Anouar Benmalek est l’un des grands écrivains algériens à succès à l’étranger, mais tellement peu connu chez lui. Il a pourtant été enseignant à l’Université de Bab Zouar, et s’est fait l’un des défenseurs des Droits de l’Homme et l’un des initiateurs du célèbre CACT, le Comité Algérien Contre la Torture, qui avait été créé suite aux événements du 5 Octobre 88.
Anouar Benmalek est allé par la suite s’installer en France ou il a commencé une carrière à succès en tant qu’écrivain, parallèlement à son métier d’enseignant, ou il exerce comme Maître de Conférences à la Faculté de Pharmacie à l’Université Paris-Sud. Il est très apprécié, notamment dans la classe intellectuelle ou il a été surnommé « Le Faulkner Méditerranéen », du nom de cet écrivain américain, lauréat du prix Nobel de laLittérature. En réalité, Anouar Benmalek est d’une double origine : algéro-marocaine. Il a été encensé par la presse française, et celle des Etats-unis le compare à Albert Camus. Son nom est apparu plusieurs fois sur laliste des nobélisables. Certains le considèrent comme étant le plus grand écrivain algérien depuis Kateb Yacine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages comme « Les Amants désunis », « l’Enfant du Peuple Ancien », « Chroniques de l’Algérie amère », et « Ô Maria », qui lui a valu une condamnation à mort des islamistes. Il a d’ailleurs dû quitter son domicile avec sa famille, et vivre un certain temps sous protection policière.
Cette année, Anouar Benmalek revient avec un nouveau roman, dont le thème tourne autour de la Shoah. La presse signale vite qu’il est le premier écrivain « arabe » à s’intéresser à la Shoah. Lui, corrige tout de suite. Il se dit « arabo-berbère ». Sa mère est marocaine, tandis que son père est algérien. Son dernier roman est intitulé « Fils du Shéol ». Il s’agit d’un roman ou l’auteur s’interroge sur les horreurs des génocides humains, et prend en exemple le plus affreux d’entre eux, la Shoah.
Pourtant, Anouar Benmalek est un habitué des atmosphères de guerre, puisqu’il a largement abordé la question de la Guerre d’Algérie dans ses précédents romans, ainsi que la terreur islamiste des années quatre-vingt-dix.
La question de la confrontation entre les peuples et leurs destins souvent violents a toujours fasciné l’auteur. Il a ainsi été jusqu’à la première déportation organisée par un Etat à l’encontre d’une partie de sa propre population. Il s’agit des déportations effectuées par l’Espagne au quatorzième et quinzième siècles en Andalousie, quand les populations juives et musulmanes furent chasées de la péninsule ibérique. Anouar Benmalek s’est aussi intéressé au cas du peuple de Tasmanie qui avait subis un énorme génocide au 19eme siècle au moment ou les aborigènes d’Australie furent chassés de leurs terres. Le premier génocide du vingtième siècle reste curieusement encore inconnu du grand public. Il s’agit de celui organisé par les allemands en Namibie. Beaucoup ignorent que l’Allemagne avait aussi sa colonie en Afrique du Sud-Ouest. Jusqu’en 1905, les soldats allemands avaient commis d’affreuses atrocités dans cette région du monde, ou ils ont exterminé quelques 80% des populations Hereros et Namas. Pour l’auteur des Fils du Shéol, ce massacre a été le prélude à celui qui a été commis en Europe par les Nazis, qui n’avaient utilisé la Namibie que comme terrain d’entrainement.
Dans une interview accordée à « France Info TV », il explique ce qui l’a emmené vers le thème de la Shoah. « La question, qui allait mener à ce roman, Fils du Shéol, s’est finalement imposée à moi avec une telle force que j’ai décidé de tenter d’y répondre, dans la mesure de mes moyens, et au moins partiellement : «Qu’aurais-je fait si j’avais été un Allemand juif, pris, ainsi que toute ma famille, dans les mâchoires de l’appareil nazi, en route vers les chambres à gaz ou, pire, destiné à devenir un esclave membre des Sonderkommandos, condamné à enfourner ses propres coreligionnaires dans les fours crématoires, avant d’y être précipité à son tour ? »
La question que pose Anouar Benmalek est assez terrible, puisque beaucoup de gens se trouvent encore aujourd’hui confrontés à cette problématique. Il s’agit notamment des réfugiés syriens et irakiens, par exemple, qui se voient obligés de quitter leurs terres pour sauver leur peau et celle de leur famille. Et il arrive à chacun de se poser cette question : « Et si j’étais à leur place ? ». La question est terrible. Et l’aborder fait prendre un énorme risque à son auteur, puisque dès le départ, il est conscient qu’il pourrait passer à côté, ou ne pas être à la hauteur. La parade fut réoganisée par lui, en avalant des dizaines de livres qui traitent de la question et en regardant tout ce qu’il y a comme films sur le sujet. Il avait besoin de s’imprégner de chaque détail avant de se faire une impression correcte et de bâtir une conviction solide. Il fallait aussi réussir à transcender la crainte de la sacralisation de la Shoah, au point de la rendre indescriptible et indicible. Il fallait faire incursion dans ce monde qui, habituellement était réservé aux seuls juifs. L’angle d’attaque trouvé par l’auteur est celui de la fiction. Désacralisant le sujet, il décide d’y accéder par l’entremise du massacre commis par des humains sur d’autres humains. Des allemands sur des juifs et des tziganes. Car après tout, quel que soient les massacres qu’on aborde, ils ont ceci de commun, c’est que ce sont des Hommes qui massacrent d’autres Hommes.
Le synopisis du roman nous donne déjà un avant-goût de son contenu qui s’annonce déjà très noir : Trois histoires d'amour pour remonter à l'origine du mal ? Trois générations, deux génocides. Tout commence dans la touffeur ignoble d'un wagon à bestiaux. Le jeune Karl y fait la connaissance d'Helena, son bref et unique amour le temps du voyage. À son arrivée en Pologne, le gamin juif est gazé. Dès lors, depuis un étrange séjour des morts, le Shéol, il est condamné à regarder évoluer les siens et à tenter d'éviter désespérément la catastrophe. Ainsi retrouve-t-il son père, devenu Sonderkommando. Dans la noirceur de sa condition, ce dernier rêve à sa lumineuse Élisa, la mère de Karl, rencontrée et épousée en Algérie des années auparavant. Poursuivant son effroyable voyage à rebours, Karl croise Ludwig, son grand-père, qui au début du siècle a servi dans l'armée allemande du Sud-Ouest africain. Et le secret que l'aïeul n'a jamais pu raconter de son vivant ? Sans doute la clé de leur destinée à tous ?, son petit-fils finit par l'apprendre depuis sa nouvelle demeure : celui de l'existence d'Hitjiverwe, une jeune femme héréro passionnément aimée, victime avec son peuple d'une barbarie oubliée, terrible avertissement aux générations futures.
Le roman d’Anouar Benmalek, nous permettra-t-il d’y voir plus clair ? Son regard de romancier, riche en imagination, et son profil d’universitaire, professeur de mathématiques en plus, nous permettra-t-il d’aborder le sujet avec plus de rationalité et moins d’émotions. La presse française semble déjà l’encenser, et il est franchement une surprise dans cette saison de rentrée littéraire. Il est publié simultanément en France et en Algérie, afin de permettre aussi au lecteur algérien d’y accéder et de l’apprécier, avec son lot de critiques et de commentaires.
Nabil Z.
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