Un récent article publié par le Huffington Post, intitulé « Thomas Jefferson, le Coran et le Ramadan » raconte l’histoire du premier ambassadeur tunisien à Washington au 19eme siècle. Il s’agit d’un certain Slimane Lemlili, qui se rendit à Washington en 1805.
A cette époque, Les Etats-Unis étaient en forte tension avec l’Afrique du Nord. Alger-Tunis et Tripoli constituaient une solide alliance qui menaçait constamment l’Europe, et les vaisseaux américains, comme européens se faisaient arraisonner en permanence par les corsaires et la flotte algérienne, pendant que les vaisseaux étrangers tentaient sans cesse des incursions en territoires ennemis. Ce qui ne manquait pas de générer de fortes tensions entre les deux rives de la méditerranée.
L’histoire racontée par Larbi Zouaimia dans le « Huffpost » « commença à la suite d'un conflit avec le pacha de Tripoli en 1805 et Thomas Jefferson 3e président des USA ». Selon l’encyclopédie en ligne Wikipedia, Thomas Jefferson « a été le troisième président des États-Unis, de 1801 à 1809. Cet homme d'État était également philosophe, agronome, inventeur, architecte, et il ne cachait pas ses sympathies francophiles. Jefferson était attaché aux Droits de l'homme, pour lesquels il lutta au sein de son État et du pays. Il faisait partie de l'élite des Lumières, et a connu les plus grands esprits de son temps. Rédacteur d'une partie de la Déclaration d'indépendance, il doubla la superficie des États-Unis par l'achat de la Louisiane. Ce dernier, ajoute Larbi Zouaimia, « était sûr de son coup. Il décida de briser l'alliance Algéro-tuniso-lybienne en proposant au bey de Tunis d'envoyer son ambassadeur à Washington ». Ce qui, on l’imagine, déplut fortement à Alger.
Washington mit alors, à la disposition du nouvel ambassadeur, la Frégate USS Congress qui quitta la Goulette de Tunis en octobre 1805. Slimane Lemlili, puisque c’est de lui dont il s’agit, avait emporté avec lui onze personnes attachées à son service. Le convoi arriva sur les côtes américaines à Norfolk en Virginie le quatre novembre, et à cause du mauvais temps, n’arriva à Washington que le trente du même mois.
Le représentant de Tunis avait alors été reçu en grandes pompes et avec les honneurs. Mais le président américain allait réserver une grande surprise à son invité, voulant donner une leçon d’humilité à son invité. En effet, raconte l’auteur de l’article, Slimane Lemlili portait des habits somptueux, « brodés en or, avec quelques diamants. Des bats en coton blanc et des chaussures marocaines à la couleur jaune-vif. Il portait un turban de quelques mètres en mousseline et avait un calumet de plus d'un mètre ».
Par contre, le président américain qui avait été agacé par tant de faste, « est apparu dans de vieux vêtements et même dans des pantoufles en lambeaux qui laissaient apparaître ses orteils.
L’article rappelle « que ce Monsieur est arrivé à Washington suite au conflit ayant opposé le Pacha de Tripoli, Youcef Karamanli, et les États-Unis. Voulant se mesurer à Alger, qui obtint des années avant, presque 1 million de dollars (le 1/6 du budget des États-Unis) comme rançon, Karamanli procéda à la capture de vaisseaux marchants américains et exigea des sommes exorbitantes en affirmant aux américains qu'il n'était pas sous l'hégémonie d'Alger ». En riposte à cet acte de piraterie, les américains attaquèrent Tripoli en août 1805, après s’être assuré qu’Alger n'interviendrait pas. « C'est le bey de Tunis qui a pris l'initiative de vouloir forcer le blocus de Tripoli, car tout simplement Tunis et Tripoli étaient furieuses contre Alger ». Cette attitude aurait été provoquée suite à une attaque de Tabarka en 1802 par Raïs Hamidou. Ce qui provoqua le courroux de Tunis contre Alger. De son côté, le bey de Constantine tentait de fédérer les tribus de Oued Mellag -Medjerda- pour élargir ses territoires et repousser la frontière tribale jusqu'au porte de la ville d'El Kef.
D’un autre côté, une coalition des forces venues d’Italie, de Malte et de la Sicile s’est organisée en 1805 pour donner un coup de main aux américains. C’est ce qui convainquit le bey de Tunis d’accepter l'invitation de Thomas Jefferson et d'envoyer son représentant à Washington.
Slimane Lemlili avait parmi son personnel « deux officiers, un interprète, un cuisinier, un coiffeur, un intendant, trois noirs comme gardes du corps et deux personnages suspects... aux allures de féminisés comme il les présente ». Aucune femme ne faisait partie de la délégation. Ce qui attira l’attention de Thomas Jefferson qui suspecta une fornication masculine. Il fit donc éclater le groupe en séparant les gardes du corps loin de leur maître, et des deux suspects. Il donne l'ordre de mettre tout le monde sous surveillance et place des gardes dans les entrées de l'hôtel ou réside Slimane. Cet hôtel se situait, selon Larbi Zouaimia, « au même emplacement que l'actuelle Cour suprême des États-Unis ». Le ministre de la marine de Jefferson avait rapporté que Slimane Lemlili avait un comportement musulman exemplaire, ne ratant aucune des cinq prières quotidiennes.
Un jour, rapporte l’article, en voulant l'inviter à un déjeuner, Slimane déclina l’invitation expliquant qu'il ne pouvait pas manger car c'était le Ramadan. Thomas Jefferson, tenant à son invitation, « demanda au Congrès la permission de repousser le souper présidentiel prévue à 15h30, jusqu'au coucher du soleil ».
L’auteur de l’article continue. « Il invita alors Sidi Slimane et trois de ses collaborateurs au premier Iftar en sol américain ». Sur instruction du président toute la nourriture de ce dîner obéira au rite musulman. L`Alcool a été soigneusement écarté et mis dans une pièce voisine.
Thomas Jefferson attendit donc que son invité revienne de sa prière du Maghreb. Il marqua ainsi le point en montrant le respect qu’il avait pour la liberté du culte, et permit aux trois noirs tunisiens de manger à sa table. Ce qui était une exception absolue dans une Amérique encore esclavagiste. Une fois le dessert terminé et profitant de la discussion de Jefferson avec Slimane, les trois collaborateurs de l’ambassadeur, se dirigèrent vers la pièce voisine et se régalèrent en vidant quelques bouteilles du vin présidentiel.
Quelques semaines plus tard, et ayant été séparé de ses serviteurs « suspects » aux yeux du président américain, Sidi Slimane demanda « sa part de fornication par la mise à sa disposition de belles concubines ». Abasourdi, le président américain qui avait déjà consenti à lui offrir un mouton pour le sacrifice de l’Aid El Kebir, accepta pour raison d’Etat. "J'accepte les écarts de conduite, pourvue que j'obtienne la paix avec les États de l'Afrique du Nord" avait-il dit. Si Paris vaut bien une messe, comme dit l'adage, l'Afrique du Nord vaudrait-elle une fille de joie?
Nabil Z.
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