L’écrivaine-sociologue marocaine Fatima Mernissi vient de décéder ce trente novembre à l’âge de soixante-quinze ans. Elle a été rendue célèbre dans les années quatre-vingt grâce à son féminisme et ses combats pour l’émancipation de la femme musulmane.
Fatima Mernissi a publié au milieu des années quatre-vingt, son premier ouvrage aux éditions Maghrébines, sous le titre de « Sexe, idéologie, Islam ». Le titre en lui-même avait déjà soulevé l’ire des islamistes qui voyaient mal une femme aborder la thématique du sexe, de plus en rapport avec la religion. Elle récidivera les années suivantes en continuant à traiter de la problématique de la sexualité dans les sociétés musulmanes, surtout en rapport avec la femme. En mil neuf cents quatre-vingt-sept, elle sortira « Le Harem Politique, le Prophète et les femmes », chez Albin Michel. C’est cet ouvrage qui la fera sortir du carcan marocain pour la propulser dans tout le Maghreb, puis en Europe. C’est la consécration. Elle est devenue petit à petit une véritable icône pour la génération d’intellectuels maghrébin de cette époque.
Son courage la mènera petit à petit à s’imposer au-delà du genre « essais », par celui du roman fictionnel, quand elle publiera « Rêves de femmes », à la fin des années quatre-vingt-dix. Elle y mettra en scène une série de figures féminines, dans des histoires proches des mil et une nuits, dans une société patriarcale, ou l’espace féminin était réduit, entouré par des frontières hermétiques. Cet ouvrage la fera connaître davantage, puisqu’il a été traduit dans près d’une trentaine de langues. Le genre romanesque a ainsi permis à Fatima Mernissi de s’affranchir des contraintes des ouvrages dits scientifiques publiés dans un cadre universitaire. Elle trouve ainsi dans le roman un espace d’expression propre à elle, ou elle arrive à décrire à partir de récits vécus ou pas, parfois autobiographiques, parfois fictionnels, des situations complexes renfermant le vécu réel des femmes musulmanes.
Sa notoriété grandissante lui ouvre aussi des portes pour animer des conférences à divers endroits dans le monde, et lui permet de recevoir de nombreux prix et distinctions.
Malgré l’opposition des islamistes à ses œuvres, elle continue le combat pour la liberté et l’émancipation des femmes en s’engageant dans le mouvement associatif ou elle donne des cours d’écriture pour permettre aux gens de s’exprimer et de développer leur esprit créatif. Elle s’engage ainsi dans plusieurs actions en faveur de la liberté et de l’émancipation des femmes en terre d’Islam.
L’écrivaine marocaine a eu une scolarité particulière qui l’a préparée à une carrière de cette ampleur. Après avoir suivi des études universitaires au Maroc, Fatima Mernissi a continué à laSorbonne avant d’obtenir son doctorat aux Etas-Unis, sur la thématique de l’entrave à la liberté des femmes dans les pays musulmans. Courageuse, elle décide de mener son combat dans son pays natal ou elle retourne enseigner, continuant à écrire, publier et militer. Sa disparition est certainement un coup dur pour les militants de la cause féminine dans le monde musulman. Surtout que Fatima Mernissi a su allier courage et maitrise d’un certain niveau de connaissance qui lui a permis de tenir tête aux plus rudes islamisants dans son pays, mais aussi dans tout le monde musulman. Sans remettre en cause le dogme islamique, elle a affirmé à plusieurs reprises que les textes musulmans ont été détournés et transformés pour permettre à l’homme de dominer sur la femme. Elle a remis en cause certaines déclarations d’Abu Horeira, et le comportement qu’elle jugeait misogyne du Calife Omar, en développant une argumentation que ses détracteurs avaient de la peine à démonter. Ses livres ont longtemps été disponibles dans les librairies algériennes, et s’ils ne sont pas épuisés, il faut vite courir s’en procurer, car ils deviendront vite difficiles à trouver.
C’est ainsi qu’une douzaine de titres ont été publiés par cette grande dame. Nous pouvons citer, outre « Le Harem Politique » et « Rêves de Femmes », « les sultanes oubliées : femmes chefs d’Etats en Islam » en 1990, « Le Harem et l’Occident », en 2001, etc…Fatima était trilingue. Elle passait aisément de l’arabe au français, puis à l’anglais. Elle n’avait donc aucun complexe lié à la langue. Elle a aussi partagé les combats féministes en Algérie comme le font encore plusieurs de nos écrivaines comme Leila Sebbar, Malika Mokaddem, Maissa Bey, et elle a dirigé une collection « La femme et la Loi en Algérie ».
Nabil Z.
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