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Photo du rédacteurNabil Z.

L’Evangélisation des Maghrébins et la question identitaire

En 1926, l’Afrique du Nord sous domination coloniale cherche à s’organiser pour faire face aux conditions terribles de la vie des populations. Beaucoup de jeunes s’embarquent pour l’Europe, à la fois pour fuir la misère de leur pays, mais aussi pour trouver du travail et pouvoir envoyer de l’argent à leurs familles restées au bled.



Une moyenne de Sept cents Maghrébins arrivaient sur le port de Marseille toutes les semaines, à la recherche de travail et de meilleures conditions de vie. Les populations émigrées travaillent dur dans le bâtiment, les travaux publiques et l’assainissement, ainsi que dans l’agriculture. Leurs points de rencontre se situaient dans des foyers insalubres et des cafés mal famés. Ils boivent, jouent aux dominos et aux cartes et discutent de l’avenir.

C’est dans ces milieux constitués de 125.000 émigrés d’Afrique du Nord que va apparaître une idée dans la tête de quelques jeunes aspirant à la liberté et qui va les emmener à créer à Paris un parti politique : l’Etoile Nord-Africaine ENA. Parmi ses leaders, certains vont devenir célèbres comme Amar Imache et Messali Hadj.

Tout était à construire dans ce parti. Il fallait d’abord réunir l’ensemble des Maghrébins autour de l’idée de la liberté et de la défense de leurs droits moraux et sociaux. Ensuite, il fallait discuter des formes et des détails à donner à ce mouvement. Cette association qui visait à faire converger les aspirations des Maghrébins a fait en même temps surgir leurs différences, parmi lesquelles se trouvait la question de la Berbérité.

Quelques années auparavant, l’organisation missionnaire « North-Africa Mission », créée à la fin du 19ème siècle, constatant les conditions difficiles dans lesquelles les travailleurs immigrés vivaient, a décidé d’ouvrir un foyer pour accueillir les Maghrébins dans de meilleures conditions et leur donner ainsi l’occasion de découvrir l’Evangile.

Le Pasteur Hocart qui avait déjà vécu pendant quelques années en Kabylie s’est engagé auprès de la communauté des travailleurs Kabyles de Paris. Tous les jours, il allait dans les cafés où ils se regroupaient, s’installait devant une table et se mettait à lire les Evangiles à voix haute pour attirer les clients qui s’y trouvaient et pouvoir ainsi engager une discussion avec eux.

Ainsi, il a fait la tournée des 90 cafés et restaurants Maghrébins qu’il connaissait. Certains de ces établissements l’ont vu revenir plusieurs fois. Et à chaque fois, il utilisait la même méthode et engageait des discussions avec les gens. Certains qui savaient lire, prenaient même les brochures qu’il leur offrait et achetaient des évangiles pour pouvoir les lire et les partager avec leurs amis, certainement en les traduisant dans leurs langues maternelles.

D’autres évangélistes préféraient faire du colportage pour établir des relations avec les Maghrébins alors mal vus et méprisés par une France coloniale qui ne cherchait qu’à les exploiter. Mais dans tous les cas, les mêmes réactions ont été constatées. Les gens écoutaient et se montraient intéressés. Mais personne ne franchissait le pas de la conversion. A un Kabyle qui prenait à parti le Pasteur Hocart, son camarade le reprit : « Comment, lui dit-il, tu es chez les chrétiens ? Et lui, ne serait pas libre de parler de son prophète ? » Des débats s’ouvraient donc autour de la question de Jésus. C’était justement ce que souhaitaient les évangélistes, particulièrement ceux qui avaient déjà vécu en Afrique du Nord où les gens se montraient particulièrement hostiles à l’Evangile, considéré comme la religion du colonisateur.

Cette expérience a été relatée dans les colonnes d’un journal protestant, « Journal de l’Evangélisation » de Juillet-Août 1927 et signé par le Pasteur Pierre Lestringant qui avait fait son enquête une année auparavant, en 1926.

Les évangélistes Français, Anglais et Américains souffraient de l’image du Colon à laquelle ils étaient associés. Les Maghrébins ne voulaient surtout pas se plier à la religion des Européens qui les avaient soumis et condamnés à la misère. L’effort des missionnaires n’a donc pas pu donner du fruit à cette époque, car les aspirations des Maghrébins étaient ailleurs, et personne n’avait réussi à détourner leur regard de la seule chose qui comptait pour eux : l’indépendance de leur pays et de leur peuple.

Ce n’est qu’au qu’une soixantaine d’années plus tard que les conversions des Musulmans Maghrébins a pu se développer. Et ce n’était pas l’oeuvre des missionnaires occidentaux, mais bien le travail d’une poignée de Chrétiens Maghrébins eux-mêmes. En Algérie, ce fut l’expulsion des missionnaires occidentaux par les autorités au début des années quatre-vint qui a permis à l’Eglise Algérienne de naître et de se développer. Le témoignage inter-maghrébin a permis de décoloniser l’Evangile et de revenir à son message fondamental, le salut en Jésus-Christ et non la conversion à une religion.

La North-Africa Mission n’a toutefois jamais abandonné son objectif de faire connaître l’Evangile aux Nord-Africains, malgré les obstacles rencontrés. Elle est devenue depuis plusieurs années l’Arab World Ministries AWM. Toutefois, malgré leur longue présence dans les pays du Maghreb, ses dirigeants n’ont toujours pas compris que le Maghreb n’est pas le Monde Arabe. Il a sa propre identité, sa propre culture, ses propres traditions et ses propres langues. Le confondre avec le Liban ou la Jordanie, la Syrie ou l’Egypte est une erreur fondamentale qui conduit ses objectifs à passer à côté de leurs cible et ainsi, de produire beaucoup moins de fruit qu’escompté.

La crise dite Berbériste de 1926 a fait éclater l’Etoile Nord Africaine. En 1949, une crise similaire a fait éclater un autre parti politique nationaliste algérien, le MTLD. C’est cette revendication de la reconnaissance de l’identité Maghrébine qui a ébranlé les systèmes totalitaires en Algérie et au Maroc à partir de 1980. La question identitaire est fondamentale quand on veut traiter avec les Maghrébins. Les ignorer en tant que Berbères et leur imposer une autre identité est perçu comme un manque de respect, voire de mépris.

Merci à Jean-Yves Carluer qui a rappelé cet épisode dans son blog datant de 2014.


Nabil Ziani

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