Un livre sorti il y a deux semaines en France va certainement bouleverser notre connaissance de l’histoire récente de l’Algérie. Dans le sens positif en plus. Roger Vétillard, un médecin français à la retraite, né à Sétif et de parents et grand-parents bougiotes, vient de publier un livre magnifique sur la relation entre les communauté pied-noire et les algériens, en Algérie avant 1962.
Le médecin retraité a donc décidé de consacre plusieurs études, dont certaines ont abouti à la publication de livres, sur l’histoire de son pays natal. Il a donc publié à ce sujet plusieurs livres déjà en vente outre méditerranée : Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie (éditions de Paris, 2008, pour lequel il a obtenu le prix Robert Cornevin) et 20 août 1955 dans le nord-constantinois, une tournant dans la guerre d’Algérie ? Pour cet ouvrage publié aux éditions Riveneuve en 2012, il lui a été attribué le Prix Jean Pomier en 2014 et également le prix spécial du salon du livre de Toulouse. Il est à signaler qu’il n’existe que peu de livres traitant sur ce sujet. L’écrasante majorité des publications concernant cette période relatent des faits de politique et de guerre. Roger Vetillard n’oublie pas que derrière la scène médiatique, il y avait des hommes et des femmes, de familles et de communautés qui se connaissaient et qui vivaient ensemble, se croisaient et travaillaient dans ce pays. C’est de leur histoire dont il s’agit dans ce livre. Pour réaliser ce travail, l’auteur s’est fait aider par une autre algérienne, Nicole Lenzini. Elle est membre actif du CDHA qui a pour but la conservation de la mémoire et des documents historiques concernant la période française au Maghreb. Elle a recueilli de nombreux témoignages et facilité l’exploitation de tous ceux qui y sont archivés. A cet effet, Roger Vétillard a revisité cette partie de l’histoire commune aux deux peuples d’Algérie et de France et cependant, tellement méconnue.
Avec courage, l’auteur a donc revisité les archives, rencontré des protagonistes, des anciens d’Algérie, et des amis algériens vivant en Algérie ou à l’étranger. Même après une période aussi longue, il a conservé l’amitié de ces gens qui ont tenu, chacun à sa manière à contribuer à la réalisation de cet ouvrage, notamment en y apportant des témoignages vivants et précieux. C’est ainsi qu’un certain Toufik G. déclare dans un courrier reçu par l’auteur ceci : « Ce livre doit absolument être disponible en Algérie. Il faut que nos jeunes puissent le lire. ». Autre témoignage encore plus surprenant, puisqu’il vient du Général Faivre : « l’auteur décrit une réalité complexe, plus riche qu’on ne l’imagine, où deux communautés différentes se côtoient et s’acceptent. » Jean-Marcel L. déclare à son tour « …Votre livre touche un point essentiel, jamais abordé, à ma connaissance. Il jette les bases de la réconciliation. Quand entre Français et surtout Pieds-Noirs et Algériens on ne se jettera plus la guerre d'indépendance et la conquête à la figure avec leurs cortèges d'horreurs bilatérales et qu'on parlera d'autres choses, et pourquoi pas du bon temps des colonies, un pas primordial aura été franchi … ». Les témoignages sont donc nombreux, et ce live a suscité plusieurs réactions encourageantes pour l’avenir des relations entre les communautés de l’ancienne colonie française. Pierre D. a déclaré que "les pieds-noirs vont offrir ce livre à leurs enfants car il jette un regard souriant sur une cohabitation qui a trop été vilipendée". Quant à Mustapha M. universitaire algérien, il affirme à l’auteur que « Votre livre est remarquable, il va circuler en Algérie, soyez en sûr. Les jeunes générations n’arrêtent pas de nous questionner." L’auteur lui-même est optimiste, puisque ses mêmes enfants, qui ne connaissaient pas grand-chose sur la période coloniale, en tout cas un de ses fils a déclaré « enfin tu nous parles de ta vie, de celle des pieds-noirs en Algérie, et tu publies un texte où pour une fois il n’est pas question de guerre, de morts, de conflits… ». Il est vrai que la vie professionnelle du médecin qu’est Roger Vétillard ne lui avait pas permis de se consacrer à l’étude de l’histoire. Ce n’est devenu possible qu’après sa retraite.
Serait-il temps de tourner la page de la guerre d’Algérie, et de penser à partager avec les nouvelles générations autre chose que la période douloureuse, la violence et les malheurs ? Il y a certainement eu de bons moments partagés par les différentes communautés, et il est plus que temps d’en parler. Les jeunes générations ont besoin de connaître toute la vérité sur cette histoire vécue par leurs grand-parents, et qui fait partie de l’héritage commun entre des populations des deux rives de la Méditerranée. Tourner la page, ce n’est ni oublier ni se renier. La douleur a été intense et indescriptible, puisqu’elle a provoqué des déchirures dans les deux communautés. Il est donc temps de replacer les choses, les événements et les éléments de l’histoire dans leur contexte pour mieux en tirer les leçons. Il y a peut-être encore de l’espoir et suffisamment de sagesse pour que ce qui a été si douloureusement vécu par les communautés serve de leçon à tous les peuples, dans le but de faire en sorte qu’elle ne se reproduise ni en Algérie, ni ailleurs dans le monde. Si laGuerre d’Algérie a eu un écho dans le monde entier, il est temps que la paix en Algérie entre les communautés en fasse de même.
Le livre de Roger Vétillard, « Français d’Algérie et algériens avant 1962 : témoignages croisés » est très riche en témoignages inédits de toutes sortes, établis à partir de témoins qui ont connu cette période. Des anecdotes nombreuses et documentées sont rapportées, parfois avec humour. Certains de ces témoins sont devenus plus tard des cadres ayant occupé des postes importants dans les administrations et les économies des deux pays. A la fin de l’ouvrage, l’auteur propose une riche bibliographie pouvant servir à approfondir la question, pour les chercheurs qui seraient intéressés par le sujet. On y trouve Mohamed Harbi, Ferhat Abbas, Germaine Tillon, Boualem Sansal, Yasmina Khadra, Jean-Pierre lledo, etc… Le temps de la restauration serait-il donc arrivé ? Et ce livre, serait-il le premier d’une série d’autres ouvrages qui auront le courage d’explorer cette question, et ouvrir le chemin vers une véritable réconciliation permettant d’envisager paisiblement un avenir en commun, surtout pour les futures générations ? Le temps des tabous serait-il révolu ? Ce genre de sujets pourront-ils enfin, dans notre pays, posés sur la table pour en parler de manière responsable et décomplexée ? Plus de cinquante ans après l’indépendance, ne serait-il pas temps de regarder au passé, à tout notre passé avec sérénité ? Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place, et nos enfants nous le reprocheront tout le reste de notre vie. Après tout, cette histoire leur appartient également, et c’est leur droit de la connaître dans toutes ses dimensions. A leur tour d’en assumer les différentes facettes et de regarder au passé aussi clairement qu’ils souhaiteraient voir l’avenir s’éclaircir devant leur chemin.
Des photos, des facsimilés ainsi que du courrier viennent également enrichir cet ouvrage. Plusieurs aspects de notre histoire se trouvent ainsi dévoilés et même révélés, alors qu’ils auraient dû l’être depuis longtemps, tellement ils sont édifiants. Le but de l’auteur est clairement de contribuer à tourner la page de la guerre et de faire la lumière sur un autre aspect des relations historiques entre les deux paix, ou la paix et l’amitié n’étaient pas de vains mots.
En tous cas, le livre ne passera pas inaperçu, et suscitera à n’en point douter, beaucoup de débat.
Nabil Z.
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