Une année après sa création, le président de l’association culturelle Isabelle Eberhardt de Béjaïa, M. Zerari Daniel, répond à la Dépêche de Kabylie.
Tout d’abord, peut-on savoir la raison pour laquelle vous vous intéressez à Isabelle Eberhardt, alors qu’elle n’a rien à voir avec Béjaïa ? Daniel Zerari : Pour nous, Isabelle Eberhardt devrait faire aujourd’hui partie, à part entière, du patrimoine algérien. Ce qui m’a attiré chez elle, c’est qu’après l’avoir lue, j’ai trouvé que cette personne mériterait d’être connue en Algérie, mais malheureusement, elle ne l’est pas. J’ai fais des recherches sur Internet sur elle, et je me suis rendu compte que cette personne était exceptionnelle. Et même unique. Elle est d’origine germano-russe, née à Genève et qui est morte en Algérie après y avoir vécu sept années, de 1897 à 1904. Son passage en Algérie est remarquable. Elle est venue en Algérie à l’âge de vingt ans et elle a sillonné le territoire à cheval, habillée en homme. Elle a bravé tous les dangers. De surcroît, elle s’est opposée à ce que les colons faisaient de mauvais. Elle n’était pas contre la présence de la France en Algérie, mais elle était ouvertement contre les exactions, les agissements et les dépassements de l’armée coloniale et des colons. Elle l’écrivait et le dénonçait dans des dépêches et dans des nouvelles qu’elle publiait. Cela agaçait l’occupant, au point où il la haïssait. Elle était pour la défense du peuple opprimé. Ce qui est exceptionnel chez cette jeune fille aussi, c’est qu’elle parlait couramment sept langues. Elle a même appris le berbère et l’arabe. Langues qu’elle a apprises à Genève entre 1895 et 1897 sachant qu’elle voulait venir en Algérie. Quand on découvre ce personnage, on en devient passionné et on cherche à en savoir plus. Malgré son jeune âge-elle est morte à l’âge de vingt-sept ans- elle a laissé de nombreux ouvrages magnifiques. Sa mère est décédée à Annaba en 1897 et elle y a été enterrée au cimetière musulman. Isabelle est, quant à elle décédée, à l’Ouest du pays, à Ain Sefra, suite à une crue de l’Oued, avec vingt-six autres personnes. Elle a été enterrée au cimetière musulman de Sidi Boudjemaa à Ain Sefra. Les amoureux de ce personnage d’exception visitent encore aujourd’hui sa tombe. Il est à souligner que c’est la première femme Reporter de guerre au monde et la première femme écrivaine maghrébine d’expression française.
Comment l’Algérie officielle perçoit-elle la personne d’Isabelle Eberhardt ? Est-ce qu’elle a un statut officiel ? Il y a eu des colloques nationaux et internationaux qui ont été organisés depuis les années quatre-vingt-dix en Algérie. Ça a surtout été le fait des gens d’Ain Sefra. Il y a l’Union des écrivains de Naâma qui s’est occupée de cela. Il y a aussi une association appelée Safia Ketou qui est une écrivaine d’Ain Sefra. Ces organismes font presque chaque année des colloques et des rencontres nationales et internationales. Une grande rencontre a aussi été organisée en octobre dernier à la Bibliothèque du Hamma. Il y a aussi des expositions qui sont organisées sur ce même thème. En 2004, il y a eu un colloque pour célébrer le centenaire de la mort d’Isabelle en présence de Cheikh Bouamrane qui était alors le président du Haut Conseil Islamique. Il a été déclaré à cette occasion, l’islamité d’Isabelle Eberhardt. C’est une reconnaissance quasi officielle de l’État algérien la concernant. Isabelle a en plus épousé un algérien de souche, qui était spahis dans l’armée française. Il s’appelait Slimane Ehni. Isabelle a fréquenté les grands mouvements religieux du sud. Elle est entrée dans la Kadiria, et elle est devenue la première femme européenne soufie.
Elle a été accusée de travailler pour le compte de l’armée française, n’est-ce pas? En effet, il y a eu cette polémique la concernant. Mais à aucun moment il n’a été avéré qu’il y avait une quelconque collaboration avec les autorités françaises. Il y a eu des échanges avec un général français dont l’objet était l’amour de la poésie, parce que ce dernier était très cultivé et les échanges littéraires entre les deux étaient très riches. Mais de là à dire qu’elle était espionne, personne ne l’a prouvé a aucun moment. Lors des différents colloques, cette allégation est souvent revenue. Mais comme toujours, personne n’a réussi à prouver une quelconque activité d’espionnage d’Isabelle Eberhardt. Elle ne peut pas l’avoir été pour des raisons évidentes. C’était une personne qui écrivait contre l’armée française. L’accusation d’espionnage venait surtout des gens qui voyaient en elle une icône. Elle dérangeait parce qu’elle était femme, étrangère, elle avait adhéré à l’Islam, elle était libre, … Elle a accumulé trop d’éléments qui dérangeaient. En plus, elle avait fait venir de France deux anarchistes français, Ernest Girault et Louise Michel et elle leur avait demandé de passer à Ain Sefra pour constater les exactions de l’armée française !
Parlons maintenant de votre association Une association a existé à un certain moment à Oued Souf, parce qu’elle avait fréquenté la confrérie de la Qadiria là bas. Mais je pense qu’elle a disparu maintenant. Il n’existe donc plus aucune association au niveau national portant le nom d’Isabelle Eberhardt. Même sur Internet, je n’ai pas trouvé de trace d’une association portant ce nom même au niveau international. Notre association a été fondée le 17 février 2016 à la date anniversaire de la naissance d’Isabelle, il y a donc exactement une année. Nous avons obtenu notre agrément moins de deux mois après. Nous espérons organiser une projection d’un documentaire sur Isabelle Eberhardt le 8 mars prochain, avec une exposition de photos et de livres, à l’occasion de la journée internationale de la femme. Nous comptons aussi participer aux colloques et journées d’études organisées sur Isabelle Eberhardt en Algérie, et aussi la création d’un blog et d’un site Internet pour la faire connaître. Nous travaillons actuellement sur la réédition de l’œuvre complète de cette auteure en collaboration avec un éditeur local. Nous espérons organiser des pèlerinages et des voyages d’études sur les lieux où a vécu Isabelle pour les faire découvrir aux jeunes. Nous comptons être partie prenante dans tous les événements nationaux qui sont consacrés à Isabelle Eberhardt, et espérons nous-mêmes en organiser dans la wilaya de Béjaïa auprès des jeunes et des associations culturelles.
Quelles sont vos ressources financières ? Pour l’instant, nous n’avons encore reçu aucune subvention de l’État. Mais on nous a promis des aides financières pour l’organisation de grands projets. Il faut, je crois, selon la réglementation, exister d’abord pendant une année avant d’avoir droit à des subventions. Mais nous allons faire appel à tous les donateurs généreux et sponsors qui voudraient bien nous apporter de l’aide et déposer à nouveau des demandes de subventions pour l’exercice 2017.
Et pour le local de votre association ? Justement, nous avons fait un appel sur notre page Facebook (Association Culturelle Isabelle Eberhardt de Béjaïa) à tout bienfaiteur pour la concession d’un local à Béjaïa centre à titre gracieux ou à défaut, d’une location à prix raisonnable pour une durée d’une à deux années pour l’établissement de notre siège. C’est une association qui démarre et nous avons besoin d’aides de toute nature. Que ce soit de la part de l’état, l’APC, l’APW, la DJS, Direction de la Culture, l’Université de Béjaia, etc.
Entretien réalisé par N. Si Yani
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