Lev Nikolaïevitch Tolstoï était un romancier, conteur, essayiste, pédagogue, prédicateur, penseur politique et religieux, sociologue et philosophe russe, né en 1828, mort en 1910. Il était une des figures les plus marquantes de la littérature russe et même mondiale. Son message était universel et a eu de multiples répercutions sur la pensée philosophique de son époque.
Ses romans « Guerre et paix » et « Anna Karénine » par exemple, sont connus dans le monde entier. Son style était caractérisé par la confession dans ses relations avec la philosophie. C’est d’abord en cela qu’apparaît l’influence du fils de Taghaste sur la démarche tolstoïenne. Tolstoï a entièrement emprunté le genre confessionnel à Saint Augustin. Le style confessionnel apparaît donc comme étant la clef de l’originalité de l’œuvre de Tolstoï. Avant lui, l’évêque d’Hippone avait déjà inauguré le style en inventant l’autobiographie. Dans ses célèbres « confessions » qui ont inspiré le philosophe russe, Augustin avait raconté sa vie en une prière adressée à Dieu, dans laquelle il révèle des détails de sa vie, et livre une pensée philosophique au sujet des grands événements qu’il a vécus. Tolstoï s’est également essayé à cet exercice tentant d’imiter et même d’égaler son aîné. Mais pour le philosophe allemand Thomas Mann, Nobel de littérature en 1929 : « Les œuvres littéraires de Tolstoï ne sont au fond que les fragments d'un immense journal tenu pendant cinquante années, une confession détaillée et sans fin. » Cela dénote-
t-il le fait que cet exercice a été un échec pour le russe ?
La confession est un genre littéraire dont les règles avaient été établies par Augustin. Il serait difficile de s’en départir. Pourtant, ne manquant pas de courage, le philosophe russe a pris le risque de repousser les limites imposée à ce style, en y ajoutant une touche personnelle. Il ne faudrait pas oublier que ce style relève également de la dimension religieuse, puisqu’à son origine, la confession est une sorte d’aveu que le croyant fait à son Dieu, notamment à propos de son péché. En présence ou pas de témoins. Car, s’il existe une confession normalisée et institutionnalisée par l’Eglise, il n’en demeure pas moins que celle qu’a inaugurée Augustin est de type intimiste, personnelle et d’ordre philosophique, et pas seulement religieux. C’est aussi le cas pour celle de Tolstoï qu’il faudrait plus considérer comme œuvre littéraire et philosophique que religieuse. Depuis Augustin, plusieurs autres écrivains s’y sont essayés avant Tolstoï : Jean-Jacques Rousseau, Nietzsche, Kierkegaard,… Elle nous révèle les secrets de l’individu, dans ses forces, ses faiblesses, ses craintes, ses attentes, ses doutes et ses fragilités. Selon Mehemet Aydin « La confession dans ses relations contradictoires avec la philosophie identifierait l’Occident. Saint-Augustin, en tant que l’auteur d’un texte, devenu le modèle du genre, Confessions, et un des pères fondateurs de l’Eglise catholique, peut être considéré comme représentant un moment crucial de ce processus d’identification. D’autant qu’il se situe à cheval sur la confession comme institution religieuse non encore codifié et la confession comme exercice philosophico-religieuse. Par delà l’abîme historique qui sépare les deux penseurs, Saint- Augustin est un passage obligé pour comprendre la démarche tolstoïenne ».
Augustin constitue le lien, ou le passage obligé entre la pensée grecque, notamment celle de Platon et de Plotin, et présente l’avantage de rester d’une étonnante modernité, notamment par la réflexion qu’il a menée sur le temps, sur l'exploration existentielle de la temporalité et de la condition humaine. « Son influence a été immense dans la formation de l'identité occidentale » ajoute Mehemet Aydin. Tandis que l’auteur de « Saint Augustin, l’homme occidental », Jean-Claude Eslin, affirme « Augustin est le premier homme moderne. Par rapport à l’empire romain et par rapport au christianisme d’Orient, il marque une rupture et représente le moment fondateur de l’inquiétude occidentale. Ainsi, il a inauguré une instabilité féconde, créatrice. Un homme qui dit « Je » dans les Confessions et « Nous » dans La Cité de Dieu »
Les Confessions ont été l’un des livres clefs de l’Occident. Elles nous donnent un aperçu sur l’influence de Saint Augustin dans la littérature et la philosophie: Dante, Pétrarque, Saint François de Sale, Bérulle, Pascal, Fénelon, Rousseau, Chateaubriand, Sainte-Beuve, Renan, Kierkegaard, Nietzsche, Malebranche, Descartes, et tant d’autres…
Tolstoï a eu des convictions religieuses profondes qui ont influencé son comportement tout au long de sa vie. Sa foi n’était cependant pas très orthodoxe, faisant de lui quelqu’un d’assez atypique. Ce qui le caractérise fortement. Et c’est peut-être ce trait qui l’a fait connaître dans le monde comme artiste et penseur. Cependant, Tolstoï a emprunté au genre confessionnel de Saint Augustin, une force génératrice contre le sens nihiliste de son époque. En ce sens, il se situe dans le sillage confessionnel du christianisme dont le modèle est Saint Augustin lui-même.
Cependant, alors qu’Augustin a été le père fondateur du christianisme occidental latin, Tolstoï avait une interprétation très personnelle de la religion. « Tolstoï rejette totalement le christianisme des pères de l'Église. Il va jusqu’à réécrire les Évangiles, en « rationalisant » le contenu. Tolstoï apparaît comme un penseur post-chrétien. Il sera excommunié par l’Eglise orthodoxe ». A la fin de sa vie, il s’est rapproché des idées anarchistes, et professait à la fois Jésus, Tao, Lao-Tseu, Confucius, etc.
Enfin, alors que l’ensemble de l’œuvre d’Augustin est tournée vers l’avenir, Tolstoï s’est retourné vers le passé, le détachant ainsi de la tradition augustinienne qui pourtant, continue à être considérée comme la plus pertinente. Nabil Z.
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