L’Institut du Monde Arabe à Paris propose une exposition d’œuvres historiques et artistiques du « Monde Arabe ». Des objets historiques et archéologiques de différents pays prétendument arabes.
On y trouve différents objets censés être arabes : des manuscrits, instruments de musique, tableaux de peinture, coffres, robes, etc… Mais il n’y a que de très rares objets venus d’Arabie. A savoir, l’ouest de l’actuelle Arabie Saoudite, le Yemen et le sud de la Jordanie. Les autres pays, selon l’historien médiéval Ibn Khaldoun, ne sont pas arabes, mais arabisés « Moustaaraba ». Donc culturellement et idéologiquement colonisés. La quasi-totalité des éléments exposés viennent de pays non arabes : Irak, Syrie, Egypte, et pays d’Afrique et du Maghreb.
L’IMA « a été conçu pour établir des liens forts et durables entre les cultures pour ainsi cultiver un véritable dialogue entre le monde arabe, la France et l’Europe… Parmi ses missions on note qu’il « s’ancre pleinement dans le présent. Il se veut le reflet de toutes les énergies du monde arabe ... Débats, colloques, séminaires, conférences, spectacles de danse, concerts, films, ouvrages, rencontres, cours de langue, de civilisation, grandes expositions permettent tous les jours au public de l’IMA de se confronter à ce monde singulier et bouillonnant ».
On note l’absence d’un Conseil Scientifique à l’IMA et la présence d’un Conseiller Diplomatique. Il comprend, outre une riche bibliothèque, une librairie boutique qui vend également des parfums et fragrances des pays « arabes ». Parmi les livres proposés, on trouve Kamel Daoud, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Yasmina Khadra, Dris Cheraïbi, Tahar Bendjelloun, etc… Une brochette d’auteurs Maghrébins que l’Institut de Jack Lang considère comme « arabes ».
Il y a aussi à l’IMA un Musée avec des expositions : « Trésors de l’Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar ». « Bijoux et Parures du Maghreb », « Biskra, sortilège d’une oasis », etc…Il y a un amalgame entre Islamité et arabité. Considère-t-il les musulmans africains comme arabes ? Tous les arabes sont-ils musulmans ? Comment expliquer la présence d’objets coptes, donc égyptiens, chrétiens et non arabes ? Les bijoux berbères, seraient-ils arabes ? Pourquoi exposer des manuscrits hébraïques et des objets de culte juifs ? Les juifs seraient-ils arabes ? Ou bien veut-on dire que dans le monde « arabe », il y a aussi des populations non musulmanes ?
Largement financé par la France, l’IMA bénéficie aussi du soutien des pays arabes : l’Arabie saoudite, le Koweit ou encore le Qatar. La jonction entre les fonds arabes et les ambitions françaises ont un objectif tout politique, et dénué de toute approche scientifique et rationnelle. C’est le signe d’un déni identitaire, et même du mépris des autres peuples que les arabes veulent garder sous leur domination comme des sujets soumis. La France elle-même veut rejouer l’épisode du Grand Royaume Arabe si cher à Napoléon III. En 1860, il avait rêvé de créer un grand Royaume « arabe » allant de Baghdad à Tanger, dirigé par l’Emir Abdelkader. Ce dernier, ayant compris les conséquences d’une telle aventure, avait décliné l’offre, et le projet est tombé à l’eau. Durant sa colonisation de l’Afrique du Nord, l’Etat français a grandement contribué à arabiser le Maghreb. En 1830, la population était à majorité écrasante berbérophone. C’est par les instructeurs de l’Ecole des Langues Orientales que les bureaux « arabes » furent créés en Algérie, et que l’état civil, c'est-à-dire l’identité des gens, a été arabisé.
Ayant échoué à dialoguer, après avoir constaté que les maghrébins ne parlaient pas arabe, on a décidé de les arabiser pour mieux les dominer. Alors que les arabes avaient échoué malgré des siècles de présence et le matraquage religieux, la France a pris le relais avec des moyens plus subtiles. Et L’IMA a emboité le pas de cette politique, surtout depuis que les Nord-Africains se sont mis à revendiquer le retour vers leur culture, leur civilisation, et leur identité. Au moment où l’Afrique du Nord produisait des Saint Augustin, des Apulée de Madaure ou des Juba II, les arabes étaient encore dans la période d’ignorance, la Jahiliya. Au moment où il y avait des universités à Calama et à Carthage, il n’existait pas encore de livres en langue arabe. L’identité des irakiens est chaldéenne et celle des syriens est syriaque. Celle de l’Afrique du Nord est amazighe (berbère) et personne n’y pourra rien pour la changer. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde une quête identitaire, un retour vers les origines de chaque peuple.
La Ligue des Etats Arabes, née en 1945 pour constituer un bloc politique à l’instar de ceux qui existaient à l’époque, compte aujourd’hui vingt-deux Etats. Seuls trois d’entre eux, L’Arabie Saoudite, le Yémen et laJordanie sont authentiquement arabes. Le reste a été déclaré comme tel après les invasions arabo-islamiques du septième siècle. La spécificité de l’Islam, utilisant comme langue unique l’arabe, a obligé les peuples et les nations conquis à adopter cette langue comme langue de culte d’abord, puis celle de l’administration. Face à des civilisations à traditions orales, l’arabe soutenu par la religion a fini par s’imposer, au détriment de sa consistance même. Aucun peuple ne parle l’arabe des saoudiens, celui de l’administration et de la Mosquée. Les peuples nouvellement conquis ont donc adapté leurs langues pour intégrer des mots arabes. Les films produits au Maghreb en « arabe » sont ainsi sous-titrés en arabe quand ils sont projetés au Moyen orient. C’est le cas pour la langue des égyptiens, et des proches-orientaux.
Dans chacune de ces contrées, il existe de véritables mouvements de la libération de la langue et de la culture arabe. Que ce soit chez les Kurdes ou chez les Berbères. Depuis 1980, pour ne parler que de ces dernières années, les berbères se sont insurgés contre les pouvoirs centraux de leurs pays pour revendiquer la reconnaissance de leur identité, et le droit de pratiquer leur langue et de l’enseigner. D’abord en Algérie, puis au Maroc. Aujourd’hui, la Libye a suivi et la Tunisie commence à le faire.
Ce qu’on appelle donc le Monde arabe, n’est donc arabe qu’en toute petite partie. Il faudrait plutôt parler du monde arabisé ou sous domination idéologique arabe. Le Maroc ne revendique pas une quelconque arabité dans ses Textes officiels, et l’Algérie, il y a une année a constitutionnalisé la langue berbère comme langue officielle. Yennayer, qui est le premier jour de l’an Berbère a été officiellement célébré cette année, ainsi que le 20 Avril, anniversaire des événements dits du printemps Berbère de 1980. Il n’existe donc pas de 3Monde Arabe » stricto sensu, en dehors des trois pays cités plus haut. Le reste demeure étranger à l’arabité, si on exclut l’emprise de la religion sur les mœurs et les pratiques sociales. Si L’IMA ne saisit pas ce souffle de l’Esprit, il sera bientôt bien seul à revendiquer l’arabité de ces contrées, et devra jouer à la Belote avec ses amis arabes du Moyen Orient, tout en se coupant d’un monde en renouvellement, qui est en train de tourner la page de l’arabité.
L’IMA est malheureusement dans la continuité de cette logique arabisatrice dépassée par le temps et condamnée par l’Histoire. Il n’a même pas défini de façon scientifique et rationnel ce qu’est « Le Monde Arabe ». Il est dans le mépris des luttes qu’ont entamés les peuples pour recouvrer leur identité, leur culture et leur civilisation. Pour un pays de culture et des libertés comme la France, l’IMA semble jouer une fausse note dans le paysage.
Nabil Ziani
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Eclaire dans la nuit
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