Khaled Slouhi est professeur d’Université, journaliste et président de l’Association « Turquoise Freedom ». Il aborde la question de la radicalisation et la manière d’y faire face et de la contrer.
Dans sa conférence donnée Samedi dernier à l’Institut Berbère de Marseille, il a clairement exposé les éléments de sa pensée, étant donné comme il l’a rappelé, que ce qui est bien compris s’énonce clairement. Ainsi, pour cet auteur engagé, « Un bref r
ecours à l’histoire montre que la radicalisation violente est, en vérité, consubstantielle à l’islam lui-même (il ne s’agit pas d’essentialiser), comme elle a pu l’être pour d’autres religions avant lui. Elle ne lui est pas propre, comme d’aucuns l’avancent de façon un peu trop hardie, trop réductrice ». Pour lui donc, « La radicalisation s’avère être l’expression d’une contestation politique et idéologique du système politique en place et de l’ordre établi ». S’écarte-t-elle donc du fait religieux, et ne s’exprime-t-elle que sur la base d’une contestation politico-sociale ? Ou bien, y pensait-il quand il a abordé l’aspect idéologique ?
« Même si des « spécialistes » parmi les politologues, les psychologues et les journalistes (pas tous, heureusement) donnent l’impression d’avoir tout compris de ce phénomène, et donc cerné entre autres les traits distinctifs, le minois du radicalisé ». Il est vrai qu’il y a beaucoup de spécialistes autoproclamés de la question. Il a d’ailleurs rappelé que « La réalité du terrain est autrement plus complexe, elle nous incite obligatoirement à plus de prudence, plus de modestie dans la démarche. La figure globale du radicalisé qui transcenderait les frontières, les langues, les cultures et qui revêtirait un caractère d’universalité est à prendre avec des pincettes ». Car il est question d’élaborer le portrait robot du radicalisé. Une sorte de fiche techniques détaillant ses caractéristiques pour prévenir le passage de l’acte avant que ça ne soit trop tard.
« Depuis toujours, la tendance générale à répugner à ce qui ne rentre pas dans le moule, ne fait pas partie d’un kit, fait diversion de par sa diversité même… est connue. Et pourtant, force est d’admettre qu’il n’y a pas de modèle général d’identification de la radicalisation et pas de profil-type de l’individu radicalisé. Cela vaut naturellement pour la déradicalisation. » Alors, ou est la solution, si tant est qu’elle existerait ?
« Sans tergiverser, si la violence produite par la croyance n’est pas propre à l’Islam, c’est aujourd’hui en son nom qu’elle est déployée. Référer à la radicalisation de façon générique n’est pas pertinent : entre les anarchistes russes du 19è siècle et les islamistes d’aujourd’hui (Farhad Khosrokhavar), il n’y a aucune commune mesure, qu’il s’agisse de contexte, de doctrine, de finalité ou de stratégie ». Faudrait-il alors relativiser la radicalisation islamiste en l’inscrivant dans un cadre général ? Pour Sloughi, « Le phénomène a existé dans d’autres domaines, ailleurs, à d’autres époques, c’est « noyer le poisson » pour mieux faire avaler la pilule et éloigner des véritables déterminismes du phénomène. L’on serait plus inspiré de juger le mouvement dans ses manifestations immédiates, spécifiques et violentes, ici et maintenant, sans omettre les conséquences prévisibles pour le futur, car si les décideurs persistent dans la politique de l’autruche, il est à craindre que le pire soit devant nous. Identifier le mal c’est déjà un grand pas pour l’éradiquer.
Partageant son expérience dans le domaine, Khaled Slouhi raconte qu’il a toujours préconisé la prudence et l’humilité dans ce domaine, car nul ne dispose d’une méthode consacrée ; il n’y a pas de solution « clés en main », ni de recettes miracles. « La déradicalisation peut consister en un processus de « normalisation des radicalisés », de ré-apprivoisement du réel, d’empêchement de la radicalisation au sens où elle n’aboutirait pas au passage à l’acte. » C’est tout l’objectif de ce processus, justement.
« Le décrochage d’un style de vie entré par effraction dans la psyché des jeunes et la récupération, la reconquête d’un équilibre abîmé, bousillé, voire détraqué par un islam agressif, vociférant, n’ayant que l’anathème et l’imprécation dans la bouche de ses prédicateurs, qui a pris la place et subverti « l’Islam-civilisation », est parfaitement concevable ». Juste concevable ? Mais comment le mettre en pratique ? « Ce ne sera jamais une opération chirurgicale comme l’ablation d’un organe ; ceux qui ont cru cela sont hors sujet. Prévenir la radicalisation est possible, et déradicaliser est assurément faisable, le chemin de la radicalisation pouvant être emprunté en sens inverse ». Ce serait intéressant d’explorer ce chemin du retour, car il pourrait s’avérer salutaire, à la fois pour le radicalisé et pour son environnement, ses victimes potentielles. « C’est aussi cela la déradicalisation qu’autorise une résilience non adossée à la religion et/ou par la religion, mais rendue possible par des attitudes et des moyens qu’il incombe au politique de définir dans le cadre d’un strict respect du principe de laïcité, la laïcité comme horizon indépassable ». C’est la que notre orateur aborde justement la question politique. « Le processus de déradicalisation doit s’appuyer sur une mobilisation opportune et efficiente de la puissance publique. Avec des intégristes déterminés, il ne sert à rien de négocier car ce n’est pas un langage qu’ils comprennent. Raisonner les islamistes, vouloir les assagir est la pire des illusions ». Il faudrait cependant distinguer entre la fermeté de la force publique et les dérapages qui peuvent mener à un usage inconsidéré de la violence. Ce qui aboutirait à utiliser les mêmes armes que celles des radicalisés. « Oui ! il est permis d’interdire, comme l’a dit Mohammed Harbi, et comme cela a été repris par des philosophes et des intellectuels qui refusaient de capituler à propos de la question éducative ». Et pour Sloughi d’énoncer des recommandations pratiques : « Il faut dissoudre tout lieu de culte ou association qui relève de l’Islam politique ; il faut interdire les prêcheurs de haine, et convoquer la loi à bon escient. Le délit d’intelligence avec l’ennemi et d’atteinte à la sûreté de l’état existent dans le Code pénal ».
Khaled Sloughi nuance toutefois ses propos, afin d’éviter tout amalgame. « Tout en faisant la part des choses entre les victimes et les bourreaux, les jeunes et leurs recruteurs. Jusqu’à présent, ce sont les lampistes qui ont payé, pas les idéologues ». Mais après la déradicalisation, y aurait-il un moyen de panser les blessures, de réparer les dégâts occasionnés chez les jeunes repêchés de la radicalisation ?
« Outre ces moyens d’action qui concernent différents champs, une déradicalisation efficace ne peut passer outre la réaffirmation d’une nécessaire pédagogie de la laïcité. L’objectif étant de déconstruire le discours archaïque et antirépublicain des islamistes, et ce faisant, d’identifier pour tous les acteurs les besoins d’une formation spécifique susceptible d’aider à affronter les différentes situations ».
Et pour finir, il fait appel à Nicholas Machiavel dans« le Prince » : « caresser les hommes ou les occire ». Et de se demander : « Allons-nous caresser les ténébreux ? Certainement pas, puisqu’ils n’aiment pas ça et c’est haram (illicite) ; les occire, en revanche, oui ; mais politiquement et dans le respect des lois ».
Nabil Z.
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