L’Algérie est en train de vivre quelque chose qui ressemble à une vraie révolution. Et ce qui commence en Algérie a des répercutions inévitables sur les pays environnants.
Tamazgha est une terre de combats depuis les temps les plus anciens. Si les amazighs sont connus pour leur patience, ils sont surtout redoutés pour ses limites. De façon soudaine et inattendue, cette patience prend fin pour laisser la place à un soulèvement populaire des plus incontrôlables. Ce fut le cas depuis la Libye antique, l’Afrique romaine et la Maurétanie, puis plus tard au Maghreb. L’un des soulèvements les plus connus reste celui des Circoncellions, qui a été l’expression du mécontentement du peuple à l’égard de ses gouvernants et de l’oligarchie qui caractérisait le pouvoir de cette époque, laissant les opportunistes s’enrichir sur le dos du peuple réduit en un simple instrument de travail au service des riches.
Tagrawla est donc le soulèvement d’un peuple, et non une stratégie de pouvoir comme on peut le voir aujourd’hui, où le mot pompeux de « révolution » est utilisé pour décrire les décisions prises par des pouvoirs despotiques au détriment de leurs propres peuples. Ainsi en a-t-il été pour la Révolution communiste en Chine, ou le pouvoir a sacrifié des millions de citoyens pour imposer la sa politique qui s’est avérée catastrophique. Révolution culturelle, agraire, industrielle, etc… Toutes les révolutions décidées en Haut lieu ont échoué.
En Algérie, la Révolution n’a pas été décidée par un gouvernement, un parti politique ou un groupe d’influence. Elle a été le fruit des aspirations populaires depuis le début du 20eme siècle, et qui a abouti à un sursaut populaire ayant conduit à l’indépendance du pays. Cette aspiration à la liberté est partagée par tous les peuples, notamment ceux de l’Afrique du Nord. C’est ce sursaut du peuple d’Algérie qui a également permis aux voisins de croire en leur avenir et de faire en sorte que leur indépendance devienne possible.
Plus près de notre époque, c’est le Printemps Berbère d’Avril 80 en Kabylie qui a permis le sursaut des régions berbérophones au Maroc et qui a encouragé les tunisiens à agir pour se débarrasser de la dictature de Benali, et aux libyens de se libérer de Kadhafi. Malgré les manipulations et les personnes qui tiraient les ficelles en Libye et en Egypte, c’est le sursaut populaire qui a permis la révolution.
La question qui se pose est la suivante : si la révolution en Algérie se produit suite à ce sursaut populaire que personne n’attendait plus, quel en serait le but ? Serait-ce d’empêcher une personne quelle qu’elle soit de se représenter illégitimement aux élections truquées d’avance, de chasser « le système » du pouvoir, ou bien autre chose encore ? Quel est l’objectif final que ce sursaut poursuit ? Car une fois ce premier objectif atteint, il y a un grand risque de se retrouver face à un vide qui créerait des divisions, puisque chacun pourra essayer d’imposer la suite des événements selon sa propre vision et ses propres objectifs. C’est ce qui s’est passé en Octobre 88 quand, suite au soulèvement populaire on avait cru que le système du Parti Unique était tombé, on s’est retrouvé d’un côté avec une pléthore de partis uniques, et de l’autre, un parti unique en son genre qui avait décidé de chasser par les armes ceux qui de son propre peuple avait des convictions et des aspirations différentes. Tout cela, sous la houlette du Parti Unique devenu Parti Inique. Le résultat se compte en dizaines de milliers de morts.
Tagrawla, en français, Révolution est un mot qui a un sens. Il est à rapprocher de Repentance. Littéralement, retour en arrière. Aller dans le sens opposé en prenant la direction de ses sources et de ses origines. Il ne s’agit nullement d’un simple changement de direction, mais d’un véritable retour vers la base. Et c’est en cela que l’actuel soulèvement pourrait être intéressant. Cette nouvelle Révolution, si elle confirme son statut, devrait permettre au peuple de se poser les bonnes questions et ne pas se contenter de la revendication première qui est celle de se débarrasser du système actuel. Car il se pourrait qu’il soit remplacé par un autre qui serait pire.
Pour cela, Il est important de reconnaître les mauvais choix et les mauvaises décisions prises par nos prédécesseurs, même sincèrement, et qui nous ont conduits à la situation actuelle. Il y a eu une série de décisions catastrophiques qui ont été prises depuis plusieurs siècles et qui nous ont conduits à nous renier, renier notre identité, notre personnalité, notre histoire et notre culture, nous faisant devenir un peuple instable et fragile, à la merci des divisions internes et des convoitises externes. Ces erreurs ont été nombreuses. Mais il y en a une qui a été plus grave que toutes les autres. Celle qui nous a fait tourner le dos à ce que nous étions, et que nous sommes encore même si cela ne se voit plus. Nous sommes le peuple de l’Afrique du Nord, le peuple de Tamazgha, de cette terre que Dieu nous a confiée afin d’en prendre soin, de la cultiver et de la développer. Et nous n’en avons pas été dignes. Nous l’avons prêtée à des étrangers pour qu’ils en profitent et qu’ils en exploitent les richesses à leur propre profit, nous réduisant en esclavage. Pire, nous avons produit les idées, la théologie et la philosophie qui ont permis à ces mêmes étrangers de se développer en nous écrasant, parce que nous avons renié ce qui faisait notre force. Mais il y a pire encore. Nous nous sommes reniés, et nous avons voulu ressembler à ceux qui sont devenus nos maîtres en utilisant nos propres atouts et nos propres pensées dont ils se sont accaparés et qu’ils se sont appropriés. Et il y a encore pire encore, nous nous sommes reniés, renié nos pères, notre mère et toute la bonté du Créateur envers nous, pour changer d’identité, de culture, de comportement, et même d’horizon.
Ce sont ces erreurs qu’il faudra identifier de manière précise, avec sérénité et courage, pour se débarrasser des germes du sous développement et de l’esclavage spirituel dans lequel nous nous trouvons, en se réappropriant notre richesse identitaire, culturelle et civilisationnelle. L’étude de notre culture et de notre histoire ne devrait plus s’arrêter à celle de la « Révolution », mais devrait remonter aux temps les plus anciens. Découvrir les proto-berbères, étudier les périodes grecque, punique, romaine, vandale, byzantine, arabe, espagnole, turque, française, et faire en sorte qu’elles restent dans l’histoire. Il faudra voir comment en tirer profit, et faire en sorte qu’elles ne se reproduisent plus. Car nos ancêtres ont payé le prix fort pour maintenir tant bien que mal cette civilisation berbère et de nous la transmettre. Nous avonsla responsabilité de la développer et de la passer aux générations futures en meilleur état que celui dans lequel nous l’avons reçue. Pour cela, il est urgent de mettre un terme à cette usurpation d’identité d’un Maghreb supposément arabe, imposé par le colonisateur français et largement appliqué par les pouvoirs en place depuis l’indépendance.
Nous avons une histoire riche, profonde, avec ses point-forts et ses points faibles. Ces derniers nous ont aveuglés et faits en sorte que nous ayons honte de notre histoire et de nos origines. Et pourtant, ses points-forts sont si nombreux que personne n’a encore réussit à les compter. Depuis les proto-berbères, ceux du Sahara, du Nil, des Aurès, de l’Atlas, du Djurdjura, des Babors, … nous avons donné à l’humanité ce qu’elle n’aurait jamais pu développer sans nous. Apulée, Augustin, Tertullien, Juba, Térence, Félix, Africanus, et tant d’autres qui ne figurent même pas dans nos manuels scolaires et qui font des apparitions tellement rares dans les sujets abordés dans nos universités par des doctorants aussi rares que courageux. Combien d’Université ou de Grandes Ecoles portent les noms d’Augustin ou d’Apulée ? Combien de théâtres honorent Térence ? Combien d’hôpitaux sont appelés du nom de Théodore Priscien ? Combien d’écoles portent le nom de Tertullien, de Julius Africanus, de Lactance ? Combien de places publiques ont été baptisées des noms de Jugurtha ou de Tacfarinas ? Combien de bâtiments officiels portent les noms de nos glorieux rois amazighs, Massinissa, Juba, Micipsa, Kahina, et tant d’autres ?
Ne nous contentons pas de faire une révolution éphémère qui consisterait seulement à se débarrasser de personnes et de systèmes. Allons au fonds des choses et accomplissons une véritable Révolution civilisationnelle, de nature identitaire et spirituelle en nous réappropriant notre histoire, toute notre histoire, en en assumant toutes ses dimensions, tout en faisant preuve d’intelligence pour en tirer le meilleur pour notre peuple amazigh et notre nation Tamazgha. Cette opportunité offerte au peuple algérien pour conduire cette Révolution est de l’ordre de l’exception, et il faudrait la saisir tout de suite. Les autres populations amazighs d’autres pays nous regardent et nous attendent. Révolution de paix et non de malheur, afin que nous ayons de l’avenir et de l’espérance.
Nabil Ziani
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