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Photo du rédacteurNabil Z.

Dialogue Inter-Religieux : Point de vue d’un américain qui a vécu en Algérie, en Egypte et En Israël

David Johnston est américain. Il a vécu presqu’une dizaine d’années en Algérie ou il a exercé durant les années quatre-vingt, comme pasteur protestant.



Certain se souviendraient encore de ce jeune blond à lunette, dans sa Deux-Chevaux de couleur orange, ou sur son vélo traversant Alger. Il habitait en plein cœur de Bab El Oued, et il était respecté de ses voisins et des commerçants du quartier. A cause du fait qu’il avait commencé à apprendre l’arabe algérien et l’arabe académique et essayait de l’utiliser dehors, certains le prenaient pour un émigré revenu de France. Sur son dos, il prenait souvent sa guitare « Ovation », car il aimait animer des soirées entre amis et fidèles de sa paroisse. Il aimait passer des week-ends en Kabylie et s’y est fait beaucoup d’amis. Il excellait comme musicien, et la relation humaine avec lui était simple et franche. Beaucoup ont regretté son départ. Cela correspondait aussi à sa rencontre avec Charlotte qui a pris son cœur. Ils se sont mariés et son allés s’installer en Egypte, ou David a continué ses études et l’apprentissage de la langue arabe, avant d’aller vivre à Bethléhem même, la ville de naissance du roi David et de Jésus-Christ. Il y enseignait en arabe, dans l’Ecole Biblique de Bethlehem. C’est une Faculté fondée par des palestiniens, pour des étudiants palestiniens. Élevé en France durant sa jeunesse, de parents américains, il a donc servi pendant seize ans comme pasteur et enseignant en Algérie, en Egypte et en Cisjordanie. Après avoir terminé son doctorat en études interculturelles du Séminaire Fuller, il a passé cinq ans comme stagiaire post-doctoral en études islamiques et professeur à temps partiel à l'Université de Yale. Il vit maintenant avec sa famille à Philadelphie, où il enseigne et continue la recherche. Ses centres d’intérêts concernent la loi islamique et la théologie du dialogue islamo-chrétien. David Johnston est également auteur de plusieurs ouvrages, dont “Earth, empires and sacred texts : muslims and christians as trustees of Creation”, et “Evolving muslim theologies of justice: Jamal Al Banna, Mohamed Hashim Kamali and Khaled Abu Al Fadl”. Sur son blog (www.humantrustees.org), on trouve toute une série d’articles commentant l’actualité religieuse dans les pays musulmans. Les anglophones y trouveront une matière riche, capable de fournir un point de vue différent de ce qui est généralement colporté par la presse arabophone ou islamiste. Car David Johnston est résolument positif, appelant sans cesse les occidentaux à avoir un regard différent sur le monde musulman, pour en avoir une compréhension loin des sentiers battus, et des stéréotypes développés par la presse occidentale. Dans ses projets immédiats, figure la fondation d’un Institut Evangélique d’Etudes du Moyen-Orient et de l’Islam, à Sacramento en Californie.

Dans l’interview qui suit, nous allons explorer la pensée profonde de ce chercheur assez spécial, surtout qu’il a vécu dans notre pays et connaît bien notre peuple.

Nabil Z. Interview de David Johnston 1- A la fin de tes études au début des années quatre-vingt, tu t'es retrouvé comme Pasteur de la communauté protestante d'Algérie. Qu'est ce qui a motivé ton choix pour ce pays ?

J’avais un ami algérien dans le mouvement de jeunesse que dirigeait mon père en France. Quand celui-ci passa son baccalauréat à Lyon, il décida de faire une licence a l’université d’Alger. Il m’a contacté par la suite et lors d’une visite à Lyon en janvier 1978, il m’a encouragé à aller en Algérie. Quelques mois plus tard ayant juste termine mes études, un jour dans la prière avec ma bible ouverte devant moi, j’aie reçu un appel très personnel et très précis de Dieu. Je devais aller en Algérie ! En septembre de cette année-là, alors que je passais l’été chez mes parents en France, je pris le train jusqu’à Marseille, puis le bateau, et je débarquai le lendemain à Alger, accueilli par mon ami.

2- Comment se sont passées les neuf années que tu as passées en Algérie, et comment était ta relation avec les gens en Algérie (Alger, Oran, La Kabylie) ? Mon ami algérien m’a tout de suite présenté à ses amis de l’église anglicane a cote du Centre Culturel Britannique. Une petite communauté internationale s’y trouvait déjà et je me suis joint à eux. Etant formé comme pasteur, le prêtre anglican m’offrit de travailler avec lui. Il n’y avait pas de salaire, mais je me trouvais rapidement du travail dans la traduction anglais-français et comme nous vivions en communauté en célibataires, nous pouvions tous vivre très simplement dans un logement de l’église. J’ai aussi étudié l’arabe algérien et l’arabe littéraire au Centre Diocésain des Glycines, a cinq minutes à pieds de l’église. Apres quatre ans ainsi, j’ai rejoint le Pasteur Hugh Johnson a l’Eglise Protestante d’Algérie (EPA). C’est dans ce contexte-là que j’ai servi plus directement avec l’église en Kabylie, puisque l’EPA y avait un centre. J’y allais une fois par mois pour y enseigner. Cela m’a donné l’occasion de rencontrer beaucoup de nouveaux amis et même de visiter leurs familles.

3- Quels souvenirs as-tu emporté avec toi, au moment de ton départ vers ta nouvelle vie ? L’Algérie reste pour moi le pays le plus accueillant, et le plus magnifique, du reste ! Je garde de bons souvenirs de l’Egypte et surtout de la Palestine (trois ans dans chaque pays respectivement), mais l’Algérie, avec ses paysages immenses – les déserts, les montagnes, les collines et la mer, est exceptionnel. Peut-être parce que j’avais été élevé en France, c’est le peuple algérien avec lequel je me suis le plus identifié. C’est pour cela aussi que j’ai trouvé ses souffrances des années 1990 si douloureuses ! Pourtant c’est un peuple courageux et qui continuera à construire son avenir sur des bases plus justes, plus ouvertes à tous les points de vue. C’est cette ouverture d’esprit qui m’a le plus impressionné – un peu comme en Palestine, mais beaucoup plus encore. C’est aussi ce que nous avons vécu à l’EPA : beaucoup d’étudiants africains d’un peu partout, des gens d’affaires, diplomates de bien des pays, en plus des algériens. Alger c’est aussi l’expérience de l’unité des églises pour moi. Jamais ailleurs n’ai- je vécu tant d’amitié et de ministère commun avec mes frères et sœurs catholiques. A notre mariage en octobre 1986 à Alger, c’était les “nations unies,” mais aussi beaucoup de prêtres, bonnes sœurs, et même mes bons amis, le Cardinal Duval et l’Archevêque, Henri Teissier!

4- Comment en es-tu venu à t'intéresser à l'islam comme sujet d'études, et comment s'est fait ton apprentissage ?

J’ai commencé ces études proprement dites à une faculté de théologie, Fuller Theological Seminary (en Californie), qui comporte trois écoles distinctes : une école de théologie, une école de psychologie, et une école d’études inter-culturelles. C’est dans cette dernière que j’ai fait mon apprentissage en islamologie avec Professeur Woodberry, qui avait obtenu son PhD à Harvard en 1968 et qui avait servi l’église au Liban, Pakistan, Afghanistan, et même plusieurs années en Arabie Saoudite. C’est grâce à sa recommandation aussi que j’ai pu continuer mes études d’islamologie à l’université de Yale, au Connecticut, de 2001 à 2006. C’est là que j’ai fini mon grand livre sur le domaine de la création que musulmans et chrétiens ont en commun (Earth, Empire and Sacred Text: Muslims and Christians as Trustees of Creation), mais aussi j’ai publié une série d’articles sur la loi musulmane et quelque penseurs contemporains, y compris des Maghrébins comme Allal al-Fasi (Maroc), Malek Bennabi (Algérie), et Rached Ghannouchi (Tunisie).

5- A quel moment as-tu décidé d'en faire un sérieux objet d'études, et quand as-tu décidé de t'intéresser au dialogue inter religieux ? C’est donc durant cette période à Yale que je me suis consacré à rechercher et écrire quasiment à plein temps. Mes intérêts de recherche débordent la question du dialogue inter-religieux, mais comme tout visiteur à mon site web a pu s’en rendre compte, tout en fait revient à cela pour moi. La relation entre chrétiens et musulmans a toujours été tendue, malgré tout le commerce et les échanges culturels au cours des siècles. Il y a eu les premières conquêtes islamiques, puis quatre siècles plus tard les croisades chrétiennes – qui malgré le territoire très restreint qu’elles ont touché ont néanmoins marqué la sensibilité musulmane, si bien que l’expansion du colonialisme européen (qui n’avait rien à voir avec la religion) a néanmoins été ressenti par les peuples musulmans comme une nouvelle croisade chrétienne. L’Algérie est bien placée pour en parler !!

Donc, tout ça pour dire que les conflits entre chrétiens et musulmans sont très anciens. D’autant plus que les guerres américaines après les attaques de septembre 2001 n’ont pas eu d’effets positifs dans ce domaine ! Je lisais les livres d’un évêque anglican qui a longtemps vécu au moyen orient, Kenneth Cragg, et son idée de la doctrine commune entre musulmans, chrétiens et juifs revenait comme un leitmotiv : la curatelle de la planète et de ses habitants est une mission que Dieu a confiée à l’homme dans la bible et dans le Coran. Dans la deuxième sourate, verset 30, nous lisons que Dieu établit Adam comme son vicaire sur la terre. Dans mon livre j’examine toute l’histoire du commentaire islamique de ce verset et de ses parallèles. Il est clair que pour les musulmans contemporains, et dans presque toutes les orientations, ce vicariat de l’homme est devenu un point de départ pour la notion des droits de l’homme, pour la liberté de pensée, et pour tout système politique qui garantit la dignité de la personne humaine.

6- Comment les américains perçoivent-ils la question du dialogue avec d'autres civilisations en général, et la civilisation islamique en particulier, et dans quelle perspective t'inscris-tu, toi même?

Les américains en général sont moins bien informés au sujet de ce qui se passe ailleurs dans le monde, et par conséquent, dans le monde musulman. Il est aussi incontestable que depuis les attaques de septembre 2001 les américains ont appris beaucoup plus à ce sujet, mais les médias américaines ont tendance à se fixer surtout sur le côté négatif de l’islam, c’est à dire sur l’intolérance, la politique totalitaire et le terrorisme dans les pays musulmans ou dans la communauté musulmane en général. Nous avons donc beaucoup de travail à faire – les musulmans américains deviennent de plus en plus adeptes à faire passer un autre message et bien d’autres initiatives inter-religieuses mettent en valeur la contribution positive qu’apporte la communauté musulmane aux USA. Une coalition d’organisations musulmanes américaines a lancé récemment une campagne pour aider les églises de la communauté noire à rebâtir leurs bâtiments après avoir été délibérément détruites par le feu. Donc je fais partie de ceux qui essaient de favoriser l’entente, la compréhension mutuelle, et la coopération pour le bien commun. Et ceci, d’autant plus que le Christ appelle ses disciples à aimer tout le monde, y compris ses ennemis. Le moindre que nous pouvons faire c’est de soutenir la lutte de nos frères musulmans dans ce pays qui souffrent souvent d’une certaine discrimination. De plus, c’est une façon très honnête, je crois, de mettre en œuvre notre foi et d’en témoigner d’une façon très concrète. Après tout, Jésus a dit, “Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu” (Matthieu 5:9).

7- Comment définis-tu le dialogue inter-religieux ? Le considères-tu comme une forme de prosélytisme ? Sinon, quel est son objectif ? Le dialogue inter-religieux c’est toute rencontre au cours de laquelle des représentants de diverses communautés religieuses échangent leurs vues en faisant un effort pour écouter l’autre, faire tomber des barrières et favoriser l’entente et la coopération. Je connais moins bien l’Europe, mais je peux dire qu’aux Etats Unis il y a toutes sortes de rencontres de ce genre – depuis les colloques organisés entre spécialistes, y compris des dirigeants (rabbins, prêtres, pasteurs, évêques, etc.), jusqu’aux rencontres de jeunes de bien des origines différentes qu’organise Eboo Patel dans une douzaines de grandes villes américaines et qui ont pour but de servir ensemble les quartiers les plus défavorisés. Patel, un musulmans shi’ite ismaélien, avait déjà travaillé avec Barack Obama quand celui-ci était encore un jeune activiste cherchant à résoudre les problèmes sociaux des pauvres à Chicago. J’ai un ami qui a démarré un réseau d’entente des religions Abrahamiques et organise à cet effet des repas en commun avec les familles de ces trois communautés et se mettent ensuite à l’œuvre pour servir ensemble ceux qui sont dans le besoin. Un autre ami, Rick Love, a fondé Peace Catalyst International, une organisation qui envisage de faire tomber les barrières entre musulmans et chrétiens. Il y a vraiment un peu de tout, et en tous cas énormément d’activités dans ce domaine – chose d’autant plus nécessaire que les musulmans ici souffrent beaucoup d’une certaine discrimination dans ce pays, et surtout depuis 2001. Le but de tous ces mouvements c’est l’entente commune, le désir d’ôter les malentendus et impressions erronées, et non pas le prosélytisme. Ceci dit, quand il s’agit de musulmans et de chrétiens, chaque côté est mandaté par Dieu de partager leur foi avec l’autre, de façon à ce que celui-ci soit attiré et embrasse leur foi. C’est pourquoi dans ce genre de rencontres, chaque côté s’applique à suivre une certaine éthique, à savoir ne pas s’engager dans ce qui pourrait constituer une pression quelconque pour essayer de convertir l’autre. De toutes façons, dans un contexte tel que le nôtre, ce genre d’attitude ou activité a tendance à produire l’effet contraire. Musulmans et chrétiens sont généralement d’accord pour reconnaître que Dieu seul peut amener une personne à suivre un chemin spirituel différent.

8- As-tu déjà participé à des rencontres inter religieuses ? Comment ça se passe ? Oui, bien des fois. En parlant de Rick Love, j’ai participé avec lui dans l’Arizona (où il habitait à l’époque) à la deuxième partie d’une série d’échanges entre une église et une mosquée. Une première réunion avait eu lieu dans la mosquée, avec prières et repas, et ce jour-là c’était les musulmans qui venaient à l’église. Nous étions entre deux et trois cent personnes, avec une petite majorité de chrétiens. Nous avons mangé ensemble (les plats étaient de la cuisine du moyen-orient préparée par un restaurant halal). Ensuite, après deux cantiques de louanges chrétiens, l’imam et le pasteur ont présenté successivement leur vue sur l’islam/christianisme et la paix. C’était un grand succès et des amitiés se sont forgées et approfondies. J’ai aussi participé à deux rencontres de tout un weekend entre spécialistes chrétiens évangéliques et musulmans en 2004 et 2005, le résultat étant un livre (je traduis de l’anglais) intitulé, “Le chemin de la paix par, entre, et au-delà des musulmans et chrétiens évangéliques” (Lexington Books, 2008). L’atmosphère était très cordiale, même quand nous abordions les sujets les plus difficiles (comme le prosélytisme, par exemple). J’en garde un excellent souvenir et je revois quelques-uns des dirigeants musulmans de temps en temps.

9- Penses-tu que les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs ont une chance un jour de vivre ensemble dans la paix ?

Absolument ! Même en Palestine et Israël, il y a des groupes représentant ces trois communautés qui œuvrent ensemble de façon concrète et courageuse pour la paix. Et je l’ai vécu quand nous habitions en Palestine et lors de visites depuis. Si c’est possible là-bas, c’est possible partout !!

10- Quels sont les arguments théologiques qui te poussent à t'engager dans ce dialogue inter- religieux ? Je reviens à la question de la création, citant Genèse 1:27-28 “Dieu créa les êtres humains à sa propre ressemblance ; Il les créa homme et femme. Puis il les bénit en leur disant : “Ayez des enfants, devenez nombreux, peuplez toute la terre et dominez-la; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre.” Cette mission de peupler la terre, d’en gérer les ressources naturelles tout en prenant soin de toutes ses créatures a été renouvelée à l’égard de Noé (Gen. 9:1-7). Cette mission s’applique à toute l’humanité. Ceci fait partie du patrimoine juif et chrétien, mais aussi musulman. Comme je l’ai dit précédemment, Dieu donne cette même charge dans le Coran à Adam utilisant le mot “Calife,” c’est à dire qu’il représente Dieu dans la façon dont il s’occupe de tout ce qui est à sa charge. Et dans les trois cas, nous aurons à répondre de la façon dont nous nous serons acquittés de cette tâche au Jour du Jugement. C’est d’ailleurs un thème central de la littérature théologique et légale musulmane de notre époque – et ceci à travers toutes les mouvances. Je suis en train de traduire de l’arabe en anglais le livre écrit par Rached Ghannouchi lorsqu’il était en prison dans les années 1980 (“Les Libertés publiques de l’état islamique”). C’est justement ce concept du vicariat de l’homme qui soutient toute sa philosophie politico-religieuse. De plus, ce concept de la dignité humaine, inconditionnelle et inviolable, reste à la base de tous les mouvements prônant le respect des droits de l’homme et de la démocratie. C’est aussi la justification pour la liberté de culte, d’opinion, de mouvement, etc. L’Ancient Testament décrit cette œuvre civilisatrice comme étant une œuvre de paix. Le mot hébreu Shalom (l’équivalent sémitique de Salaam en arabe) comporte en fait une envergure de sens bien plus large que simplement “paix.” Répandre le Shalom de Dieu c’est faire régner la prospérité équitable, étendre le règne de la justice à tous les niveaux, et apporter réconciliation là où le conflit et la guerre ont divisé et meurtri le tissu social humain. Par exemple, lorsqu’après la déportation des juifs à Babylone au sixième siècle avant JC la communauté juive enquête auprès du prophète Jérémie, celui-ci leur répond : “Construisez des maisons pour vous y installer . . . Mariez-vous, ayez des fils et des filles ; mariez vos fils et vos filles, et qu’à leur tour ils aient des enfants. Devenez ainsi nombreux là-bas, ne diminuez surtout pas ! Cherchez à rendre prospère la ville [lit. “ Cherchez le Shalom de la ville”] où le Seigneur vous a fait déporter, et priez pour elle, car plus elle sera prospère, plus vous le serez vous-mêmes” (Jérémie 29:3-7). C’est ainsi que nous arrivons au message central de Jésus : “Le moment fixé est arrivé, car le Royaume de Dieu s’est approché ! Changez de comportement et acceptez la Bonne Nouvelle !” (Marc 1:15). Jésus, le rabbin qui rassemble des disciples autour de lui, est surtout le messie promis qui vient proclamer et inaugurer le Royaume de Dieu qu’ont annoncé les prophètes avant lui. Citant avant tout le prophète Ésaïe, il proclame dans la synagogue de son village, “L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a choisi pour apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé pour proclamer la délivrance aux prisonniers, et le don de la vue aux aveugles, pour libérer les opprimés, pour annoncer l’année où le Seigneur manifestera sa faveur” (Luc 4:18-19). Bien sûr, ce royaume que Jésus incarne comprend plus que les prédications, les guérisons, et même les résurrections. Il était avant tout “le Fils de l’homme venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus” (Luc 19:10). Et c’est ainsi que la croix et la résurrection sont au cœur de la foi chrétienne. Mais c’est justement cela aussi qui rend possible la puissance et l’envergure de ce règne de Dieu, qui commença avec sa venue et son ministère en Palestine au premier siècle et qui sera consumé lors de sa deuxième venue à la fin des temps. C’est à dire que le Royaume de Dieu que vient inaugurer Jésus est une reprise de la création d’origine, teintée et souillée par une humanité rebelle, mais maintenant rachetée par l’amour rédempteur du Père Céleste qui envoya son Fils (au sens figuré). Ainsi tout disciple de Jésus doit vivre pleinement l’éthique de ce royaume. Comme nous le lisons au début du Sermon sur la Montagne dans les Béatitudes : “Heureux les pauvres en esprit … ceux qui sont dans la tristesse … les doux … ceux qui désirent avec ardeur la justice … les miséricordieux … les purs en leur cœur … ceux qui créent la paix autour d’eux … ceux qui sont persécutés parce qu’ils agissent comme Dieu leur demande, car le Royaume des cieux est à eux !” (Matthieu 5:3-10). Toute personne qui prend au sérieux le message de Jésus doit être quelqu’un qui cherche à réconcilier ceux qui sont en conflit, à s’occuper des pauvres et opprimés, et à prendre soin de son environnement naturel. “Vous êtes la lumière du monde,” dit Jésus. Mais c’est une lumière qui doit se voir – elle “doit briller devant les hommes, afin qu’ils voient le bien que vous faites et qu’ils louent votre Père qui est dans les cieux” (Mat. 5:16). Je n’ai pas l’espace ici de creuser davantage, mais j’ai un article sur ce thème qui a paru dans le journal Religions du Centre International pour le Dialogue Inter-religieux de Doha (Qatar, numéro 4, 2012).

11- Ne crains-tu pas une récupération politique de ces débat, et son utilisation malsaine par les extrémistes de tous bords ?  Bien sûr, c’est toujours possible. J’ai participé à un “pèlerinage pour la paix” en septembre 2000, retraçant l’ancien voyage des mages qui sont venus saluer l’enfant Jésus à Bethlehem. Personnellement je n’ai passé à Baghdad que quinze jours (ayant marché jusqu’à Ramadi), mais les autres ont couvert environ 2000 kms à pieds et à dos de chameau pour arriver à Bethléhem le 25 décembre 2000. Ils ont été accueillis avec grand enthousiasme et hospitalité par chrétiens et musulmans tout le long du chemin à travers l’Iraq, la Syrie, la Jordanie et les territoires occupés. Tout cela pour fêter l’anniversaire du Prince de la Paix et de l’amour, Jésus. Les musulmans étaient tout aussi emballés par le projet. Le iraquiens, souvenez-vous, étaient très isolés à l’époque. De plus, le voyage des mages est resté gravé dans la mémoire collective du moyen orient et Jésus pour les musulmans aussi est le prophète de la paix. “Priez pour nous quand vous arriverez à Jérusalem,” nous ont-ils tous dit. Je raconte cette histoire, parce que ce projet n’aurait pas vu la lueur du jour sans l’approbation de Saddam Hussein. Nous protestions aussi le régime des sanctions qui tuait plusieurs milliers d’enfants par an. Notre organisateur iraquien était un général de l’armée de l’air, un chrétien et de surcroit le président des églises évangélique de l’Iraq. Y-a-t-il eu récupération ? Sans doute, mais la valeur du projet en valait la peine. Ce genre de récupération est toujours possible. Et alors ? Il faut voir chaque cas et peser le pour et le contre. Mais en général, œuvrer pour la réconciliation – sans sacrifier la vérité, ce qui s’applique à tous les côtés, d’ailleurs – est toujours un objectif important en soi, et surtout dans notre monde d’aujourd’hui ! Quant aux extrémistes, je crois que le dialogue est le meilleur remède pour les marginaliser – quels qu’ils soient ! Est-ce risqué ? Sans doute, dans bien des cas. Mais il faut obéir à Dieu, coûte que coûte ! 12- Si c'était possible, accepterais-tu de participer à une rencontre-débat entre représentants des religions dites Abrahamiques qui se déroulerait en Algérie ?  Pourquoi pas ? Je crois que l’Algérie serait un excellent lieu de rencontre. Il y a eu Charles de Foucault, les moines de Tibhirine, et bien des musulmans comme Malek Bennabi aussi pour promouvoir le dialogue des civilisations et des religions ! Entretien réalisé par Nabil Z.

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