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Photo du rédacteurNabil Z.

La Femme Berbère, Forte Comme l’Olivier

Un article paru dans la revue Etymologie (ὀ λύχνος) n°136 de Novembre 2013 et signé de Salem Chaker, spécialiste en linguistique berbère à l’Université d’Aix Marseille, aborde la problématique de l’Olivier, en rapport notamment avec la santé, la force et…la femme. En voici une lecture, avec de larges extraits.



Le berbère possède deux dénominations fondamentales de l’olivier-oléastre : azəmmur, « olivier » ou « oléastre » selon les régions, qui est la plus largement attestée ; et āliw/ālew, limitée au touareg et qui désigne spécifiquement une variété saharienne d’olivier sauvage.

L’extension du mot azəmmur (et de son féminin tazəmmurt) à une très vaste aire du monde berbère – du Djebel Nefoussa en Libye à l’ensemble du Maroc – et sa grande stabilité formelle confirment son caractère très ancien. Le terme est d’ailleurs très largement répandu dans la toponymie nord-africaine (et ibérique) – souvent sous des formes arabisée : zamora, zǝmmuri… – et déjà attesté dans les sources médiévales arabes au XIe siècle (Al-Išbīlī). Au plan sémantique, on constate une distribution fort intéressante : toutes les régions méditerranéennes de l’est et du centre (de la Tripolitaine à la Kabylie), de vieille tradition oléicole, donnent à azəmmur le sens de « olivier (cultivé) », alors que les régions occidentales ou méridionales (parlers berbères de l’ouest algérien et du Maroc), où l’oléiculture est beaucoup moins importante et plus récente, lui attribuent le sens « oléastre » et empruntent à l’arabe la dénomination de l’olivier cultivé : zzitun, zzutin, zzitunǝt.


Sur le plan morphologique, le terme azəmmur présente la forme typique d’un participe passif sur une racine ZMR, qui renvoie à la notion de « pouvoir, supporter, endurer, être capable ».


Cette donnée formelle donne à penser que azǝmmur est une forme qualifiante secondaire et non un lexème primitif. En sémitique, cette racine, qui se présente sous les variantes DMR / ZMR, évoque la notion de « force ». Le lien avec cette racine berbère/sémitique ZMR fonde un lien sémantique entre l’olivier et la notion de « force, résistance/endurance, capacité… » qui n’est pas sans intérêt au plan symbolique quant aux vertus attribuées à l’olivier. Incidemment cela confirmerait le caractère secondaire de la dénomination azəmmur.


Il y a certainement un parallèle à faire avec une autre variante de la langue berbère, qui est la langue des touaregs pour qui le mot olive ou olivier se dit Aliw ou Alew. Cela a fait l’objet depuis longtemps déjà de travaux de recherche dont celui effectué par le missionnaire français Charles de Foucault.


āliwālew : »l’oléastre », et l’hypothèse de l’emprunt faite par Charles de Foucauld.

Le touareg, variété méridionale du berbère, possède une forme āliw, ālew, plur. āliwən qui désigne une variété d’olivier sauvage qui, d’un point de vue botanique est une sous-espèce de Olea europaea L. Il convient de souligner d’emblée que āliw, ālew/āliwən est parfaitement bien intégré aux structures morphologiques de la langue, par son schème et par son pluriel, ce qui est un indice de son ancienneté, sinon de son « indigénéité ». Ce mot serait donc exclusivement d'origine locale, c'est-à-dire berbère.


Le mot présente une ressemblance nette – que Charles de Foucauld avait déjà pointée dans son monumental Dictionnaire touareg-français – avec les formes latines olea / olīua/ oleum (olive, olivier, huile d’olive), emprunts anciens au grec ἐλαία [< ἐλαί(Ϝ)ᾱ, ἔλαι(Ϝ)ον]. Il faut rappeler que comme toujours, l’occident se sert d’éléments de notre culture, les apprivoisent et se les approprient en prétendant qu’ils leur appartiennent.


Le grand berbérisant Emile Laoust (1920), évoquant l’importance de la culture de l’olivier pendant la période romaine, notamment en Tripolitaine, pose que le touareg ālew/āliw a été emprunté au latin. La thèse a une certaine vraisemblance vu l’isolement dialectologique de cette forme qui n’est attestée qu’en touareg et, il est établi qu’une partie au moins des actuelles populations touarègues vient de régions libyennes septentrionales, la Tripolitaine (Gast, 2008 ; Ibn Khaldoûn, I). L’étymologie latine a généralement été admise par les auteurs ultérieurs, à l’exception de l’hispanisant R. Ricard qui, sur la base de la présence d’une forme aléo en portugais, émet de sérieux doutes à son sujet et formule l’idée que : « il s’agirait une fois de plus du fonds de vocabulaire commun au monde méditerranéen » (1961, p. 184).


 Et, certes, l’origine latine (ou grecque) du touareg āliw, bien que plausible, doit être considérée comme une simple hypothèse − et sans doute pas comme la plus probable.

D’une part, le terme olea / ἐλαία n’est pas d’origine indo-européenne comme l’affirmait Meillet en 1975. Comme l’olivier (sauvage) pousse spontanément sur le pourtour méditerranéen, on doit nécessairement admettre que les Indo-européens l’ont emprunté à une langue « méditerranéenne » – ou « égéenne » selon l’expression de Meillet – lorsqu’ils sont arrivés sur les rivages de la Méditerranée. Le terme étant déjà attesté en grec mycénien au XIVe siècle avant J.-C., cela implique qu’il a été emprunté à une langue « méditerranéenne » à date très ancienne, bien antérieure à l’installation des Grecs en Cyrénaïque qui ne remonte qu’au VIIe avant J.-C. : l’hypothèse d’un emprunt par le grec au berbère dans cette région de la Libye actuelle est donc clairement à exclure. Mais d’autres possibilités restent ouvertes :


− Emprunts parallèles du grec et du berbère à une langue « méditerranéenne » non identifiée ;

− Emprunt du grec à une langue « méditerranéenne » qui, elle-même, l’aurait emprunté au berbère ;

− Enfin emprunt du grec archaïque au berbère lors de contacts antérieurs à la fondation des colonies de Cyrénaïque… Les données linguistiques, ethno- et paléobotaniques conduisent plutôt à privilégier cette dernière hypothèse.


L’hypothèse de Boulifa

Car un élément important doit être versé au dossier : il existe des traces de āliw (ou des formes apparentées), dans d’autres dialectes berbères. Le berbérisant kabyle Boulifa en 1913 avait déjà attiré l’attention dans un petit glossaire sur le nom kabyle d’un arbuste, le filaria (ou filaire : Phillyrea angustifolia L.) de la famille des Oléacées : tamətwala. Le Phillyrea angustifolia évoque l’olivier par son aspect, avec ses feuilles étroites d’un vert assez sombre, lancéolées, de 2 à 6 cm, et son feuillage persistant. Boulifa proposait d’analyser ce mot comme un composé de tamət + wala, et mettait le second élément en relation avec āliw touareg. Ce découpage est tout à fait recevable et même quasiment certain car il est difficile de voir dans un tel mot berbère une forme simple ou une forme dérivée. On signalera que le domaine de la botanique est l’un de ceux où l’on rencontre le plus grand nombre de composés en berbère. Le second composant, wala, pourrait bien être le correspondant kabyle de āliw touareg, dont le /ā/ initial long et non-alternant indique la présence d’une ancienne consonne initiale, sans doute la semi-consonne /w/ ou la laryngale /h/ (< *[a]wliw / *[a]hliw), et conforte le rapprochement avec le kabyle –wala et l’hypothèse d’une racine primitive commune *WLW ou (*HLW). On peut donc, sans difficultés insurmontables, au plan sémantique comme au plan formel, relier āliwtouareg au très probable *wala(w) kabyle, impliqué par tamǝtwala.


Si la même racine, désignant des arbustes endémique de la même famille botanique, se retrouve en touareg et en kabyle, dialectes berbères géographiquement très éloignés l’un de l’autre, l’hypothèse d’une origine autochtone de āliw/*WLW n’est plus du tout exclue ; et par voie de conséquence, celle d’un emprunt, direct ou indirect, du grec au berbère devient une piste sérieuse, alors que l’hypothèse inverse – emprunt du berbère directement au grec par l’intermédiaire du latin – devient symétriquement très improbable.


Les contacts entre le monde grec/égéen et le monde berbère sont très anciens

On soulignera que les contacts entre le monde grec/égéen et le monde berbère sont très anciens et remontent au moins aux derniers siècles du second millénaire avant J.-C., comme le confirmait Gabriel Camps en 1985 : ils sont donc à la fois très antérieurs à la fondation des colonies grecques de Cyrénaïque au VIIe siècle avant J.-C. et compatibles avec la présence du terme en grec mycénien (XIVe avant J.-C.). Hérodote lui-même signale expressément plusieurs emprunts technologiques ou culturels faits par les Grecs aux Berbères. Et, si l’on a longtemps eu de fortes réticences à admettre l’emprunt culturel dans ce sens, c’est, comme l’écrivait fort justement Gabriel Camps parce que « Obnubilés par le génie grec nous admettons difficilement que les Libyens, ces barbares, ces « trainards maghrébins » pour reprendre une expression d’Emile Félix Gautier, aient pu enseigner quoi que ce soit aux Hellènes ».


L’huile amère de l’oléastre

Selon Salem Chaker, le mot āliw, « oléastre » en berbère serait plus ancien que celui d’azǝmmur, « olivier/oléastre », forme secondaire qualifiante (un adjectif verbal), comme on l’a précisé ci-dessus.


Bien entendu la question proprement linguistique de l’origine du terme āliw ne peut être dissociée de celle, historique et ethnologique, de l’origine de la culture et de l’exploitation de l’olivier en Afrique du Nord. Or, la paléobotanique établit à la fois l’origine africaine du genre Olea et la présence très ancienne du pollen d’Olea europaea en Afrique du Nord : notamment en Tunisie du nord. Pour ce qui est de son exploitation et de sa culture, Gabriel Camps, qui a consacré un long passage à l’olivier dans son Massinissa (1961, p. 87-91), considère que les Berbères pratiquaient la greffe de l’oléastre avant l’influence phénicienne et signale que, selon le témoignage explicite du pseudo-Scylax, « les habitants de Djerba savaient tirer de l’huile des fruits de l’oléastre ». Autrement dit, les Berbères exploitaient, au milieu du IVe siècle avant J.-C., les fruits de l’arbuste indigène non cultivé, ce qui rend finalement assez improbable l’hypothèse d’un emprunt de sa dénomination au grec, a fortiori au latin. On notera que Laoust signale que les Berbères Chleuhs du Haut-Atlas extraient encore de l’huile « amère, de peu d’usage, réservée à l’éclairage » du fruit de l’oléastre.


Plus largement, il paraît bien établi que dans toute la Méditerranée occidentale, la domestication – ou une « pré-domestication » – de l’olivier est bien antérieure à l’oléiculture antique, punique, grecque ou romaine, et s’enracine dans le Néolithique. En Afrique du Nord comme dans tout le bassin occidental de la Méditerranée, l’influence punique, grecque ou romaine, a été tardive et a porté sur des aspects de techniques agronomiques, l’amélioration variétale et les techniques de production de l’huile (pressoirs), sans aucun doute aussi de stockage et de commercialisation.


Les femmes, les noces et l’olivier

Toujours selon Salem Chaker, cette forme touarègue de āliwən désigne aussi un chant rituel du mariage. Le rythme āliwən est originaire de l’Ajjer et est très ancien. […] Les femmes du campement où a lieu le mariage chantent en chœur des vers du rythme āliwən dans la matinée du jour où se fait le mariage. » selon Charles de Foucault.


Il est assez remarquable au plan symbolique que le mariage soit aussi clairement associé à l’olivier : évocation de la durabilité, de la capacité de régénérescence, de la fécondité en référence à la multiplicité des fruits produits…? Cette donnée confirme aussi l’ancienneté de l’ancrage culturel de l’olivier dans les sociétés berbères.


Il faudrait aussi signaler que le pluriel du mot femme « Thametout » en Kabyle n’est pas Thimetouthine, mais Thilawin. Ce qui nous renvoie une fois encore à ce terme utilisé par les touaregs en relation avec les noces. Le rapprochement de Thilawin, provenant directement du mot désignant l’olivier, nous rappel étrangement le lien qu’il y a entre Tazmert (santé ou force) et Thazemourt, l’olivier. La femme berbère, tirerait-elle sa force de l’olivier, de l’olive et de son huile ? La sagesse berbère, en rapprochant le mot femme de celui de l’olivier, n’indique-telle pas que la femme amazighe est forte comme l’olivier ? Si cette étude de Salem Chaker est intéressante pour remettre les choses à leur place, en rappelant l’origine berbères des mots utilisés en occident en relation avec l’olivier, ne nous appartient-il pas de rappeler que beaucoup d’autres mots grecs ont été directement pris du berbère ? Prenons l’exemple de Thalassa, qui veut dire en grec, mer, source ou cours d’eau. Ce mot n’a-t-il pas été emprunté du berbère Thala ? Ou encore, pour revenir à l’actualité, le mot Macros, qui veut dire en grec Grand, ne vient-il pas de notre Amokrane berbère ? Et pourquoi ne pas aller un peu plus loin, pour attirer l’attention du lecteur sur l’origine du nom du nouveau président français Macron. Ne viendrait-il pas du berbère Mokrane ?


Nabil Z.

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