La langue écrite est l’aspect le plus négligé de l’étude linguistique, car la majorité des recherches porte sur les aspects historiques et théoriques des langues parlées. Même les études consacrées aux systèmes d’écriture n’accordent généralement que peu d’importance à l’écriture, limitant ainsi la couverture à l’histoire externe des systèmes d’écriture. Mais il est possible d’explorer en profondeur l’application de l’écriture à des langues particulières, comme le berbère.
C’est en tous cas ce que deux chercheurs américains, Peter T. Daniels et William Bright ont entrepris d’expliquer dans un important livre paru aux éditions Oxford University Press « The World’s Writing Systems », ou ils analysent tous les systèmes d’écriture, pour essayer d’en percer l’histoire, les secrets et la signification. Dans leur travail, ils ont encadré quelques quatre-vingts autres chercheurs, chacun dans les écritures de leurs spécialités respectives, puis ont fait un travail comparatif entre tous les systèmes d’écritures existants, depuis les plus anciennes, jusqu’aux plus récentes. Parmi elles se trouvent les écritures égyptiennes, chinoises, européennes et nord africaines, c’est-à-dire le Berbère. Le chapitre sur les écritures berbères est signé par M. O’connor, un spécialiste des langues sémitiques, professeur de linguistique à New York. Dans sa contribution, il commence par définir les Berbères en les désignant clairement comme étant les habitants de l’Afrique du Nord, à l’Ouest du Nil, en commençant par la vallée de Siwa jusqu’aux confins du Maroc. Il a cependant omis d’inclure les Iles Canaries dans sa définition, même si sa recherche l’y contraindra plus loin dans son document rédigé dans le cadre de ce livre. Pour ce chercheur, les langues berbères vivantes sont le Tamazight, qu’il situe au Maroc et à l’ouest de l’Algérie dont le nombre de locuteurs est estimé, selon lui, à quatre millions de personnes, le Kabyle, avec quelques deux millions et demi de locuteurs répartis entre l’Algérie et la France, (toujours selon lui), et les différentes langues Tamasheq, collectivement appelées le Touareg, utilisées par les populations vivant au Sud de l’Algérie et du Maroc, et au Mali et Niger. Le nom Berbère viendrait selon M. O’connor du mot péjoratif grec « Barbare », alors que les romains désignaient cette population du terme Numides venant de Nomade. Mais selon lui, le mot utilisé localement pour désigner cette population serait Massyles ou Massuli. Ce raccourci ne rend compte ni de la réalité historique, ni de l’objectivité scientifique. Mais c’est malheureusement ce point de vue qui persiste, par la faute des berbères qui n’arrivent ni à corriger le tir, ni à imposer un autre point de vue plus objectif et plus réaliste. « Une ancienne langue berbère (ou peut-être plusieurs langues) est préservée dans l’ancienne écriture berbère (ou écritures, au pluriel), parfois appelé le Numide, le Lybien, ou le Lybico-berbère ». Voilà la définition qu’il donne de cette langue. Pour un « spécialiste », il aurait pu faire un effort d’honnêteté intellectuel et d’avouer qu’il n’y connaissait rien. Cela nous aurait économisé de lire ces approximations qui tendent à reléguer la langue et l’écriture nord-africaine à une sorte de barbarisme tout juste rescapé de la disparition et qui n’aurait presque plus d’intérêt. « Les langues berbères ont toujours existé en marge des nations et des empires cultivés », avance notre spécialiste. Il ajoute que « les carthaginois et les romains ont dominé les berbères », alors que les musulmans ont essayé de les intégrer du mieux que possible. Il prend la précaution de préciser que le Berbère et l’islam sont distincts de plusieurs manières. Mais le berbère n’a jamais servi de manière constante, comme système d’écriture, et que jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de production écrite régulière utilisant cette écriture. Le Berbère Ancien. L’écriture berbère est basée ou dérive d’un ancien prototype sémitique, « probablement le Punic ». La forme géométrique des caractères suggère que les anciennes écritures arabiques ont peut-être aussi contribué à la formation de cette écriture. Mais les formes berbères sont plus systématiquement symétriques. Et cette symétrie ne semble pas due au hasard. Elle viendrait du souci qu’avaient les berbères de représenter graphiquement les sons. Même si l’auteurs, sans être catégorique attribue l’origine de l’écriture berbère au Punic, il affirme cependant que son développement s’est fait lors de « l’indépendance de la Numidie ». C’est-à-dire, après la défaite de Carthage face aux armées berbères et romaines en l’an 146 avant Jésus-Christ. Et notre spécialiste qui confond entre Gaia et Massinissa., puisqu’il attribue cette indépendance à Gaia et non à son fils. Mais ce qui est intéressant dans cette contribution en dehors des partis-pris habituels et des confusions passagères, c’est le chiffre qu’il avance sur le nombre de manuscrits en caractères berbères qui ont été recensés. Il avance le chiffre de Mil cents (1.100) manuscrits, dans la plupart auraient été retrouvés entre l’ouest de la Tunisie et l’Algérie, avec un nombre moins important au Maroc. Il regrette cependant que ces textes retrouvés ne nous apportent que très peu d’informations linguistiques, puisque la plupart d’entre eux sont des épitaphes ou des inscriptions funéraires répétitives ou des documents semi-officiels contenant souvent les mêmes formules. Le sens de ces inscriptions varie. Elles vont de droite à gauche ou de gauche à droite. Rarement de haut en bas. Trois inscriptions bilingues majeures ont été recensées datant de deux siècles avant Jésus-Christ. La première trouvée à Douga, en Tunisie, datée de l’an -139, de la période de Micipsa, rendant hommage à Massinissa. La deuxième est une inscription tombale. On pense que c’est la plus ancienne inscription berbère connue. La troisième est également une inscription funéraire qui comprend une partie en caractères berbères mais qui a beaucoup été endommagé, et l’autre partie en caractère néo-puniques datant donc d’après la chute de Carthage. Mais les inscriptions bilingues ont continué à exister durant la période romaine, puisqu’on a trouvé quelques traces d’artefacts écrits à la fois en caractères berbères et latins, datant du troisième siècle. Les supports écrits trouvés dans le Sahara, quoi que rares semblent difficiles à dater. Cependant la trace de cette écriture berbère a été trouvée tout au long des périodes historiques. Et elle aurait évolué avec le temps. Cependant, détail important, les royaumes berbères ne l’utilisaient que rarement dans les documents officiels. Témoins, les pièces de monnaies qui comportent des inscriptions soit puniques, soit grecques. Les textes retrouvés aux iles Canaries indiquent clairement que les caractères utilisés par les Guanches sont berbères, autant que ceux trouvés chez les Celtibères, les Celtes d’Espagne. L’écriture berbère durant la période islamique. Durant la période médiévale, la langue berbère a été transcrite en caractères arabes. Cela est dû aux invasions musulmanes en Afrique du Nord. Il n’y a plus de tablettes ou de manuscrits bilingues, mais du berbère transcrit en arabe. Le peu de traces écrites datant de cette période montre que beaucoup de berbères, quoi que continuant à s’exprimer dans leur langue, transcrivaient leurs documents en caractères arabes. On a un exemplaire du Coran en langue berbère transcrit en caractères arabes. Il y a également des textes berbères transcrits en caractères hébreux, étant donné qu’il existait une importante communauté juive berbère. Essentiellement des livres de prières ou de célébrations de fêtes religieuses. Il n’y aurait pas de trace de textes écrits en caractères berbères depuis les invasions musulmanes. L’exception se trouve chez les Touaregs qui ont conservé intacte cette écriture appelée le Tifinagh. Mais ces textes contenaient plutôt de la littérature relative à la vie familiale, et non des textes officiels. On trouve en effet des poèmes, des lettres d’amour, écrits à la fois par des hommes et par des femmes. La théorie, notamment développée par Salem Chaker, qui avance l’idée du berbère à usage quasi domestique semble être relativement confirmée par les rares documents trouvés chez les Touaregs. Pas de documents politiques, philosophiques ou autres. Juste de la littérature à usage familial ou tribal. O’connor semble se poser la question sur l’origine même du mot « Tifinagh ». Il se demande s’il faut le faire dériver du Punic précédé d’un préfixe berbère qui donnerait Ti- Punic/ Ti-Finagh, ou bien s’il faut le relier avec le grec Ti-Pinak, les tablette d’écriture. L’auteur semble ne pas envisager d’autres possibilités, notamment celle qui consiste à dire Tifi Negh, notre trouvaille ou notre invention. Ce qui en ferait non plus un mot d’origine étrangère, mais bien un mot purement berbère. Il faut toujours que ces brillants chercheurs nous fassent dépendre des autres, comme si notre existence ne peut être assurée que soutenue par l’extérieur. En nous-mêmes, nous serions incapables de quelque création que ce soit. Le fait que le Punic ne comporte que 22 caractères et le Grec 28 tout au plus, ne semble pas interpeler les chercheurs face au Tifinagh qui en comporte une quarantaine. Encore heureux qu’on ne relie pas notre langue à l’arabe qui est née des siècles après le berbère. Les études linguistiques n’accordent pas suffisamment de place à l’étude des systèmes d’écritures. Et il est urgent que nos spécialistes montent au créneau pour défendre leur langue, leur culture et leur civilisation. C’est tout simplement une question de dignité. Nabil Z.
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