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Photo du rédacteurNabil Z.

«L’Islam a été politisé, dogmatisé et idéologisé»

Dernière mise à jour : 12 juil. 2020

À l’occasion de la septième édition du Festival international du Théâtre à Béjaïa, un colloque a été organisé pendant trois jours, à l’hôtel du Nord, autour du thème « le rite et le sacré dans le théâtre contemporain ».



Parmi les invités, il y avait Soheib Bencheikh, intellectuel et chercheur en sciences religieuses, et ancien mufti de Marseille. Il a été invité à prendre la parole, dès l’ouverture du colloque, et a tenu dès le début de son discours à apporter des nuances et des précisions sur le sens même des mots et des concepts, afin de clarifier le sujet de son intervention.


Selon lui, il y a une ambivalence dans le terme «sacré» en arabe. Le mot «moqadess» c’est la sainteté pas le sacré. Il cite entre autres, Errouh el Qodos qui est traduit par saint esprit et non esprit sacré. Il y a une différence en arabe entre le saint et le sacré. Le sacré c’est le haram, l’interdit. Même s’il convient de nuancer un peu la traduction. En Islam, il y a le saint et le sacré. Ce sont des notions peut être voisines, mais différentes. Soheib Benchiek enchaîne, «Le Coran est considéré comme saint. Mais c’est un texte sujet à interprétation. Chacun le lit avec le souci de son temps et de sa région. Ce qui donne lieu à des interprétations différentes. Il lance un défi à l’intelligence humaine pour l’interpréter, même s’il y a des risques d’erreurs». Cette déclaration est aux antipodes du discours dominant sur le sacré de l’interprétation du texte coranique. Selon Bencheikh, l’interprétation ne peut être qu’humaine, et n’engage que l’Homme avec son génie et ses limites. «Aucune génération n’a le droit de l’interpréter de façon définitive pour les générations futures».


Ainsi, l’ancien mufti de Marseille réfute le salafisme en tant que doctrine, rappelant qu’il est impossible aujourd’hui de vivre avec les préceptes et interprétations révolus. Il ira encore plus loin, lorsqu’il déclarera «L’Islam a été politisé dogmatisé et idéologisé si je puis m’exprimer ainsi. Il n’y a que la société civile qui peut aider à le corriger, au travers de l’expression artistique». Voilà un discours fort de la part du chercheur qui ne met de gans pour développer son analyse. Il raisonne et développe ses idées de façon à ce que le public puisse bien le comprendre. Il met sur le dos de la société la responsabilité de la gestion du fait religieux, en la responsabilisant sur l’interprétation du texte, en fonction de l’époque et de la situation géographique. «Les musulmans d’Algérie n’ont pas les mêmes besoins et contraintes que ceux du Pakistan, par exemple. Il est donc normal que l’interprétation du texte religieux soit différente». Serait-ce donc à la société de fixer le cadre et les limites de l’interprétation ? Soheib Bencheikh développe ainsi sa réflexion : «la société n’impose pas de limites, même devant la critique et la satire. Une foi sûre d’elle-même et qui se voit comme une vérité ne craint pas la confrontation des idées, et n’échappe pas à la critique». Faudrait-il donc avoir du courage et de l’humilité pour accepter d’être critiqué dans ses convictions et d’accepter même d’être raillé et moqué ? C’est ce que semble avancer le chercheur, qui lance un défi au croyant. «Puisque tu es sûr de ta foi, pourquoi crains-tu celle des autres ?», semble dire le mufti. Ce qui l’emmène à avancer une autre idée sur la foi. «Une foi qui cesse d’être un questionnement devient un fanatisme». Selon lui, la foi serait donc un perpétuel questionnement, une remise en question des dogmes et des interprétations qui ne sont du reste, que le fruit du raisonnement de la pensée humaine. Rejeter les questionnements mènerait donc directement vers la fermeture de l’esprit et le développement du fanatisme. «Le fanatisme est dangereux. Il rejette tout, en commençant par l’expression artistique : les beaux-arts, le dessin et la musique, parce que ces éléments pénètrent dans l’âme. L’expression artistique façonne l’âme et elle est plus efficace dans l’édification de l’Homme. C’est toute la différence entre le Logos et le Patos».


«Béjaïa est le dernier bastion de l’espoir en Algérie»

Allant encore plus loin dans son ouverture intellectuelle, Soheib Bencheikh s’engage dans la défense de l’expression artistique sous toutes ses formes, rappelant le rôle joué par les religions dans son développement. «Les religions ont été le berceau de tout ce qui est beau : la calligraphie, les vitraux, la sculpture, l’architecture, les chants,…». Ce serait donc le mépris des arts et de la culture qui serait à l’origine de la crise identitaire que vit le monde musulman ?


«Notre patrimoine vit une crise et produit des monstres. La religion n’a pas été mise à jour depuis huit siècles. Les textes humains ont été sacralisés et ajoutés au corpus spirituel de la religion. L’avis des humains est devenu une religion et une autorité qui dicte la norme. Elle est devenue dure». Sans concessions, il dénonce donc la suprématie qu’a pris l’avis de l’Homme sur le texte sacré. Trop souvent, l’interprétation prend le dessus sur le texte sacré lui-même. C’est ce que notre penseur semble dénoncer, constatant qu’il y a des abus un peu partout, engendrant les conséquences qu’on sait et qu’on voit aujourd’hui. Plus concrètement, Soheib Bencheikh prend l’exemple de l’utilisation de la religion en Algérie, en s’arrêtant un moment sur le cas précis d’Alger. «À Alger, on vit un gavage religieux». Il y a donc, selon l’ancien Mufti de Marseille, une surexploitation du religieux dans la vie des algérois. Une utilisation tellement excessive qu’elle engendre toutes sortes de dérives.


«L’Islam n’a le droit d’exister que là où il y a une réflexion librement engagée». Insinuerait-il que la religion, du moins sous cette forme a été imposée sans avoir engagé de réflexion ni de débat libre et serein ? Y aurait-il eu manipulation pour faire passer un message religieux non librement consenti ? «Le gavage religieux est une hypocrisie, une religion de mauvais goût. La religion vit une surenchère qui va vers la radicalisation». Voilà qui a le mérite d’être clair. Le courage, dont a fait montre Soheib Bencheikh est assez rare pour être signalé. Ne craint-il pas des réactions négatives à son discours ? Le chercheur ne semble pas avoir peur de la confrontation. Il ne demande qu’à avoir l’occasion de s’exprimer librement, tout en reconnaissant à l’autre le droit de ne pas partager son avis. Mais les lieux d’une expression libre sont si rares de nos jours. C’est pourquoi il ajoute à l’adresse de l’assistance : «J’espère avoir trouvé auprès de vous de l’espoir. Béjaïa est une ville d’espoir, où on peut vivre et s’exprimer. D’ailleurs, on peut y utiliser différentes langues et discuter librement. Les femmes portent le voile ou ne le portent pas, selon la conviction qui leur est propre. Cette ville est le dernier bastion de l’espoir en Algérie, et j’espère qu’elle va essaimer sur l’ensemble de l’Algérie». Voilà un hommage très fort et très clair de la part de ce chercheur penseur et spécialiste en sciences religieuses. Toujours est-il, qu’il a terminé son discours si analytique et si critique, sans avoir proposé de solution ni d’alternative à la crise qu’il dénonce avec autant de vigueur. Il y a bien évidement encore beaucoup à faire dans ce domaine, et trouver le chemin, la vérité et la vie, devrait être la priorité de tout chercheur. Car critiquer est une chose, agir en est une autre.


N. Si Yani

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