L’un des plus grands géographes de l’Afrique du Nord, connu par les Européens était un andalous du nom de Hasan El Ouezan. Né à Grenade en Espagne, il était fils d’un peseur de marchandises. Sa vie est racontée dans un célèbre livre d’Amin Maalouf, intitulé Léon l’Africain.
Mais Amin Maalouf n’a pas été le premier à s’intéresser à ce célèbre géographe. Et pour cause ! Il a été le premier à faire la description de l’Afrique du Nord avec force détails, faisant de son livre la référence première en la matière et ce, durant de nombreux siècles.
Hasan el-Ouezan est donc né en 1488, dans les environs de la ville de Grenade. C’était une période particulière de l’Histoire, puisque, quelques années après, le couple espagnol constitué de Ferdinand de Castille et d’Isabelle dite la Catholique allait arriver au pouvoir et chasser les musulmans et les juifs d’Espagne. La Famille d’El Ouezzan n’avait pas d’autre choix que de s’exiler au Maroc, et plus précisément à Fez.
C’est dans cette ville que Hasan fera ses études jusqu’à l’âge de vingt ans. Ce qui était déjà énorme pour l’époque. Il étudia tout ce qu’il y avait à savoir à cette époque, en matière de sciences religieuses et de jurisprudence. Son esprit curieux de nature le poussa un peu plus loin que ses camarades et il débutera dès cet âge, une carrière diplomatique. Très jeune déjà, il accompagnait dans ses périples son oncle ambassadeur, puis, au service du sultan wattaside, il est souvent envoyé dans les régions marocaines. Ce qui lui permettra de voyager énormément. D’abord au Maroc, puis dans toute l’Afrique du Nord. Il développera un talent confirmé de fin négociateur et sera chargé de missions aussi bien diplomatiques que commerciales. Il visitera par la suite l’Arabie, Constantinople et l’Egypte, ainsi que l’Afrique Sub Saharienne.
Tournant de sa vie
En 1518, après avoir effectué le Pèlerinage à la Mecque, il est capturé par les Chevaliers de l’Ordre de Saint Jean après avoir arraisonné son navire en Méditerranée. Impressionné par son érudition, ils l’envoyèrent au Pape. Celui-ci également fut impressionné par le savoir et l’éducation du jeune captif. Ils passent de longs moments à discuter et à échanger. Sans jamais le forcer, le pape l’initie à la foi chrétienne et lui assigne des enseignants de qualité. Parmi eux, figurait le cardinal Egidio da Viterbo, kabbaliste et amateur de langues orientales. Hassan lui enseigne l’arabe, et l’aide à étudier le Coran. Il en profite pour écrire de nombreux ouvrages historiques et linguistiques, dont seule une partie nous est parvenue.
Concernant sa conversion au christianisme, El Ouezan a beaucoup résisté au début et a développé moult arguments, érudit qu’il était dans les sciences du Fiqh et de la théologie musulmane. Les débats s‘éternisaient, et Hasan ne fut jamais forcé dans ses convictions. Par contre sa curiosité fut excitée à l’extrême. Il entreprit d’apprendre l’italien d’abord, puis le latin pour étudier les textes chrétiens. Il eut donc accès essentiellement à la Bible Vulgate, traduite en latin par Saint Gérôme, et aussi aux textes de Saint Augustin, écrits initialement en latin. Ces textes ont fini par avoir raison de la résistance de celui qui se réclamait toujours de son Andalousie natale et de son Maghreb dans lequel il a grandi et passé jusqu’alors la plus grande partie de sa vie. Hasan El Ouezan demanda le baptême en 1570 et se convertit au christianisme en prenant le nom de Giovanni Léon de Médicis. Il fut unanimement surnomme Léon l’Africain..
Cette conversion lui ouvrit les portes de la Papauté, puisque Léon X en fit un de ses conseillers. Il lui demanda alors de rédiger un livre, pour décrire les territoires du sud de laMéditerranée. Tout en enseignant l’arabe à Bologne, il commença à écrire sa fameuse "Cosmographia de Affrica", qui sera publiée à Venise sous le titre de "Description de l'Afrique". Dans cet énorme travail qui va vite devenir un ouvrage de référence, fidèle à ses origines et soucieux de la sécurité des siens, il a soigneusement évité de donner des informations à caractère militaire. Il s’est contenté de donner de nombreuses autres informations de caractère cultuel, géographique et commercial. Il est devenu la première source de renseignement sur la vie, les mœurs, les us et coutumes du Maghreb, ainsi que d’une partie de l’orient du XVIe siècle et de l’Afrique sub saharienne, des rives du Nil jusqu’au Congo. Il y décrit les mœurs, les coutumes, les pratiques religieuses des habitants, ainsi que la faune et la flore. Son travail deviendra la Bible de tous les diplomates et explorateurs intéressés d’une façon ou d’une autre par l'Afrique.
Connaître l’Autre
L’originalité de ce travail montre le génie de l’Homme qu’était Léon l’Africain. Il a su capter l’intérêt de ses protecteurs et a aussi vu l’occasion qui lui avait été donnée de rédiger, pour la première fois, un ouvrage qui parlerait de son peuple pour le faire connaître de l’Europe, comme lui le décrirait. Il a aussi compris que l’occident avait un grand intérêt à mieux connaitre les peuples du sud de la Méditerranée. Et il allait largement satisfaire leur curiosité. Il était aussi conscient que durant ses voyages, il n’avait jamais senti d’intérêt chez les musulmans à connaître les peuples d’Europe. Ils s’étaient renfermés sur eux-mêmes, ignorant que le monde tourne et que faute de connaissances ils risquaient de périr.
Selon Oumelbanine Zehiri, chercheur à l’Université of California à San Diego, « l’historien égyptien Djabartî (1753-1825) qui, après l’invasion de son pays par Bonaparte, consulte dans un centre d’études de l’armée française au Caire des ouvrages européens sur la culture arabe : « Djabartî avait découvert l’existence de l’orientalisme européen » Il poursuit : « En effet, rien d’équivalent n’existait dans les pays d’Islam : l’Europe occidentale, ses langues et son histoire n’y étaient pas étudiées ». Si certains proposent de comprendre l’orientalisme comme une entreprise d’imposition du pouvoir de l’Occident sur l’Orient, en somme une forme savante du colonialisme, il n’en est pas de même pour le chercheur californien. Pour lui, « l’absence de curiosité pour la culture de ses voisins indique peut-être un mépris de l’étranger par les arabes, autrement plus grave que celui qu’on reproche à l’Europe. Jusqu’au XIXe siècle, les musulmans ne manifestent « aucun intérêt » pour la si proche Europe, en contraste avec l’ « extraordinaire curiosité » pour l’étranger des habitants de cette dernière, issus de l’élite ou du reste de la population. C’est en tout cas ce qu’il en déduit de ses lectures.
Passant en revue des récits de voyages arabes en Europe écrits avant le XIXe siècle, Daniel Newman confirme l’indifférence à l’égard de l’Europe due à l’hostilité religieuse et au mépris d’une région trop longtemps considérée comme arriérée. Pourtant, Newman examine nombre d’œuvres ignorées jusque là, souvent écrites par des Marocains depuis le XVIe siècle. Mais, selon lui, « ces récits d’ambassade relatent des voyages en service commandé qui n’impliquent pas un vrai désir d’ouverture à l’autre ; en fait, ces musulmans ne supportent qu’avec peine d’entretenir des rapports avec les infidèles qui leur inspirent une « haine rageuse » . D’autre part, trouve que la qualité de ces textes, est quelque peu obscure « soit purement descriptifs, soit fantaisistes ».
Le fond des arguments, concernant le savoir sur l’autre et le rôle qu’y tient le récit de voyage, est cependant à prendre au sérieux. On admet généralement que les déplacements et leur narration, dont la place est grande dans la culture musulmane presque depuis ses origines, se limitent pour l’essentiel à l’aire culturelle musulmane, inspirés par le désir de visiter des centres intellectuels et religieux du dâr al-Islâm, la « maison de l’Islam ». « Ils visent ainsi l’approfondissement de la connaissance de soi, plutôt que l’ouverture vers des cultures étrangères ». La différence est nette avec l’Europe moderne qui cherche aussi dans les civilisations même lointaines comment se définir. À l’opposé, dit-on, « les Arabes ne se penchent sur la culture de l’Europe que lorsque le danger politique et militaire qu’elle représente ne peut plus être ignoré ». Ainsi, c’est un récit de voyage, publié en 1834, qui est parfois considéré comme un des textes fondateurs du renouveau de la littérature arabe ; son auteur, un certain Al-Tahtawî, avait été envoyé étudier à Paris par son gouvernement, bénéficiant des réformes tentées en réponse à l’expédition d’Égypte, et sa longue carrière de traducteur et d’éducateur fera mieux connaître la culture européenne dans son pays. Est-il vrai qu’aucun de ses prédécesseurs ne manifeste de curiosité pour l’Europe. Il est certain que le corpus de voyages arabes en Europe à la Renaissance est sans commune mesure avec celui des voyageurs européens en Afrique du Nord et au Levant.
Dans son ouvrage, Léon l’Africain développe ses connaissances sur les Origines du nom d'Afrique, ses limites, ses divisions, ses royaumes et les quatre parties de cette région. Il parle aussi des divisions de la Numidie, c'est-à-dire du pays où poussent les palmiers, des divisions des déserts situés entre la Numidie de la terre des Noirs, de la division de la Terre des Noirs en Royaumes, de son peuplement , des origines des Africains, ainsi que de la division des Africains blancs en plusieurs peuples.Il aborde également le phénomène des langues et en donne des détails. Ensuite, il décrit avec précision les villes qu’il a visitées, leurs populations, leurs richesses, leurs cultures, leurs pratiques religieuses, de leur habillement, de leur diversité.
Villes et paysages
Ainsi, il passe en revue plusieurs villes du Maroc, d’Oran, Alger, de la grande ville de Bougie, Gegel, Mesila, Stefe, El Collo, Sucaicada, Costantina, Bona, Tebessa, Carthagine, Tunis, Hammamet, Asfachus, Cairavan, Zoara, Tripoli, etc…jusqu’au royaume de Nubie, au Sud de l’Egypte et jusqu’à même, le Congo.
Il détaille aussi les cours d’eau, les montages, les lacs, les animaux, etc.. ; C’est ainsi qu’on découvre qu’à son époque, il y avait en tamazgha des éléphants, des girafes, des aigles, des autruches, des perroquets, etc…La richesse minérale n’a pas été oublié en citant le sel et l’antimoine, ainsi que les fruits et tubercules poussant sur cette terre comme les dattes, le Terfez, les figues, l’Euforbe si chère à Juba II, la Banane, etc… Léon parle aussi de la présence de Tortues géantes, de crocodiles, et de nombreuses espèces de poissons. Le livre de Léon l’Africain vaut vraiment le détour, et il ne saurait être suffisamment conseillé de le lire.
Apport de « l’Africain »
Revenons sur le récit de voyage de Hassen El Ouezzan. Le 10 mars 1526, Jean Léon l’Africain met à Rome la dernière main à une oeuvre en langue italienne, à laquelle il se réfère sous le titre de Libro della Cosmographia dell’Affrica qu’il publia en 1550 par Gian Battista Ramusio dans ses Navigazioni e viaggi, intitulée Descrizione dell’Africa. Cette œuvre exercera une influence considérable sur la culture européenne. Lastature de Léon dans l’étude des rapports entre l’Europe et l’Afrique du Nord est encore aujourd’hui d’une grande valeur. Léon est devenu une figure emblématique des rapports entre le nord et le sud de laMéditerranée dès la Renaissance.
Selon Zhiri « Certains aspects de la Cosmographia ne s’expliquent que par ces relations intellectuelles. Conçue entièrement comme un dialogue avec l’autre, l’oeuvre de Léon ne répond pas seulement aux souhaits des « signori e principi » que mentionne Ramusio dans sa préface. Elle détaille certes forces et richesses, mais elle s’adresse aussi aux curieux de la vie intellectuelle et culturelle, qui peuvent y trouver beaucoup de renseignements. Dans un passage très intéressant, Léon montre qu’il envisageait de faire circuler le savoir dans l’autre sens, à savoir du nord vers le sud de la Méditerranée : il évoque son retour prochain au Maghreb, et le travail qu’il compte y accomplir, lorsque, « par la grâce de Dieu revenu sain et sauf de son voyage d’Europe, il ordonnera son livre de bonne façon. Il commencera par la partie la plus digne et la plus noble, l’Europe, puis il poursuivra avec le plus grand soin d’abord avec l’Asie, c’est-à-dire la partie qu’il en a vue, puis en troisième lieu il mettra le présent petit ouvrage »17. Ainsi, son plan d’ensemble est une cosmographie universelle, qu’il achèvera au Maghreb, et dont fera partie la Cosmographia, probablement traduite en arabe. Cette cosmographie universelle, qui aurait précédé celle de Sebastian Münster, aurait suivi l’ordre déjà habituel en Europe – notons que l’Amérique en est omise. Elle aurait introduit dans la géographie du Maghreb la division du monde par continents, qui aurait remplacé l’organisation par « climats », héritage grec qui continuera pendant des siècles d’être en usage dans la géographie arabe ».
Hassan El Ouazzan Léon L’Africain fait partie certainement de notre patrimoine culturel. Il a ainsi rejoint les géants nord-africains qui ont contribué au développement de l’occident d’une façon ou d’une autre. A l’instar d’Apulée ou d’Augustin il a apporté à l’Europe une bouffée d’oxygène certaine, puisque depuis, l’Europe n’a plus été la même, subissant l’influence d’une pensée étrangère, mais combien salutaire.
Nabil Z.
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