé à Saint Augustin un travail de 17 ans. C’était en réponse à une situation inédite provoquée par la chute de Rome en 410. Oserons-nous dire, pour nous rapprocher de l’actualité algérienne, « la chute du régime romain » ? Pendant des siècles, Rome a dirigé son empire de main de fer, accumulant des succès militaires, sociaux et technologiques sans précédent. Mais à l’époque augustinienne, le régime en était arrivé à la fin de son pouvoir, de son dynamisme et de sa logique. Il devenait inévitable de le voir s’effondrer. Personne à l’époque n’avait imaginé à aucun moment que cela pouvait arriver. Ce qui fait que personne ne s’y attendait, et donc, que personne n’avait pensé à ce qui arriverait après. Pas de solution, ni de plan B. Rome était tout aux yeux du monde, et le rêve de tout le monde était de devenir comme Rome, avec sa grandeur et sa puissance. Et si jamais Rome devait chuter un jour, ce serait certainement la fin du monde. Et en effet, Rome a chuté, et personne n’avait rien préparé pou l’après Rome. Ce qui facilita l’installation des Vandales et du vandalisme. Rome fut mise à sac et réduite à presque rien.
Avec son œuvre majeure, Augustin nous invite à penser à l’après Rome. Ou, oserions nous dire, à l’après Bouteflika. Quelle que soit le moment ou la manière choisie pour formaliser son départ, il y aura bien un après ? Car après Rome et Bouteflika, ce ne sera certainement pas encore la fin du Monde. Mais certainement celle d’un monde qu’on croyait éternel.
C’est justement ici le coup de maître d’Augustin. Il invite ses lecteurs à ne pas regarder seulement à la Rome terrestre, mais également à la Jérusalem Céleste. Autrement dit, il y a une vie après la mort. Tout comme il y a une vie après Rome et Bouteflika. Comment se présentera cette vie ? Qu’avons-nous fait pour préparer l’après-Boutef, et qu’est ce que chacun de nous a fait pour préparer la vie après la mort ?
Aujourd’hui, les revendications populaires se concentrent sur le départ du président et du régime qu’il incarne. Mais que deviendra l’Algérie après ? Qu’avons-nous préparé pour revivre ? Quelle est la nouvelle vie que nous souhaitons ? Car le départ du régime risquerait de nous laisser un vide pour lequel nous n’avons que des vœux pieux, et de l’imaginaire idéalisé par une vie après la vie, une vie de lait et de miel. Ne nous mentons pas à nous-mêmes. Si tout le peuple s’est mis d’accord pour réclamer la fin de ce régime, personne n’arrive à imaginer un consensus sur le prochain. Celui qui sera appelé à succéder au sortant. Sitôt la liesse retombée, des loups viendront, dans la peau de brebis s’empare du pouvoir et instaurer une autre dictature, sous couvert, comme dans le passé, de révolution, de réformes et de reconstitution. Souvenons-nous de l’été 62 et de l’automne 88. Les acquis du peuple ont été récupérés par des clans actuellement tapis dans l’ombre et attendant le moment opportun pour s’emparer du pouvoir, et mener petit à petit le peuple vers l’abattoir.
Saint Augustin nous invite à lever nos regards et à nous élever au dessus du tumulte pour mieux voir la lumière. Et si l’actuel pouvoir ne fait pas son Méa-Culpa comme le fit Augustin en son temps, il lui arrivera ce qui est arrivé aux césars et à Rome.
Cité Céleste contre cité terrestre, il faudra choisir. Surtout qu’Augustin le berbère nous a montré la voie. Ayant commencé par honorer Saint Augustin par des paroles il y a vingt ans, il serait intelligent de le faire en action aujourd’hui.
Nabil Ziani
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