La discrète, mais efficace chercheuse en anthropologie berbère, Nedjma Bitout Plantade vient de décéder des suites des suite d’une longue maladie, à l’âge de 64 ans. Elle a beaucoup apporté à la recherche anthropologique amazighe.
Nedjma a d’abord fait des études de psychologie à l’université Paris XIII. Puis, elle s’inscrit à A l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) pour obtenir un Doctorat en anthropologie sociale et culturelle. Sa thèse consacrée à la femme kabyle avait pour titre « Magie et sexualité féminine en Kabylie », alliant études théoriques et pratique de terrain effectuée à l’hôpital psychiatrique de Oued-Aïssi à Tizi-Ouzou. Elle s’est en parallèle engagée dans l’étude de la langue amazighe et obtient le diplôme de l’Institut national des langues et civilisations orientales, INALCO, sous la direction de Salem Chaker.
En 1988, elle publie « La guerre des femmes » chez l’Harmattan, et commence à se faire connaître du grand public. Elle puise dans sa thèse et raconte comment les femmes utilisent lesservices de magiciennes en Kabylie pour écarter les rivales. Elle passe en revue plusieurs rituels magiques utilisés par les femmes, non seulement en Kabylie, mais aussi ailleurs en Afrique du Nord. Des pratiques qui remontent à la nuit des temps. Pour Jean Dejeux « L'auteur, qui a été élève de Georges Devereux, a mené une recherche assez rarement entreprise, mise à part l'étude de Devulder dans la Revue africaine en 1957 sur "le rituel magique des femmes kabyles" ou encore l'étude de M. Viroile-Souibès et T.Titouh-Yacine dans "L'Ethnographie" en 1982. Le travail de Nedjima Plantade est beaucoup plus important et constitue désormais une source de référence ». Elle ente ensuite au CNRS ou elle se spécialise dans l’ethnologie de laKabylie. Elle y publie de nombreux articles comme « La Fontaine du destin : le 40eme jour après la naissance en Kabylie ». Elle rejoint ainsi un autre grand anthropologue issu de la même région, Slimane Rahmani.
Cinq ans après, elle publie un deuxième ouvrage, « L’honneur et l’amertume ». Un véritable témoignage sur la vie quotidienne d’une femme kabyle. Un peu comme Camus qui a consacré une série d’articles puis un live sur la misère en Kabylie, Nedjma Plantade s’y attarde également et met en lumière une certaine violence qui existait (qui existe encore?) dans les rapports entre hommes et femmes dans la société kabyle, ainsi que celle entre les femmes kabyles elles-mêmes, dans le contexte de l’immigration kabyle en France durant les années 1960. Dans ce livre elle a donné la parole à une femme kabyle née en 1927 dans la vallée de la Soum-mam, Louisa Azzizen, dont la famille a été liée par mariages avec les Iflanen. Elle a raconté sa vie en Kabyle et Nedjima la retranscrit en français. Trois périodes de la vie de la femme kabyle ont ainsi été explorées : la tradition qui vient du fin fonds de l’Histoire, la période coloniale, et lavie dans l’émigration. Pour Jean Dejeux « Nedjma rejoint Mouloud Feraoun qui voulait montrer d'abord et avant tout que les Kabyles étaient des "hommes" comme les autres. Des hommes avant tout. Ici une femme avant tout, mais dans une condition imposée de soumission, toujours néanmoins avec un honneur (un nîf) profond à sauvegarder ».
Les publications académiques de Nédjma font référence dans les milieux universitaires spécialisés, et plusieurs de ses articles sont publiés dans des revues prestigieuses, à l’instar de la « Encyclopedia of Women and Islamic Cultures » avec son thème de prédilection : « Women, Gender, Magic, Fortune Telling and Amulets : North Africa » ou elle décrit les pratiques magiques des femmes en Afrique du Nord.
Ensuite, Nedjma explore le côté historique en étudiant l’origine berbère des mythes de Psyché et de Cupidon, rapportés par Apulée de Madaure dans son livre « Métamorphoses ». Les grecs l’auraient par la suite intégré dans leur culture et leur mythologie. Elle poursuivra cette étude et publiera deux importants articles à ce sujet. le premier « Du conte berbère au mythe grec : le cas d’Éros et Psyché » a été publié dans la Revue d’études berbères en 2013, tandis que le second a été rédigé en anglais et publié dans un ouvrage collectif sur Apulée et l’Afrique l’année suivante aux Etats-Unis. Elle a également publié plusieurs notices dans l’Encyclopédie berbère fondée par Gabriel Camps et dirigée par Salem Chaker.
Il y a quelque chose d’intéressant dans les recherche de Nedjma Plantade, puisqu’elle a exploré les croyances et les anciennes des berbères, bien avant l’installation des religions dites monothéistes en Afrique du Nord. Son but était de remonter jusqu’à la religion primitive des berbères et ses croyances, avec ses divinités, ses rituels et les conditions de ses pratiques. Elle a croisé toutes les données auxquelles elle a pu accéder concernant les périodes les plus reculées de l’histoire, en Afrique du Nord et dans tous les alentours africains et méditerranéens. C’est un travail monumental que la maladie ne lui a pas permis d’achever. Espérons que d’autres sauront reprendre le flambeau. Car la détermination de ces pratiques anciennes, permettraient d’expliquer les comportements actuels, malgré les teintes et évolutions qu’ils ont subis avec le temps. Les cultes d’Anzar, de Yakouche et autres Tanit perdurent encore sous d’autres formes en Afrique du Nord, et se sont peu à peu transformés sous l’influence des autres pratiques importées notamment par les différents envahisseurs.
Nedjma Plantade avait aussi des engagements citoyens, témoins de ses fortes convictions internes. Elle a notamment soutenu le “mouvement amazigh” dans son ensemble et a fréquenté les milieux berbéristes depuis les années soixante-dix. Elle a même fondé une association nommée « Abrida », et elle a connu les fondateurs du Congrès Mondial Amazigh. Elle est décédée le 13 Décembre dernier dans la discrétion qui l’a caractérisée durant toute sa vie. Ses travaux de recherche, ses œuvres et publications ont besoin de mieux être connus, et le public gagnerait à les découvrir.
Nabil Z.
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