Elissa Rhaïs était une écrivaine algérienne née à Blida à la fin du dix-neuvième siècle. Elle était de condition modeste, et a dû travailler pour gagner sa vie avant son mariage. Elle était écrivaine et auteure de romans comme de nouvelles. Ses histoires au nombre de plus d'une douzaine se déroulaient toutes en Algérie. Elle demeure l'une des écrivaines d'Algérie les moins connues.
Elissa Rhais était un pseudonyme. Son véritable nom était Rosine Boumendil. Son père était boulanger à Blida. Elle s'était mariée jeune et a vécu dans la basse Casbah à Alger. Elle eut trois enfants dont deux sont morts relativement jeunes. A l'âge de trente-huit ans, elle divorce pour immédiatement se remarier avec un homme riche et vit à la Villa des Fleurs, à la Colonne Voirol à Alger, dans l'actuel Boulevard Souidani Boudjemaa. Vivant dans un certain confort, elle ouvre chez elle un salon littéraire ou elle reçoit tout le monde culturel d'Alger. Dans son salon, Elissa faisait montre d'un talent certain comme conteuse d'histoires du terroir de sa région natale, entre Blida et Médéa. Elle le fait tellement bien que des critiques littéraires lui conseillent de publier ses histoires. Ce qu'elle a fait en en envoyant à des revues littéraires, malgré le désaccord de son mari. Ils finirent par se séparer, et Elissa va s'installer en France dès 1917, accompagnée de son fils, de sa fille et de son autre fils, adoptif, Raoul-Robert Tabet. La Revue des deux mondes va publier trois de ses nouvelles, avant que les éditions Plon ne la remarquent et lui proposent un contrat de cinq années. Aux Editions Plon
Louis Bertrand recommande la future écrivaine à René Doumic de l'Académie française, et directeur de la Revue des Deux Mondes. Très tôt, les responsables des éditions Plon qui ont vu que ses textes correspondaient à une certaine attente du public, ont compris la nécessité du Marketing pour faire connaître l'écrivaine et doper les ventes de leurs produits. Avec Elissa Rhaïs, ils inventent un nouveau personnage qui va booster l'écrivaine de Blida et la rendre célèbre. Désormais Rosine Boumendil, juive d'origine, est présentée comme une musulmane qui a appris le français grâce à l'école publique française en Algérie. Elle serait donc le fruit des bienfaits de la colonisation. Ses contes disait-on, elle les tenait de sa grand-mère toute aussi musulmane, et elle même aurait porté très jeune, le Haïk à la manière des indigènes algériennes, puis libérée grâce à son éducation. Cette nouvelle image concoctée par les responsables de Plon vont lui créer un genre de mythe qui attire l'attention du monde littéraire avide d'exotisme, et fait vendre ses livres comme des petits pains.
A Partir de 1919 ou elle s'installe à Paris, Elissa Rhais publie près d'une dizaine de romans et trois nouvelles. Un de ces romans va attirer l'attention de la Critique qui l'encens et contribue à encore mieux la faire connaître. "Les Juifs ou la fille d'Eléazar" est un roman d'amour dont l'histoire se déroule en Algérie au sein de la communauté juive locale. Sa renommée et ses moyens s'accroissent et Elissa reprendra son aventure algéroise inachevée et ouvre un nouveau salon littéraire à Paris ou elle reçoit de nombreux écrivains, comme Colette, Jean Amrouche, Sarah Bernardt, etc...
Fin d'une histoire.
En 1930, Rosine Boumendil a une nouvelle fois rendez-vous avec le destin. Après un voyage effectué au Maroc en famille, sa fille Mireille meurt à Alger à l'âge de vingt-deux ans, d'une fièvre typhoïde. Elissa est brisée et cesse d'écrire, pour entièrement se retirer de la vie publique. Elle vit désormais avec son fils adoptif, devenu son amant. Malgré ses voyages en Algérie ou elle retourne à quelques reprises à Blida, ou elle a acheté une villa qu'elle avait baptisée "Villa Saada", du nom de son premier roman, elle n'arrive plus à écrire. Petit à petit, la conteuse "musulmane" de Blida va disparaître des librairies et se fait oublier, pour y mourir dix ans plus tard, en 1940.
Supercherie littéraire ?
Déjà, dès les années trente, Elissa Rhais était devenue la cible des critiques, sitôt son histoire personnelle découverte. En un rien de temps, elle était devenue la bête à abattre par différents auteurs relayés par différentes publications. Elle était traitée d'imposteur, pour s'être faite passer pour une musulmane. l'Algérianiste Lucienne Favre, auteure elle aussi d'une douzaine de livres, dont "Bab El Oued", "Tout l'inconnu de laCasbah d'Alger", "Mourad, la toison d'or", etc..., avait écrit: "il y a une vieille Juive, ancienne femme de rabbin, qui se fait passer pour une Arabe, et raconte d'une manière fausse des histoires sur notre race et nos traditions. Elle gagne ainsi énormément d'argent dit-elle". Elissa se voit refuser la Légion d'honneur à cause de cette supercherie. Ce qui passe aujourd'hui pour une pratique normale, était encore à l'époque jugé choquant. La pratique du pseudonyme et l'invention de fausses histoires pour embellir une biographie est utilisée de façon courante par les éditeurs et producteurs de films. Et cela n'en fait pas du tout un scandale.
Mais, en 1982, le fils de son amant, du nom de Paul Tabet, publie un livre au nom évocateur, "Elissa Rhais". Il y raconte que son père lui avait déclaré qu'il avait été le véritable auteur des romans de l'écrivaine de Blida, créant ainsi une polémique aux dimensions d'un véritable scandale littéraire. Paul Tabet est aussitôt pris d'assaut par la presse pour essayer d'en savoir un peu plus. Il a même été invité par Bernard Pivot dans Apostrophes, augmentant ainsi la publicité faite autour de ce pavé. Mais très vite, le monde littéraire reprend la main pour essayer de rétablir l'écrivaine dans sa véritable dimension. Il est vrai que Raoul Tabet fut le secrétaire d'Elissa. Est-ce à dire qu'il lui est arrivé de collaborer dans quelques uns de ses romans, allant peut-être même jusqu'à devenir son nègre? Sans savoir qu'elle était déjà morte, des intellectuels de Kherrata lui écrivent: "Nous ne nous lassions pas d'écouter vos récits, lors de votre passage chez nous". Le talent d'Elissa, c'est tout ce qui comptait pour les lecteurs. Les dessous de sa vie privée ne les intéressaient que très peu.
En critiquant le livre de Paul Tabet, Jean Déjeux, spécialiste de la littérature algérienne rapporte: "Il est difficile de juger de la véracité du livre de Paul Tabet. Nous ne savons pas dans quels termes son père lui a conté son aventure. Si la première lecture de l'ouvrage peut entraîner une certaine adhésion, une lecture attentive incite à une prudente réserve. Paul Tabet fait fi d'un certain nombre de dates (certaines citées sont fausses purement et simplement : ce "récit authentique" n'est-il alors qu'un roman?), il amalgame des faits, des situations ; il est quasiment impossible de vérifier certains documents cités". De plus, un certain nombre de membres de la famille d'Elissa, encore vivants au moment de la sortie du livre de Tabet ont réagit en dénonçant la supercherie non d'Elissa, mais du fils de son amant, "fils du nègre". "Elle a tout écrit" avançait son neveu, avocat au barreau de Paris. "Son amant se contentait de faire les corrections de syntaxe et d'orthographe, sans jamais toucher en quoi que ce soit en se gardant de toucher à l'intrigue". De son coté, la grande majorité des critiques de la littérature maghrébine ne croient pas un mot aux déclarations de Paul Tabet. Ce scandal de Tabet a fait le tour du monde et s'est retourné contre lui. Aussi bien dans la littérature française qu'anglosaxone, tous se sont retournés contre lui.
L'apport d'Elissa Rhais à la littérature algérienne fut cet exotisme qui a permis une incursion dans un monde jusque là inconnu des français, et demeuré impénétré par les littérateurs métropolitains. Elissa Rhais a donc ouvert les portes d'un monde clos, réservé aux seuls indigènes vivant dans une certaine réclusion, à l'abri des regards des colons, même les mieux informés. Quelques années plus tard, un autre écrivain fait pénétrer les lecteurs dans ce monde incroyable qui fut celui de Dar Sbitar. Mohamed Dib, dans une trilogie historique a décrit comme personne d'autre depuis Elissa Rhais, le mode de vie des indigènes, conté de l'intérieur.
Blida a produit nombre d'autres auteurs, célèbres parce qu'ils y sont nés, y ayant vécus ou simplement y étaient de passage et ayant été frappés puis influencés par cette région terreau de culture et de vie intense. On peu citer l'historien Charles André Julien, le célèbre médecin psychiatre Frantz Fanon, André Gide, Eugène Fromentin, Alphonse Daudet, Louis Bertrand, Tremley, etc...
Qui connait aujourd'hui Elissa Rhaïs? Qui en a entendu parler? Plus personne n'en parle ni dans les journaux, ni dans les magazines littéraires. Même à l'Université algérienne, nul ne fait mention de son nom, ou alors, de manière exceptionnelle et marginale. Pourtant, auteure d'une douzaine de livres, elle demeure l'une des plus prolifiques du vingtième siècle, issue de la terre de ses ancêtres en Algérie. Sans doute mériterait-elle d'être plus connue par les nouvelles générations, et un hommage officiel et public à son endroit, serait-il des plus bienvenus. Parmi ses publications, nous pouvons citer "Saâda la Marocaine", publié en 1919 ; "Le Café chantant", en 1920 ; "Les Juifs ou la fille d’Eléazar", en 1921 ; "La Fille du douar", en 1924, "La Convertie, en 1930, etc...
Nabil Z.
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