Le territoire que les Berbères appellent Tamazgha a porté d’autres noms dans les temps anciens. Le plus ancien a été celui de Libye, puis de Maurétanie, avant d’être appelé Afrique. D’où vient ce dernier nom, et comment est-il passé de la désignation d’une petite province romaine au nom que porte tout un continent ?
Selon l’historien français spécialiste de l’Algérie romaine, Stéphane Gsell, dans son livre intitulé « Histoire Ancienne de l’Afrique du Nord » paru en 1928, « Au printemps de l’année 146 avant J.-C., Carthage ayant succombé, dix commissaires, désignés par le Sénat de Rome en vertu d’une loi votée par le peuple, se rendirent en Afrique, pour prendre avec le vainqueur, Scipion Émilien, les mesures qu’exigeaient les circonstances. Ce qui restait de la ville fut entièrement détruit et le territoire qu’elle possédait encore en 149, au début de la troisième guerre punique, devint une province romaine. Le général et les commissaires en fixèrent exactement les limites, en réglèrent l’organisation, décidèrent de la condition des lieux habités, des personnes et des terres. Ce fut la charte de la province, lex provinciae. Cette province fut appelée provincia Africa, — Africa étant un adjectif joint à un substantif, — ou, par omission du substantif, simplement Africa. Les Romains avaient employé l’adjectif Africus avant la chute de Carthage. De même, Africanus, qui en était dérivé: tel fut le surnom que Scipion l’Ancien reçut à la fin du IIIe siècle. C’étaient là des formes purement latines, dépendant du mot Afer, dont l’usage est également attesté avant le milieu du second siècle : nous le trouvons dans Plaute, et l’on sait que l’émule de Plaute, Térence, affranchi d’un P. Terentius Lucanus, joignit au prénom et au nom de son patron le surnom Afer, qui rappelait son origine. Africa terra était la terre de ceux que les Romains appelaient Afri, pluriel latin d’Afer. Que, parmi les Afri, ils aient compté les Carthaginois, c’est ce qu’on pourrait inférer du surnom Africanus, donné au vainqueur d’Hannibal, Mais le terme Afri ne désignait pas seulement les habitants de Carthage, et même il est presque certain qu’il ne s’était pas d’abord appliqué à eux. Les Afri que mentionnent Tite-Live et Justin, abréviateur de Trogue Pompée, que le premier oppose aux Poeni, aux Carthaginienses, étaient ceux que les Grecs appelaient Λίβυες (Libyens), au sens restreint de ce mot : les indigènes qui vivaient sur le territoire punique. L’Africa terra était donc ce territoire, qui, annexé par Rome, devint la provincia Africa. Dans l’antiquité et de nos jours, on a donné du mot Africa diverses étymologies : on y a reconnu soit un terme latin, soit un terme sémitique ; on l’a expliqué par des noms de peuples berbères ou étrangers, ou par le nom d’un homme qui aurait conquis le pays. Nous pouvons nous dispenser de réfuter ces hypothèses, puisque c’est, non pas l’étymologie de l’adjectif Africus qu’il convient de chercher, mais celle du substantif Afer, dont Africus est une dérivation latine. Il est fort invraisemblable qu’Afer soit un mot d’origine latine ; d’autre part, il n’a pas été emprunté par les Romains aux Grecs, qui n’en faisaient pas usage et se servaient, comme nous venons de le dire, du terme Λίβυες (Libyens). Ce sont des gens d’Afrique qui l’ont fait connaître aux Romains. Il devait être employé, soit par les indigènes, soit par les Carthaginois, soit par les uns et les autres. A ma connaissance, on ne le retrouve pas sur les inscriptions puniques, tandis qu’on y rencontre LBY, au féminin LBT, au pluriel LWBYM (Loubî, Loubat, Loubîm), c’est-à-dire sans doute le même nom que Λίβυς (Libye), Λίβυες (Libyens). Des anciens ont expliqué Afer par le nom de quelque héros légendaire, inventé naturellement à cet effet. Des non pas une vieille peuplade berbère, mais des gens de race mêlée, sans doute des descendants de Romains et d’indigènes romanisés, chrétiens (G. Marçais, Les Arabes en Berbérie du XIe au XIVe siècle, p. 35). Leur nom n’a pas donné naissance au mot Africa, mais il en dérive. Des modernes ont proposé une étymologie sémitique, ou une étymologie berbère, ont cité des noms de lieu, de divinité, de peuplades, qui leur ont paru ressembler à Afer. Il vaut mieux confesser notre entière ignorance sur l’origine de ce nom et, par conséquent, du nom Africa. Le terme officiel Africa, abréviation de provincia Africa, s’étendit, en 46 avant J.-C., à la province que Jules César créa alors, en annexant le royaume de Juba Ier : ce fut l’Africa nova, l’Afrique nouvelle, réunie, peu d’années après, à l’Africa vetus, à la vieille Afrique. Dès lors, l’Africa, au sens administratif, eut pour limite, à l’Ouest, le cours inférieur de l’Ampsag ( A l’est de Jijel- Oued et Kebir), qui se jette dans la Méditerranée à proximité du cap Bougaroun, le Metagonium des anciens (traversant Mila, Constantine, Sétif et Jijel). Au Sud-Est, la limite de l’Africa fut fixée aux Autels des Philènes (frontière avec laCyrénaïque en Libye), au fond de la grande Syrte(1). Afri était le nom donné aux habitants de la province d’Africa, celle de l’année 146 avant J.-C., puis celle, beaucoup plus vaste, de l’Empire. Cependant, le nom de Numidia resta attaché, dans le langage courant, à la partie de l’Africa officielle qui avait été formée du royaume de Numidie(3). Plus tard, cette province d’Africa, — c’est-à-dire l’Africa vetus et l’Africa nova réunies, — se morcela : au début du IIIe siècle, l’Ouest, qui, depuis longtemps déjà, n’en faisait plus partie que théoriquement, devint la province de Numidia ; à la fin du même siècle, furent créées, au Sud et au Sud-Est, les provinces de Byzacène et de Tripolitaine. Après s’être élargi avec la province, le sens administratif du mot Africa se restreignit avec elle et ne s’appliqua plus qu’au Nord de la Tunisie et au Nord-Est de l’Algérie. C’est avec cette signification qu’il a survécu à l’antiquité : l’Ifrikiya des Arabes était à peu près la province d’Afrique du Bas-Empire. En dehors de l’usage administratif, nous trouvons le terme Africa appliqué à l’ensemble de l’Afrique septentrionale, au pays des Blancs, par opposition à l’Aethiopia, le pays des Noirs. Cet emploi est assez rare. Les Grecs appelaient Λίβυες (au sens large de ce mot) les Blancs habitant le Nord du continent,
mais non pas les Éthiopiens : on s’explique donc qu’ils aient parfois appelé Λιβύη (Libye), la contrée où vivaient ces Λίβυες (Libyens) ; on peut, d’autre part, supposer que des Latins, rencontrant dans des sources grecques le nom Λιβύη, avec cette signification, l’ont traduit par Africa.
Mais, d’ordinaire, Λιβύη avait un sens plus étendu que Λίβυες et désignait le continent tout entier. Le même sens fut donné au mot Africa, employé comme terme de géographie physique. Le nom d’Afri fut quelquefois aussi attribué à tous les habitants du continent, Noirs comme Blancs, extension que n’avait pas reçue le terme Λίβυες.
Pour la limite orientale de l’Africa, partie du monde, il y eut naturellement chez les Latins les mêmes divergences que chez les Grecs à propos de la Λιβύη. Selon les uns, c’était le Nil ; selon d’autres, l’isthme entre la Méditerranée et la mer Rouge ; d’autres terminaient l’Afrique à la frontière occidentale de l’Égypte.
Tandis que les Latins, élargissant le mot Africa, s’en servaient pour traduire Λιβύη (Libye), les Grecs, restreignant le mot Λιβύη, en firent usage pour traduire l’appellation officielle de la province romaine, Africa. Cela leur fut aisé, puis qu’ils avaient déjà pris l’habitude d’appeler Λίβυες (Libyens, au sens étroit) les indigènes du territoire carthaginois, les opposant aux Νομάδες (nomades), indigènes indépendants. C’est ainsi qu’allant, en quelque sorte, à la rencontre l’un de l’autre, le terme grec et le terme latin devinrent synonymes, dans leurs deux acceptions, l’une politique, l’autre géographique.
Commentaire :
Les origines des berbères ont toujours intrigué les spécialistes. Dans tous les domaines. Ils ne savent ni d’où ils viennent, ni d’où vient leur languie ni comment best née leur écriture. On voit ici que, même leur nom reste une énigme pour eux. Certains ont voulu rattacher le mot Afer à des divinités comme Ifru, ou à des légendes comme Ifricos, fils de Goliath, comme rapporté par Ibn Khaldoun, ou encore le fils d’Hefrcule.
En fait, nous semble-t-il, ces spécialistes qui ont déjà fait un énorme travail ont péché par leur ignorance de la langue des berbères. Si Stéphane Gsell a effleuré la question, beaucoup l’ont tout simplement ignorée. Car en fait, le nom Afrique n’est d’origine ni latine, ni grecque, ni phénicienne. Les amazighs l’utilisent encore aujourd’hui pour désigner une propriété, un terrain, une cour, un jardin, et même parfois, une grotte. Car les troglodytes du sud tunisien, de certaines régions de l’actuelle Libye, mais aussi du Maroc et de l’ouest de l’Algérie se sont toujours fait appeler Africains. Pour preuve, des noms de tribus, de villes ou de villages comme Béni Ifrène. Cela montre l'attachement des berbères à leur sol, à leur terre. En tous cas, il y a encore un grand effort de notre part à faire, pour y voir plus clair dans notre histoire.
Nabil Z.
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Eclaire dans la nuit
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