La semaine dernière, France 2 a diffusé un très beau documentaire du cinéaste franco-suisse, sur l’Algérie. Le documentariste est monté dans un hélicoptère et a filmé l’Algérie d’en haut. On a donc vu de magnifiques images.
Le documentaire en question a été coproduit par « Hope Production », avec le soutien de l’AARC qui est l’Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel, en collaboration avec le FDATIC, qui est un fonds dépendant du Ministère de la Culture chargé de soutenir la production cinématographique algérienne sous toutes ses formes, en collaboration avec CALT Production et la collaboration de France 2. Le film a été réalisé par Yann Arthus Bertrand et Yazid Tizi, un franco-algérien. Il avait pour objectif de montrer au public la beauté de l’Algérie. Ce qui est une excellente chose. D’aucuns demanderaient même, pourquoi on a attendu tout ce temps avant de réaliser ce documentaire.
Les prises de vues aériennes sont en effet époustouflantes et les téléspectateurs ont ainsi découvert des facettes encore inconnues de ce pays. Autant les algériens que les étrangers, puisque le film a été diffusé par France 2 par satellite, ce qui l’a rendu visible par des millions de téléspectateurs. Ce documentaire contribuera certainement à mieux faire connaître notre pays à l’international, et aidera à changer l’image parfois négative qu’en ont les occidentaux.
Cependant, et comme pour toute œuvre artistique, il y a des insuffisances, et parfois même des partis-pris dans ce documentaire, qu’il faudrait mettre en avant afin d’essayer de décoder le message que ses commanditaires voulaient faire passer. Car, il a tout l’air d’être un film commandé, cachant avec peine l’aspect propagandiste de ce travail.
Il y a bien sûr le choix des sites filmés. Ainsi, tout ce qui ne fait pas spécifiquement partie de l’idéologie dominante concernant notre histoire profonde et notre identité amazighe ont été passé sous silence. Point d’images d’Imedracen, du tombeau de Massinissa, des Djeddars, … qui sont pourtant des œuvres magistrales, venant tout droit de notre histoire nationale. Mais, passons. C’est le choix de l’auteur qui a un regard tout à fait subjectif sur notre pays, et c’est bien son droit. De toutes les façons, il n’y avait pas suffisamment de place dans la vidéo pour aborder tous les magnifiques paysages de notre pays. Il faut donc faire des choix et supprimer des éléments. Autant que ce soit ceux qui dérangent.
Mais il y a plus grave. Caché derrière les magnifiques images projetées, un commentaire accompagnait le téléspectateur pour l’aider à comprendre ce qu’il découvre dans ces prises de vues parfois époustouflantes. Ainsi, tout au long du documentaire va être énoncée une série de mensonges et de contre-vérités à propos de l’histoire de notre pays. Au mépris de la rigueur et de l’objectivité, les commentaires vont prendre le parti de la thèse officielle distillée depuis des lustres sur notre peuple, son identité et son histoire. Les producteurs, loin d’être des ignorants ont fait des choix subtils, permettant de faire passer leur message pour, encore une fois approfondir les mensonges à propos de notre identité. Ce n’est pas seulement de l’ignorance et de l’approximation, c’est un fait exprès, et Yann Arthus Bertrand s’en est fait le complice. Conscient ou pas, il ne semble pas qu’il ait appliqué la rigueur dont un journaliste de sa trempe est comptable. Mais nous dira-t-on, quand on reçoit des milliards du gouvernement, avec ses multiples aides et ses subventions de toutes sortes, il ne faut pas être trop regardants sur les détails, quitte à reprendre sans les vérifier, les suggestions d’écritures à insérer dans le scénario, écrit par Michaël Pitiot et Yann Arthus Bertrand lui-même, pour obtenir tous les fonds nécessaires. Et pour redorer son image, le gouvernement algérien ne regarde plus vraiment à la dépense. Les exemples sont nombreux dans ce domaine pour étayer ces remarques.
Ceci dit, le déroulement du film nous permet, avec un certain recul, de se concentrer sur les commentaires du film dits par un certain Jalil Lespert. Il faut dire que ces mêmes textes ont été soigneusement écrits, ce qui donne au tout une certaine cohérence apparente.
Dès le début du film, la voix du narrateur expose les motivations de Yann Arthus Bertrand qui l’ont emmené à réaliser ce film dont il assume entièrement la responsabilité, puisqu’il en est l’auteur principal.
Ainsi, et en faisant attention à ce qui y est dit, et dès la troisième minute du film, on est surpris d’entendre dire que le nom d’El Djazair est un nom arabe qui veut dire « Iles », du nom des quatre ilots qui bordent la baie d’Alger. Sans nuance aucune, l’auteur prend parti pour une thèse pour le moins controversée. Ainsi, « Iles » en arabe ne se dit pas Djazair, mais « Djozor ». Ce qui met à mal cette thèse. Djazair, est en effet un arabisme, ayant détourné le vrai nom de la ville, puis du pays, à partir de l’original, « Dzaiër ». La ville d’Alger a été fondée par un certain Bologhine ben Ziri, un authentique berbère Senhadji qui fonda la dynastie des zirides, en édifiant, entre autres, la ville d’Alger sur les ruines de la ville ancienne. Dzaiër Beni Mezghenna se réclame, comme l’indique le mot Mezghenna, de la berbérité, puisqu’il est directement dérivé du mot « Amazigh ». Dzaiër Beni Mezghenna ne veut dire rien d’autre que « Alger l’Amazighe ». Rien à voir avec un quelconque nom arabe, turc ou autre. Mais la politique d’arabisation menée à la baguette depuis des lustres a voulu rattacher le nom de la ville à des origines arabes, totalement inexistants. Cette politique a d’ailleurs été généralisée un peu partout pour essayer d’arabiser les toponymes amazighs.
La même subtilité a été reproduite quelques secondes plus tard (3’37), qualifiant la Casbah d’Alger d’ « Arabo-berbère », puis un peu plus loin (6’25) « la Casbah sent l’ottoman, le turc du 15eme siècle ». En fait, selon ce documentaire, Alger et la Casbah sont tout, sauf amazighs. S’il y a une seule goute d’amazighité dans ce lieu, il doit être nécessairement dilué dans une autre civilisation, romaine, arabe turque ou française.
A la treizième minute, le narrateur affirme sans nuances, que les numides ont été « le premier peuple installé sur les côtes » algériennes. Etait-ce pour insinuer que les numides viendraient d’ailleurs, et qu’ils n’auraient occupé que la bande côtière de l’Afrique du Nord ? Tout le monde sait que les numides aux côtés des gétules, des garamonds, des nazamons et autres tribus sont les peuples autochtones de la région. Les premiers envahisseurs furent les phéniciens qui ont en effet occupé les côtes de la grande majorité des pays méditerranéens. Pas seulement de l’Algérie.
La même subtilité a été utilisée à la vingt et unième minute évoquant les origines berbères de Saint Augustin. Etait-il si difficile de dire simplement qu’il était berbère ? De la manière dont ç a été dit, on dirait qu’il avait changé (pourquoi pas, devenu romain ?). Saint Augustin n’était pas seulement « d’origine » berbère. Il était à cent pour cent amazigh. C’est l’une des gloires de ce peuple, et personne ne pourra la lui soustraire.
A la quarantième minute, le narrateur rappel qu’Ibn Khaldoun est un historien « arabe ». Il est rare de trouver cette affirmation de cette façon crûe dans la littérature. Généralement, « Ibn Khaldoun » est qualifié de Maghrébin. Cette mention, a-t-elle été sciemment mise de côté pour ne garder que le côté « arabe » du personnage. Côté dont il ne se revendiquait plus, au vu de ses publications sur l’histoire des berbères et les virulentes critiques qu’il a proférées à l’encontre des arabes.
Selon Yann Arthus Bertrand, « les kabyles seraient rentrés dans l’histoire pour avoir abrité le congrès de la Soummam ». Avant le 20 Août 1956, point de kabyles dans l’histoire alors, selon le documentariste. El Mokrani, Cheikh Aheddad et Fatma N’Soumer n’auraient donc pas fait souffrir les colons français. Les Archives de la révolte d’El Mokrani, selon certaines sources constituent un tiers du fonds du Centre d’Archives d’Aix- en Provence. Les Koutamas, les Senhadjas et les hammadites n’auraient compté que pour du beurre. Et plus loin encore, dans l’histoire, Firmus et Takfarinas n’auraient donc pas fait trembler Rome ? Léonardo Fibonacci n’aurait donc pas vécu en Kabylie pour y étudier et mettre en place ses lois mathématiques qui ont révolutionné les sciences en occident ?
Le parti pris de Yann Arthus Bertrand et de ses collaborateurs est tellement flagrant, qu’à la quarante-troisième minute du film, le narrateur ne trouve rien d’autre à dire, pour commenter les hautes montagnes enneigées de Kabylie que « ici aussi on parle arabe ». Et pour bien appuyer la chose, une minute plus tard il ajoute « les kabyles étaient appelés Barbarus par les romains ». Ce peuple qualifié de barbare, à l’exception de tous les autres, est-il si méprisable aux yeux de ce documentariste ?
Voilà un peu les dessous de ce documentaire sensé faire connaître la beauté de l’Algérie au monde. Une Algérie tellement belle qu’il faudrait lui donner un teint arabe, turc, romain ou français. Surtout, cacher ces berbères qu’on ne saurait voir.
Il y a encore beau d’autres affirmations et déclarations tout à fait contestables dans ce documentaire. Et il serait trop long de les citer toutes. Mais entre les mensonges et les contre- vérités, le doute s’installe dans les esprits. Ce qui n’est que pure propagande risque de devenir vérité historique. Et le préjudice subi par notre peuple au travers de ce genre d’actions est difficile à estimer.
Gloser sur les partis pris des pouvoirs publics algériens pour une Algérie arabe, serait une redite qui ne mériterait pas qu’on gaspille de l’encre à son sujet. C’est tellement évident que ce serait une perte de temps, même s’il n’est pas tout à fait inutile de le rappeler. Mais qu’un journaliste de réputation internationale se prête au jeu, et mette son nom au service d’une idéologisation d’un pouvoir politique agonisant et participer à la tentative de génocide culturel et identitaire contre les habitants authentiques de ce pays, il est pour le moins légitime de se poser des questions sur la valeur intellectuelle des travaux de Yann Arthus Bertrand, que désormais, nous ne regarderons qu’avec distance et méfiance.
Nabil Z.
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