La bande dessinée, peut-elle être considérée comme œuvre littéraire ? Et qu’en est-il de son contenu ? Surtout quand il parle d’un arabe qui n’est pas très loin de ceux qu’on connaît.
L'Arabe du futur est une bande dessinée publiée sous forme d’une série de cinq albums. Son auteur, Riadh Sattouf est un syrien de mère bretonne, né en Libye. Tout un melting pot de culture et de traditions, qui permet un regard critique sur une histoire arabe atypique, mais pas si étrangère, puisque beaucoup on vécu les histoires qui sont racontés dans cette série.
L'Arabe du futur relate l'enfance de l'auteur en Libye, ou son père était coopérant technique, et enseignant, puis le retour de la famille en Syrie. C’était l’époque du panarabisme, aussi bien prôné par la Syrie que la Libye.
Riad Sattouf grandit d'abord à Tripoli, en Libye. Son père, issu d'un milieu pauvre, féru de politique et obsédé par la politique, élève son fils Riad dans l’admiration et la glorification des grands dictateurs arabes qui symbolisaient la modernité et la puissance de la Nation. Nasser, Assad, Boumédienne, Kadhafi, Saleh, .. étaient de véritables idoles pour ces pays membres de la Ligue Arabe, qui venaient juste d’accéder à l’indépendance et qui se cherchaient une identité propre, une unité qui pourrait les hisser aux premiers rangs dans le concert des nations, entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique.
Dans cette BD, Riad décrit son vécu dans le village rural de Ter Maaleh, notamment sa vie d'écolier, et la pression des traditions familiales. Il raconte en dessins plein de situations qu’il aurait été difficile de décrire par des mots. Mais en 1984, la famille déménage en Syrie et s’installe dans un petit village près de Homs. Riad est très mal accueilli par ses cousins et camarades de classe. Il est blond, et différent des autres. Il a du mal à s’adapter à ce nouvel environnement auquel il n’avait pas été préparé. Mais dans l’esprit de son père, il y avait une obsession : que son fils Riad devienne un Arabe moderne et éduqué, un Arabe du futur, encouragé par sa mère qui lui expliquait que dans le futur, les arabes seraient éduqués et civilisés.
Le Figaro raconte : « Après les années syriennes, le jeune Riad revient en France. Son père travaille seul en Arabie saoudite et se tourne de plus en plus vers la religion. Le jeune héros se sent de plus en plus tiraillé entre ses deux cultures, d'autant plus que rien ne va plus entre ses parents. Et surtout sa fascination du père, qui s'émoussait, vire à une véritable désillusion ».
En Bretagne, région d’origine de sa mère, la vie n'est toujours pas une sinécure. Il est raillé par ses camarades, méprisé et dédaigné. On dit de lui qu’il était le garçon le plus laid de la classe. Avec un courage et une lucidité qui laissent les lecteurs étonnés, Riad raconte tout cela dans ses BD, ou il livre aux lecteurs une image sans concessions à la fois de la vie familiale, et des environnements dans lesquels il a vécu.
Selon l’auteur, « Le secret familial qu'il y a dans cet album est en quelque sorte l'étoile sombre cachée autour de laquelle gravite la série de l'Arabe du futur depuis le début. Il fallait que je trouve le moyen de pouvoir le raconter et j'ai tourné autour de la manière de le faire pendant de très longues années ».
En effet, la critique dit qu’au fur et à mesure des albums, les histoires se bonifient et deviennent de plus en plus poignantes. C’est comme si, au fur et à mesure qu’il en parle, l’auteur se libère et se permet de rentrer dans des détails qui aident à entre dans son histoire, dans sa vie. D’ailleurs, pendant des années, il a essayé de raconter sa vie à ses amis, sans que personne n’y comprenne grand-chose. « J'ai raconté mes histoires de Syrie et de Libye à mes potes pendant des années, et pourtant c'est seulement quand ils les ont lues en livre qu'ils ont réalisé! Cela semblait soudain plus concret. Ils comprenaient mieux? Ils visualisaient les choses? C'est comme s'ils redécouvraient l'histoire... » C’est dire l’importance de l’expression écrite, en texte ou en image. « Lorsque le premier volume est sorti, c'est comme si je m'étais libéré d'un poids bizarre que je portais sur les épaules. J'ai grandi et j'ai construit ma carrière de dessinateur autour de cette histoire ».
Dans cette série, Riad revient sur l’histoire de son père. Communiste et laïc au début, au temps du panarabisme, il s’est peu à peu tourné vers la religion. « Les propos de mon père sont toujours les mêmes, ils n'ont pas vraiment changé... Il a toujours été profondément antisémite et ce dès le premier volume. La chose qui change est le regard de sa famille sur lui. Dans les premiers volumes, le père proférait ces horreurs, mais l'enfant trouvait que c'était fantastique. En grandissant, il commence à se rendre compte de la réalité des choses, à comparer son père avec les autres. Et découvre qu'il est moins fort de ce qu'il pensait, d'autres sentiments arrivent, comme la honte... » Il a joute des détails qui, normalement auraient été difficiles à avouer. « Le père que j'évoque est peut-être éclairé, éduqué, c'est un universitaire, mais il n'est pas du tout pour la démocratie. Il est pour la peine de mort et rêve de faire un coup d'État. C'est un intellectuel d'extrême droite façonné par une forte pensée nationaliste! Pour lui, l'Arabe devait devenir puissant et dominer. Mon père était pour le panarabisme dans sa jeunesse ».
Mais, qu’en est-il de son fils ? Quelles sont les positions de l’auteur ? « Pour moi être Arabe ou Français de souche ne veut rien dire. Dans mon village, en Syrie, j'avais du mal à être considéré comme un vrai Syrien car j'avais des origines françaises. En France, j'avais du mal à être considéré comme un Français, à cause de mon nom à consonance humoristique... Je me suis choisi donc l'identité d'auteur de bandes dessinées! « L'Arabe du futur » relève davantage du témoignage que de l'analyse ».
Cette série est donc très intéressante, puisque, ce qu’elle raconte peut être également partagé par d’autres. En partie, les histoires de coopérants techniques, de panarabisme et baathisme, de communisme et socialisme, d’athéisme et de religion, ont été également vécues dans d’autres pays dits « arabes ». Une façon de revisiter cette période pour ceux qui l’ont vécue et qui en gardent quelques souvenirs.
« Quand on me demande si je me sens plutôt Syrien ou Français, je réponds que je me sens avant tout appartenir au peuple des auteurs: c'est celui que j'ai choisi. C'est plus simple pour moi, ça m'a permis d'échapper à un conflit de loyauté. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir cette passion du dessin! Le dessin m'a tout donné! »
Le premier album de la série est sorti en 2014. Le quatrième vient juste de sortir, et cartonne déjà dans les librairies.
Nabil Z.
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