La rentrée littéraire en France annonce quelques cinq cents quatre-vingt-neuf titres, dont certains ont déjà commencé à sortir. Deux auteurs algériens sont très attendus à côté d’autres, des plus connus aux nouvelles plumes. Yasmina Khadra va encore nous surprendre avec son imagination si fertile, tandis que Boualem Sansal nous entrainera des années en avant, anticipant sur ce qui attend le monde d’ici quelques années.
La Dernière nuit du Raïs
Yasmina Khadra nous a habitués à des surprises. Autant avec les hirondelles de Kaboul qu’avec « l’Attentat », « les Sirènes de Baghdad » ou « Ce que le jour doit à la nuit ». Cette année, il revient avec un titre très éloquent : La dernière nuit du Raïs. Khadra se met à la place de Khadhafi qui vit ses dernières heures et raconte sa vie jusqu’à sa chute en ce 20 Octobre à Syrte. C’est "Une plongée vertigineuse dans la tête d'un tyran sanguinaire et mégalomane, qui devrait permettre d'avoir une autre vision du défunt dictateur libyen. " selon son éditeur, Julliard.
Ce roman est très attendu. C’est pourquoi sa sortie est un peu retardée. Il est prévu pour Septembre ou Octobre prochains, et sortira simultanément dans une dizaine de pays : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Allemagne, Pologne, Portugal, Turquie, France et Algérie. Le roman a déjà été traduit dans plusieurs langues, et intéressera certainement beaucoup de monde. Selon le Figaro, « le roman se déroule par flash-back. «Il (Kadhafi) a poussé la mégalomanie jusqu'à chercher à incarner toute une nation, persuadé que, par son statut de souverain absolu, il régnait sans partage sur les êtres et les choses. Le monde entier connaît ses méfaits, mais que sait-on vraiment de sa personne ? La Dernière Nuit du raïs nous éclaire sur la face cachée d'un homme né sous le signe d'une injustice, qui voulut sauver son peuple, mais ne fit que se substituer à lui. Sans projet de société probant, le tyran privilégia la répression la plus brutale, conjuguant purges sanglantes et démagogie claironnante». C’est justement là le risque du roman, qui est celui de se transformer en tribunal pour juger le personnage, ou une tribune pour justifier la manière avec laquelle il a été traité pour l’écarter du pouvoir. Ce serait effectivement intéressant de découvrir comment Yasmina Khadra traite ces questions, même si ce n’est que dans le cadre d’un roman.
2084 de Boualem Sansal
C’est jeudi dernier qu’est sorti le dernier roman de Boualem Sansal, intitulé « 2084 », pour faire écho à celui de George Orwell « 1984 ». Tout comme ce dernier, le roman de Sansal se veut une sorte de prédiction sur ce qui attend le monde à horizon 2084. C’est aussi une sorte de dénonciation de la marche du monde. La sensibilité de l’auteur ne le laisse pas indifférent par rapport à ce qui se passe actuellement dans le monde, ainsi que la façon dont les choses sont menées. Pour Boualem, « la mondialisation excessive conduira le monde vers l’islamisation ». Car selon lui, la mondialisation est une sorte d’ouverture anarchique des frontières, sans règles ni gardes fous. Le fait de faire passer les intérêts financiers avant toute autre considération amène les jeunes des pays musulmans à émigrer vers l’occident, et devenir petit à petit suffisamment nombreux, et forts pour y prendre le pouvoir.
Boualem Sansal a imaginé un pays, l’Abistan. Il s’agit d’un pays entièrement soumis à un dieu cruel qui est prié neuf fois par jour, et ou l’essentiel des activités se résume à la prière, le pèlerinage et le spectacle des châtiments publics. Il résume les totalitarismes prédits par George Orwell en un seul, appelé Mondialisation, et est gouverné par Wall Street.
En soumettant toute l’activité humaine à la logique de la mondialisation, Wall Street se fait surprendre par la résurgence de l’islam. Une culture qu’il ne connait pas, avec ses lois, sa logique et ses pratiques totalement étrangères à ce dont Wall Street était habitué. Cette nouvelle idéologie va donc produire un totalitarisme qui va surprendre et dépasser tous les moyens que ce Wall Street a mis en place pour essayer de dominer le monde.
Dans une interview accordée à France 24, l’auteur de 2084 affirme : « "Dans mon analyse, c'est le totalitarisme islamique qui va l'emporter parce qu'il s'appuie sur une divinité et une jeunesse qui n'a pas peur de la mort, alors que la mondialisation s'appuie sur l'argent, le confort, des choses futiles et périssables".
C’est là que se trouve la limite de l’imagination de l’auteur. Car pour appeler le pays imaginaire Abistan, s’appuyant sur le concept d’«Abi », c’est-à-dire du Père, ce Dieu inconnu en Islam est qui est une notion exclusivement chrétienne. Et ce Père est connu pour justement être Amour, et non-violence et totalitarisme. Sansal confond entre le dieu des islamistes qui est en effet un dieu violent, méchant revanchard et totalitaire, donc totalement étranger au vrai Dieu, celui qui a créé son univers avec amour et entend le traiter de la même manière. Ce « Yolah » inventé par Sansal est donc totalement fictif et irréel. Il aurait été souhaitable qu’il aille au fonds de son analyse et appeler un chat par son nom, plutôt que d’essayer de lui attribuer celui de Minou.
Ce n’est certainement pas son imagination qui lui fait dire que « la dynamique de la mondialisation musulmane se met en place". C’est le fruit d’une réflexion et d’une analyse assumées. Preuve de la lucidité de l’auteur. Le roman est assurément intéressant, puisqu’il a été commis par un de nos plus grands écrivains de l’heure. Et malgré le fait que ce ne soit qu’un roman, il serait intéressant de lire l’analyse et les prédictions de ce prophète sans Dieu, surtout qu’il s’engage dans une voie risquée, qui consiste à annoncer la défaite de Wall Street face à ses adversaires islamistes, alors qu’il s’apprête à collapser plus tôt que ne le prévoit l’auteur de 2084, paru chez Gallimard.
Nabil Z
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