Samedi dernier, eut lieu une Rencontre Culturelle à la Casbah de Béjaia. L’invité du mois fut le Professeur Slimane Hachi, anthropologue et Directeur du CNRPAH. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre des Journées Culturelles de la Casbah, initiées par l’Association de Sauvegarde du Patrimoine de Béjaia, présidée par Zahir Bennacer. Elle eut lieu dans la Bibliothèque de la Casbah, lieu historique s’il en est. Slimane Hachi a donné une conférence qui a duré plus d’une heure trente devant une salle quasi-pleine.
En commençant son intervention, Slimane Hachi a rappelé son parcours scientifique de jeune anthropologue, désireux de ré-explorer les grottes d’Afalu à Melbou. « Quand j’ai découvert Melbou, j’étais tout jeune, et il n’y avait que peu de maisons dans le village. Maintenant, Melbou est devenu une ville. C’était en 82-83 et l’APC de Melbou n’existait pas. C’était encore celle de Souk-El Tenine. J’y ai rencontré un grand monsieur qui m’a ouvert toutes les portes. On s’est installé sur l’ancien port minier de Melbou. Au début, nous avions une subvention du CRAPE qui nous permettait de travailler tranquillement. Mais dès 1984, il y a eu des restrictions budgétaires qui ont failli être fatales à notre projet. J’ai dû convaincre le PAPW de Béjaia de nous donner les moyens de continuer nos recherches sur site. Sur le chantier, il y avait entre quarante et cinquante étudiants, et nous dormions dans des tentes, dehors. Les problèmes de sécurité ne se posaient pas à l’époque ».
Après cette introduction l’anthropologue est entré dans le vif du sujet : « Nous avons trouvé plusieurs choses lors de nos fouilles. Il y en avait déjà eu dans les années trente, entre 1930 et 1934. En cette date, il y a eu une publication scientifique intitulée « Les Grottes de Béni Seghouane ». Les auteurs de la publication disaient que cet endroit était un site archéologique important. Ils y ont trouvé des restes humains et des restes d’animaux ainsi que des outils préhistoriques utilisés à l’époque ». L’équipe de Slimane Hachi était devant un dilemme. Soit reprendre les fouilles déjà entreprises par les français, soit essayer d’aller plus loin, dans l’espoir de découvrir d’autres choses. Lé décision fut prise de reprendre les fouilles déjà effectuées, mais en utilisant des méthodes et moyens plus modernes, et en adoptant une méthodologie « plus méticuleuse et plus précise ». Reprenant la parole, Slimane Hachi continue sa communication. « Nous avons réussi à trouver des choses très importantes qui allaient nous permettre de mieux comprendre et de faire parler plus ces ossements. Nous avions compris par exemple, que dans cette grotte se trouvait une nécropole, ou on a enterré plusieurs générations entières d’individus. La nécropole est un lieu sacralisé. Le fait d’enterrer des générations en génération veut dire que la mémoire est à l’œuvre. Mémoire sociale et mémoire de groupe. C’étaient des chasseurs, pêcheurs et des cueilleurs ». Allant plus loin dans son exposé, l’anthropologue donne des détails de la découverte faite par son équipe. « Nous avons découvert les restes de soixante-dix individus enterrés au même endroit. On a recherché le premier d’entre eux qui a été enterré à cet endroit, et nous l’avons reconstitué avec ses outils, ses ornements etc… C’est l’individu emblématique du collectif qui a vécu là-bas. C’est un personnage extraordinaire. C’est sa dépouille qui a sacralisé l’endroit ». Voulant situer cette découverte dans le contextes des autres faites un peu partout dans le monde, Slimane Hachi a tenu à rappeler que c’est l’une des nécropoles les plus anciennes au monde, et c’est certainement la plus ancienne en Afrique. Il y en a d’autres en Afrique du Nord. A Tiaret, à Taza, etc… » Certainement que l’Afrique du Nord regorge de trésors archéologiques nombreux et inestimables.
« La nécropole, poursuit l’orateur, suggère une autre idée, qui est celle de la sédentarité. C’est une unité biogéographique. Les Babors en est un exemple remarquable. Il y avait toute une vie dans la région, avec lachasse, la pêche et la cueillette. La présence de la nécropole suggère aussi l’idée de l’existence d’un être ou d’une force supérieures. C’est l’idée de la Métaphysique. Grâce aux datations au Carbone 14, on sait de quelle période que cela date ».
Voilà un sujet qui intéresse nombre de personnes. De quelle période date cette nécropole ? Cela permettrait de situer l’ancienneté de notre peuple sur cette terre, et remettrait les pendules à l’heure. Cette date remontre très loin dans le temps. Mais ce que semble croire Slimane Hachi, c’est que « Il y a 15.000 ans, les Hommes d’Afalu maitrisaient le processus formel de transformation de la matière. Ils ont aussi réussi à lui donner une forme et une certaine plastique. Du point de vue du sens, cette fabrication de statuette va représenter le monde, à peu près tel qu’il le voit. Il y a une prise de conscience de l’existence de ce monde. C’est lanaissance de l’ART. On a retrouvé en Afalu, l’une des plus vieilles figures de statuette du monde. Il s’agit d’un quadrupède qui a été cuite dans un four à 700/800°. Nous avons aussi la plus vieille représentation de l’Homme lui-même ». Ce sont donc des découvertes majeures qui ont été faites dans ces grottes d’Afalu de la région de Béjaia. Et le nombre de trouvailles ne s’arrête pas là. « Des restes de feu ont été découvertes car l’homme vivait dans des grottes et devait se protéger du vent et du froid. On a remarqué que le Torchis en tombant dans le feu, que la matière gardait sa forme ». Allant dans les détails artistiques concernant les statuettes trouvées, le Professeur Hachi raconte : « Nous avons trouvé une figurine d’une tête traitée de face, contrairement aux autres qui sont généralement traitées de profil. Aussi, ils ont aussi inventé le décor ».
La communication donnée cette après-midi à la Casbah de Béjaia était passionnante. Laissons Slimane Hachi continuer. « Concernant les inhumations, les squelettes trouvés étaient couverts de terre qu’il fallait dégager à coups de pinceaux. Cela prenait des jours et des semaines. On a trouvé huit crânes, dans un coin de la grotte, mais pas le reste des corps. Il y a eu des inhumations consécutives qui n’ont permis que de garder les têtes, sans les corps. D’où la naissance de l’Individu. C’est un peu comme dans une Carte Nationale d’Identité. Seule la photo de la tête et du visage y figurent. Les corps retrouvés étaient mélangés entre hommes, femmes et enfants, sans distinction. Ces personnes extraordinaires étaient enterrés avec leurs biens et leurs outils ».
Pour Slimane Hachi, sur un plan plus général, « au point de vue de l’Archéologie et de l’histoire, Béjaia est très importante. Il y a d’importants gisements historiques et archéologiques dans la région. Il y a les grottes de Melbou, celles de Béjaia, dont la grotte d’Ali Pacha. On dit qu’elle a été retrouvée. Je vais envoyer une équipe pour l’expertiser. Il y a une autre grotte du côté d’Akbou, qui est immense, et qui est fouillée depuis 2010. Une thèse vient d’être soutenue à l’Université de Toulouse, par le responsable de ces fouilles. Il a découvert que cette grotte date du Néolithique. Sa population était constituée de pasteurs qui maîtrisaient la fabrication de la poterie. Ils consommaient du lait, et c’est à cet endroit que nous avons trouvé la plus ancienne trace de conservation de miel au monde. La région s’appelle Igueldamène ».
Essayant de démontrer que la population de l’Afrique du Nord constitue une unité depuis toujours, le Professeur a rappelé « qu’il y a peut-être un lien entre l’Homme d’Afalu et les Guanches qui vivent dans les Iles Canaries ».
La conférence a été très agréable. Slimane Hachi a déployé tout son talent de pédagogue pour apporter ses connaissances à un public certes intéressé, mais pas spécialement initié à la chose archéologique. Il a fini sa conférence après un débat qui lui a permis de préciser un certain nombre de détails, notamment de rappeler que malgré les restrictions budgétaires actuelles, il ne comptait pas abandonner son projet de créer une école dans la région pour former des techniciens et spécialistes en Archéologie.
Nabil Z.
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