Hesperia est le nom que les anciens Grecs utilisaient pour désigner ce qu’est le crépuscule, ou le coucher de soleil. C’est l’équivalent du mot « Maghreb ». Pour les grecs, Hesperia désigne tout ce qui est à l’ouest, mais en particulier les pays d’Afrique du Nord.
Dans leur mythologie, on se souvient que même Hercules avait été envoyé chercher les pommes d’or au pays des Hespérides. Les spécialistes débattent encore sur la signification de ces pommes d’or. Mais une chose est sûre, elles poussaient quelque part en Afrique du Nord, et avaient des vertus telles que, même les dieux grecs en voulaient, certainement pour assurer leur immortalité.
C’est donc le nom d’Hesperia qui a été retenu comme nom pour une nouvelle revue censée parler de la culture méditerranéenne. Tout comme dans la question de la civilisation dite Ibéro-Maurisienne, ou les espagnols ont associé leur pays à la civilisation exclusivement nord-africaine, ils s’accrochent une nouvelle fois pour l’associer au pays des Hespérides. Ce sont deux fondations, Tres Culturas et José Luis Pardo-Culturas del Mediterráneo qui en ont décidé ainsi. L’intention reste toutefois bonne, puisque le but de la revue est de faire connaître cette civilisation méditerranéenne au reste du monde, et de « favoriser et maintenir les rencontres entre les cultures de la Méditerranée ». Puisqu’on a commencé par s’incruster dans le pays des Hespérides, autant aller plus loin dans l’erreur. C’est à un « spécialiste » du monde arabe Jesús Viguera, que la direction de la publication a été confiée. Il espère encourager le dialogue et les échanges inter-méditerranéens, ignorant tout bonnement le peuple authentique du pays des Hespérides, autrefois appelé Tamazgha, pays amazigh des Hommes Libres, pour l’affubler du nom « d’Arabes ». Selon Ana Isabel Labra Cenitagoya, Maître de conférences à l’Université d’Alcala-Espagne, « la publication s’est attelée à cette tâche fondamentale dans un monde globalisé où le dialogue des cultures est plus que jamais indispensable ». Belle initiative donc, avec cette publication semestrielle. « La première partie de chaque volume (parfois de deux volumes consécutifs), Monográfico, est consacrée à un pays du bassin méditerranéen analysé sous différents aspects par des spécialistes universitaires ». Drôles d’universitaires quand même, qui ignorent même la véritable identité des peuples vivant dans les pays analysés. « La deuxième partie, Entrevista, offre aux lecteurs la pensée et la personnalité d’une figure connue de la culture en question, interviewée par un universitaire ou journaliste ». Le tout est de connaître l’identité de cette personnalité, qui devra être choisie de façon à représenter dignement le pays et le peuple dont il est issu, et non pas un chantre des régimes en place. « Quant à la rubrique Actualidad, elle rassemble des articles de recherche variés. Chaque volume se termine par une section de comptes-rendus d’ouvrages récents: Reseñas.
Un numéro spécial « Algérie ».
Neuf ans après le lancement de la revue, on daigne enfin s’intéresser au plus grand pays d’Afrique et de Méditerranée. Plusieurs sujets y sont abordés, mais qu’il faut prendre avec précaution. Plus d’une dizaine d’articles sont donc consacrés à l’Algérie, avec une surprenante présentation d’un intellectuel algérien qui a surtout marqué les années Boumedienne. Il s’agit de Mouloud Kacem Nait Belkacem, que Francesco Franco-Sanchez a décidé de présenter comme « personalidad politica y cultural esentcial de la Argelia del s. XX », autrement dit « Une personnalité politique et culturelle de l’Algérie du Vingtième siècle ». Dans ce numéro, il y a également un panorama général de la littérature algérienne d’expression française, par Adelaida Porras Medrano. Ailleurs, il y a également une présentation comparative du statut personnel dans le droit algérien, en comparaison avec les lois dans le même domaine dans les pays arabes, « La herncia en el codigo argelino de estatuto persdonal, en relacion con los codigos de otros paises arabes », présenté par Caridad El Modovar. Dans le même sillage, la revue se demande aussi pourquoi l’Algérie n’a pas souscrit au printemps arabe. Malgré cet effort louable d’essayer de mieux connaître l’Algérie, il y a une triste vérité qui se dessine dans ce numéro : la méconnaissance presque totale de la culture algérienne par les espagnols. Pour Ana Isabel Labra Cenitagoya, « Cette méconnaissance relative des réalités algériennes en Espagne face aux rapports privilégiés tissés avec le Maroc ne peut s’expliquer que par des raisons coloniales et postcoloniales. Mais comme le signale Mª Jesus Viguera dans son introduction : « la continua presencia de Argelia en nuestra historia y también en nuestra actualidad es evidente, y por tanto está llena de notables y múltiples facetas » (la présence continue de l'Algérie dans notre histoire et dans notre époque actuelle est évident, et donc est remarquable et aux multiples facettes. )[2](Viguera, 2015 : 9).
Il y a donc certainement une triste méconnaissance de l’Algérie par l’Espagne et vice-versa. La littérature des deux pays ne consacre que très peu d’espace à la connaissance de l’autre. Ismet-Terki Hassaine, de l’Université d’Oran tente une explication dans son article « Relaciones hispano-argelinas en la época otomana (1505-1830) ». Un autre article attire l’attention des lecteurs, surtout des chercheurs algériens, puisqu’il parle des Archives algériennes conservées en Espagne, « Los documentos árabes argelinos inéditos del archivo de Simancas. Una reflexión histórica » (« Les documents arabes algériens inédits des archives de Simancas. Une réflexion historique »), par Rachid El-Hour, professeur à l’université de Salamanque.
Concernant l’époque moderne, la revue s’en est allée explorer les relations entre les deux cultures à l’époque actuelle. C’est l’ancien archevêque d’Alger, qui est également hispanisant, qui a été sollicité pour donner son avis sur la question. Il consacre un article à l’écrivain algérien en langue arabe Waciny Laaredj, qui publie également en français, et qui fait appel dans ses romans, notamment dans « Sur les traces de Cervantès à Alger », à la figure du grand écrivain espagnol détenu à Alger, dont un quartier sur les hauteurs de Belcourt abrite la grotte dans laquelle il s’était réfugié, et qui porte encore son nom, pour servir de pont et de moyen d’être utilisé pour établir un dialogue entre les deux cultures. Ainsi, plusieurs aspects de la culture algérienne ont été abordés dans ce numéro, ainsi que les relations algéro-espagnoles depuis quelques siècles. La revue a bien fait de faire appel à des intervenants des deux rives de la méditerranée pour exprimer leurs point de vue sur la question. Le numéro est riche et assez varié. On y trouve une contribution du professeur Salah Mouniri, de l’université d’Alger, sur les problèmes de traduction et de transcription liés au Diálogo de los morabitos de Argel, qui est un ouvrage humaniste inconnu de nos libraires. La revue fait également appel à une portugaise, Eva-Maria Von Kemnitz de l’Universidade Católica Portuguesa, qui a présenté un article sur le renouveau de la pensée islamique en Algérie, grâce aux concepts d’ el islah et d’el ijtihad dans la pensée de l’Émir Abd Al-Kader, de Ben Badis et de Malek Bennabi.mais il n’y a rien sur les autres religions qui ont bien prospéré sur nos contrées, à une époque où une autre.
Sur le plan littéraire
La revue Hespéria ne s’est pas arrêtée, loin s’en faut, à l’aspect historique. Elle a aussi consacré plusieurs articles sur l’aspect littéraire et a invité plusieurs auteurs à s’exprimer sur le sujet. . Ainsi, Djamel Latrouch, apporte un éclairage sur la présence et la signification d’Alger dans les romans de Blasco Ibáñez, qui avait en son temps approuvé l’occupation de l’Algérie par la France. Le théâtre a également eu sa part dans ce numéro spécial Algérie, puisque Milagros Nuin Monreal, qui est présenté comme « spécialiste du monde arabe » à l’Université Complutense de Madrid, présente un panorama du théâtre algérien depuis le XIXesiècle, avec comme icône, le regretté Abdelkader Alloula. D’autres, comme Abd El Hadi Ben Mansour , de l’Université de la Sorbonne ou Luisa Prieto de Madrid ont abordé l’un des plus grands écrivains de la période contemporaine, à savoir, Mohammed Dib. A cette occasion, un texte inédit de l’auteur de l’Incendie a été rendu public. Tout comme il n’a pas été possible de faire l’impasse sur Assia Djebbar et Ahlem Moteghanemi, à qui deux articles ont été consacrés. C’est d’abord un universitaire marocain qui a parlé d’Assia Djebbar, Mostefa A.M. El Bahdidi de l’Université Hassan II de Casablanca, et Leonor Merino qui a abordé le cas d’Ahlem Mosteghanemi. Il n’a pas non plus été possible de passer à côté des thèmes politiques, avec cette traduction en espagnol de la conversation qu’eut le Président Boumedienne avec son homologue américain, Richard Nixon en 1974. Cet article a été rédigé et traduit par Fouad Kebdani, de l’Université de Saida. Il y a également eu plusieurs autres articles sur différents sujets liés aux traditions, l’artisanat, l’émigration, etc… Tout, sauf de l’amazighité.
Absence de l’Amazighité
Ce numéro qui s’est voulu généreux, est en fait une sorte de gifle donnée aux algériens qu’on a voulue seulement arabes et méditerranéens, à l’exclusion de son identité profonde, celle qui semble gêner et déranger. L’Algérie profonde est millénaire. Elle a donné au monde, notamment l’occidental, ceux qui en ont fait une véritable civilisation, à l’instar d’Apulée de Madaure, d’Augustin d’Hippone, et de tant d’autres. Demandez-leur qui a formé l’allemand Martin Luther, qui a enseigné le franco-suisse Jean Calvin. Pourront-ils se rappeler chez qui Malbranche a étudié, et qui a été l’inspirateur de René Descartes ? Plus loin dans l’histoire, savent-ils qui a été le précepteur de Marc Aurèle ? Et qui était Abas Ibnou Fernas ? Ceux qui ont appris notamment à l’Espagne à compter et à développer l’esprit critique sont venus de Bougia, la ville berbère aux mille lumières, qui a abrité l’un des plus prestigieux rois d’Espagne et qui l’a sauvé d’une mort certaine. Il a été trop facile de noyer les amazighs dans cet océan de fausse histoire et de culture détournée. Le mépris vis-à-vis de notre identité est frappant. L’absence de la dimension amazighe dans ce numéro d’Hespéria montre à qui veut le voir, que notre combat sera long pour rappeler au monde notre présence et imposer le respect de notre civilisation. A quand un document spécial pour rappeler aux espagnols la liste des penseurs et savants berbères qui ont fait l’Espagne ? La Méditerranée ne pourra pas se faire sans les berbères connus et reconnus en tant que tels. Il est vrai que l’Espagne a déjà des problèmes d’identité avec ses propres minorités, comme les catalans et les berbères Guanches des Iles Canaries. De là à s’intéresser aux autres civilisations, …
[1] Hesperia. Culturas del Mediterráneo, Madrid, Ibersaf Editores, 2015, n° 19, 290 p.
[2] « la présence continue de l’Algérie dans notre histoire comme dans notre présent est évidente ».
[3] «La recherche historique sur le Maghreb central à l’époque moderne souffre d’un manque/déficit de sources écrite ».
Nabil Z.
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