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Photo du rédacteurNabil Z.

«Je Suis Venu à la Musique par Accident»

Venu à la Maison de la culture de Béjaïa encadrer et honorer de jeunes musiciens de la région qui ont participé à l’émission Alhane wa chabab de la télévision nationale, Kamal Hamadi nous a accordé cette interview.



La Dépêche de Kabylie :

On dit de vous que vous êtes le témoin de toute l’histoire, la mémoire vivante de la musique algérienne.

Kamal Hamadi :

Ce serait prétentieux de ma part de dire une telle chose. J’ai juste eu la chance de rencontrer la plupart des artistes de ma génération. Des artistes que j’ai admirés. J’ai connu la plupart des grands noms de la chanson algérienne de mon époque. Ça a commencé avant la révolution et ça a continué jusqu’à maintenant.


D’après les différentes biographies qui vous ont été consacrées avant d’être musicien, vous étiez tailleur, est-ce vrai ?

J’étais apprenti tailleur. Je suis venu dans le domaine de la musique par accident. J’y ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont fait aimer ce milieu. Boualem Rabia, que Dieu ait son âme, Abdelkader Fethi, Arab Ouzellag, Alilou, … Ce sont ces gens-là qui m’ont ouvert les portes. Ils m’ont emmené à la radio, et c’est là que j’ai découvert ce qu’est l’art, ce qu’est la chanson. En même temps que j’étais apprenti tailleur, je faisais des émissions à la radio. J’écrivais pour certains artistes. Parmi eux, Abdelkader Fethi, Mohand Rachid, Youcef Abdjaoui, Karim Tahar, Ourida, etc. Après, j’ai commencé à écrire des opérettes et des sketches. Quand je ne pouvais plus faire mon travail d’apprenti tailleur, j’ai arrêté pour pouvoir faire du théâtre à plein temps. J’étais plus porté par le théâtre que par la chanson. Jusqu’à maintenant, mon amour, c’est d’abord le théâtre. 


Vous avez écrit pour M’hamed El Anka…

Il n’y a pas qu’El Anka. J’ai écrit à plus de cent trente chanteurs Algériens, Marocains et Tunisiens. En kabyle d’abord, mais aussi en arabe algérien, marocain et tunisien. C’est un honneur pour moi d’avoir écrit pour M’Hamed El Anka, Boudjemâa El Ankis, Ahmed wahbi, et tant d’autres. J’ai fait plus de deux mille chansons qui ont été enregistrées. Il y en a encore beaucoup que j’ai écrites, mais qui ne sont pas encore enregistrées. Je suis Algérien, Kabyle et montagnard. Quand je suis arrivé à Alger, il y avait des artistes de toutes les régions d’Algérie, et même de Tunisie et du Maroc. J’ai eu la chance de travailler avec ces gens-là et de connaître de très grands noms, tels que Amraoui Missoum, Slimane Azem, … J’ai rencontré de très grands artistes. De chacun d’eux j’ai reçu une fleur. C’est ce qui fait la diversité de mon répertoire. Quand j’ai commencé à aimer l’art, j’ai rencontré plusieurs artistes, dont beaucoup nous ont quittés maintenant, tels que Mohamed Djamoussi, Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Abderrahmane Aziz. Et je reste toujours en contact avec la plupart de ceux qui sont toujours en vie. Le fait d’avoir travaillé avec eux, de leur avoir écrit des textes ou de leur avoir composé des musiques ou dirigé leurs orchestres, est pour moi comme un rêve. Tous les artistes que j’ai rêvé de rencontrer, j’ai réussi à les connaître. Ils sont devenus des amis, et j’ai travaillé avec eux. 


Est-ce que c’est l’exil qui vous a permis de développer votre art ?

C’est peut être cette chance que j’ai eue. J’ai été obligé de vadrouiller, j’ai connu tout le Maghreb et l’Europe, et j’ai rencontré tous les artistes que j’ai rêvé de rencontrer. 


Après l’indépendance, votre regard sur la chanson algérienne a-t-il changé ?

La chanson a suivi le temps. On ne s’habille pas aujourd’hui comme on le faisait dans les années cinquante. À l’époque, il n’y avait pas encore de télévision. Chez moi, en Kabylie, il n’y avait même pas la radio. On ne savait pas qu’il y avait un milieu artistique. C’est en arrivant à Alger que j’ai découvert tout cela. Je n’ai eu la télévision chez moi, à la maison, qu’après l’indépendance. Avant, on n’avait pas grand-chose. C’était très difficile de travailler. Pour enregistrer, il fallait aller en France, puisqu’il n’y avait pas de maisons de disques en Algérie. Et pour enregistrer, il fallait s’appeler Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, ou Allawa Zerrouki. Il fallait d’abord avoir un nom avant d’arriver à intéresser une maison de disques. 


Et vous passiez facilement du kabyle à l’arabe, du marocain au tunisien ?

Arrivé à Alger, j’ai découvert que les artistes chantaient en kabyle, en arabe et en français. Souvent dans les trois langues. El Hasnaoui, Slimane Azem et beaucoup d’autres chantaient dans les trois langues. C’est un peu comme maintenant, quand nous parlons entre nous, nous utilisons les trois langues. C’est ça la diversité et c’est très beau. J’ai eu la chance d’être l’ami d’Ahmed Wahbi, de Mohamed Tahar Fergani, d’Abderrahmane Aziz, de Slimane Azem, d’Allawa Zerrouki,… C’est la chance que j’ai eue. 


Vous avez traversé diverses époques. L’époque coloniale, la révolution, l’indépendance, puis la période des contestations et l’arrivée du Raï qui a bouleversé le paysage musical de l’Algérie. Comment avez-vous vécu la période de l’arrivée du Raï ?


Le Raï a toujours existé. C’était une chanson féminine. Chez nous, en Kabylie, il y avait Ourar El Khalath. À Constantine, il y a les Fkirat et, à Alger, Lemsama3. À Oran, pour décrire la chanson féminine des cheikhates, on disait le Raï. Ce n’est que vers le début des années soixante que les hommes se sont mis à chanter du Raï. C’était surtout de la chanson improvisée, de chanter Fatma El Khadem, Zahra El Ghelizania, Zahra El Abassia. Ce style de chansons ne passait ni à la radio, ni à la télévision. 


À partir de quel moment vous êtes-vous dit qu’il était temps de transmettre et de former une nouvelle génération ?

Je n’ai pas formé. J’ai surtout collaboré puisque j’ai eu la chance de rencontrer Amraoui Missoum, Slimane Azem, Arab Ouzellag, et de collaborer avec eux. Si j’ai pu transmettre quelque chose, c’est parce que j’étais plus âgé que d’autres ; j’en suis heureux. Mais je n’ai pas spécialement formé qui que ce soit. J’essaie de faire ce que j’aurais souhaité qu’on fasse pour moi quand j’étais plus jeune. 


Depuis un certain temps, il y a plein de Festivals. Celui de la chanson amazighe, de la musique kabyle, … Qu’en pensez-vous ?

Dans le passé il n’y avait pas tout cela. Mais maintenant, les jeunes ont cette chance de pouvoir se produire dans ce genre d’événements. Mais il ne faudrait pas que ça s’arrête là. Il faudrait qu’il y ait une suite, une sorte de continuité. Il faudrait qu’on puisse s’occuper de tous ces jeunes talents que nous découvrons dans ces Festivals, afin qu’ils bénéficient de formations et d’orientations pour qu’ils puissent continuer leur carrière. 


Depuis quelque temps, vous parrainez le Festival de la chanson kabyle…

Vu mon âge et mon ancienneté dans ce domaine, je réponds oui à chaque fois que je suis sollicité. Je suis flatté et ça me fait plaisir de le faire. Maintenant, j’attends qu’on ouvre des conservatoires, qu’on s’occupe davantage de ces jeunes, et qu’on leur ouvre les portes qui étaient fermées pour nous. Mme Gaoua et la Maison de la culture font un grand travail avec ce Festival.


Comment vous accueille-t-on quand vous venez à Béjaïa ?

J’ai toujours été bien accueilli ici. La première fois que je suis venu dans cette ville, c’était en mille 1956. J’ai eu la chance de rencontrer le Cheikh Sadek El Bedjaoui qui est devenu un ami, et avec qui j’ai appris beaucoup de choses, tout comme Abdelwahab Abdjaoui, Mokrane Agawa, et beaucoup d’autres. C’est la même chance que j’ai eu en rencontrant Ahmed Wahbi et Bellaoui El Houari, Fergani et Hassen El Annabi. J’ai pris un peu de chacun d’eux. Ce qui m’a permis d’apprendre ce métier. 


Quel regard portez-vous sur la musique en Algérie, actuellement?

C’est comme dans tous les temps. Il y a du bon et du moins bon. Ce qui est bon va rester. Le reste va disparaître. Si j’ai un conseil à donner aux jeunes d’aujourd’hui, puisque les portes sont mieux ouvertes aujourd’hui que dans le passé c’est de faire des formations, d’aller au conservatoire. Avec des études adéquates, on peut faire beaucoup mieux que ce qui se fait de manière spontanée.


Prévoyez-vous une compilation de vos chansons ?

J’ai prévu beaucoup de choses et j’ai beaucoup de projets que j’espère mener à bout.


Vous avez travaillé avec beaucoup de Maisons de disques ?

Oui, j’ai connu des maisons de disques françaises : Pathé Marconi, Odéon, Philips, Vogue, Teppaz…. On est partis nombreux dans ces maisons de disques. Guerrouabi, Mohamed Hilmi, Deriassa, Nora, … Ensuite, il y a eu des Maisons de disques algériennes : La voix du Globe, Oasis, … qui ont lancé des chanteurs comme Idir, Ait Menguellat, Djamel Allam, … Mais il ne faudrait pas que l’aspect commercial passe avant le côté artistique.


Est-ce que vous vous rappelez votre premier passage à la radio ?

Je suis rentré à la radio en 1952. C’était pour écrire des chansons pour Abdelkader Fethi, puis Mohamed Rachid, Marim Tahar et beaucoup d’autres. J’ai écrit ma première opérette en cinquante-quatre, c’était Errayik A Si Meziane. Ça a plu, et ça m’a encouragé à continuer. Certaines des chansons de cette opérette continuent encore à passer à la radio jusqu’à aujourd’hui. 


Quelle a été la première chanson que vous avez interprétée vous-même à la radio?

Je ne suis pas entré à la radio pour chanter. C’est Rabie Boualem qui m’y a fait rentrer. En y rentrant, j’ai vu que Cheikh Noreddine cherchait de nouveaux talents. Alors, j’ai écrit une nouvelle chanson que j’ai donnée à Karim Tahar. Puis, j’en ai fait beaucoup d’autres. À partir de 1953, j’ai commencé à animer des galas en Kabylie. J’ai fait toutes les salles de spectacles de la Kabylie, et chacune au moins une dizaine de fois. Mais, à l’époque, on ne s’attendait pas à être payé par les communes qui nous accueillaient. On faisait cela par amour, et les recettes que nous avions suffisaient à peine à faire face aux différentes charges. Mais on arrivait toujours à s’en sortir. On remplissait les salles de spectacles. Et là où il n’y en avait pas, on chantait dans les cours d’écoles. À Sidi Aich, à Oued Amizour, à El Kseur, à Fort National, à Michelet, les gens ne se demandaient pas combien on gagnait. Ils venaient pour le plaisir, et les salles étaient toujours pleines. Quand nous rencontrons encore aujourd’hui, les gens qui ont vu nos spectacles à l’époque, c’est du gala et des chansons dont ils se rappellent, pas du montant de la recette. Maintenant, beaucoup de musiciens s’intéressent plus à leur cachet qu’à leur art. 


Vous avez connu des chanteurs, tels Bellaoui El Houari, Blond blond, Maurice el Medioni, René Perez,… Pourquoi ce genre de musique n’existe plus ?

J’ai travaillé avec eux tous. C’étaient des musiciens professionnels qui connaissaient bien le domaine de la musique. Ils se respectaient beaucoup. Dans les orchestres de ces chanteurs ou de ceux de Slimane Azem ou Cheikh El Hasnaoui, il y avait des Arméniens, des Marocains, et d’autres venus d’ailleurs aussi. Le plus important, c’était leur qualité de musiciens et leur maîtrise de leurs instruments, pas leurs origines. Personne ne pouvait jouer du violon comme Albert Abitbol, par exemple. C’était un musicien Juif de Tunisie. Il était aveugle, mais personne ne jouait aussi bien que lui. Le bras droit des chanteurs Kabyles à l’époque était Kaddour Cherchali, qui était un excellent musicien. La musique est un langage universel qui n’a pas de nationalité. C’est la musique qui réunit toute la planète. Il y a sept notes dans le solfège, et elles se retrouvent dans toutes les musiques du monde. Le musicien qui n’apprend pas le solfège se fait du tort à lui-même. Il faut s’ouvrir aux formations artistiques, musicales, picturales, théâtrales, …


Voyez-vous de nouveaux talents musicaux en Algérie, aujourd’hui ?

Oui, il y en a beaucoup. Surtout des voix féminines. Si j’avais le pouvoir, je les prendrai en main pour les envoyer en formation pour préparer leurs carrières de façon professionnelle. 


Il y a quelques années, vous avez été honoré par Nicolas Sarkozy. Et dans votre pays… ?

Je n’ai pas à me plaindre de cela. J’ai vraiment reçu des hommages des autorités de mon pays, et j’ai été honoré plusieurs fois. Mais les plus grands honneurs, je les ai reçus du public. 


On avait demandé à Jacques Toubon, qui était en charge de l’émigration à un certain moment, les raisons qui ont fait que je sois ainsi honoré et il a répondu que kamal Hamadi a beaucoup fait pour l’émigration. Sa réponse m’a fait plaisir. C’était en l’honneur de tout le travail que nous avions fait dans les villes et villages, dans les hôpitaux et les prisons, où nous allions chanter sans relâche et avec un grand plaisir.


Entretien réalisé par N. Si Yani

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