La sortie récente d’un livre sur la dimension religieuse de la guerre d’Algérie relancera-t-elle le débat sur les motivations de la Guerre de Libération Nationale, ou bien révélera-t-elle plus simplement un aspect jamais abordé de manière publique sur ce sujet ?
Le livre « La Dimension religieuse de la Guerre d’Algérie » de Roger Vetillard publié aux Editions Atlantis, est sans doute un événement important dans la tentative de comprendre tous les aspects de cette guerre dont le souvenir est omni-présent à la fois en Algérie et chez les nombreuses personnes en France qui ont eu à vivre ou à subir les affres de cette guerre et les déchirements qu’elle a provoqué, bouleversant pour toujours la vie de millions de personnes et des deux nations impliquées.
Roger Vetillard est un pied-noir de Sétif. En partie, ses parents étaient originaires de la région de Bougie. Il a gardé de réelles relations avec le pays qu’il porte dans son cœur. Médecin de métier, il se consacre depuis sa retraite à faire des recherches sur cette période douloureuse de la vie de notre pays. Il a déjà publié de nombreux ouvrages, notamment sur le 8 mai 45 et sur le 20 Août 55
Dimension religieuse ? Dès le début de cet ouvrage, l’auteur expose les éléments qui l’ont mené à s’intéresser à la question. « La présence massive du référent religieux dans la guerre civile qu’a connue l’Algérie durant la « décennie noire » (1991-2002), incite à la relecture du conflit précédent sous cet angle. En effet, concernant cet aspect, la guerre d’indépendance de l’Algérie qui a débuté en novembre 1954 est bien un ensemble plus complexe à analyser et la plupart des présentations qui en sont faites le sous-estiment, voire même l’ignorent, souvent ». Il s’agit donc d’aborder un aspect de cette guerre dont on n’a pas parlé suffisamment, et que même certains préféreraient taire complètement.
Dans ce livre, Roger Vetillard rafraîchit la mémoire de ses lecteurs de façon assez forte, en rappelant des épisodes et des chiffres qui donnent à réfléchir, en appelant à témoin des historiens reconnus comme Mohamed Harbi. Il n’omet pas de dire que dans cette guerre il y a eu des « nationalistes actifs et sincères ». Malheureusement, il y a eu aussi des gens dont les motivations n’étaient pas toujours louables. Et l’auteur de rappeler les affrontements entre FLN et MNA, ceux opposant le FLN et l’OAS, l’affaire Melouza, etc. « Ce fut encore une guerre où terrorisme et guérilla se mêlèrent. Ce fut aussi une période où guérilla, terrorisme, contre-terrorisme, crises politiques et guerre de position étaient présents. Et ce fut enfin une guerre où l’élément religieux est intervenu, avec l’Islam comme allié objectif et arme principale du F.L.N ». Mais pour le Dr Vetillard, « Au-delà de l’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes, il m’apparaît, comme le confirment Jean Baumgarten et Céline Trautmann-Waller, que : « longtemps exclusivement lue à la lumière de l’anticolonialisme, du tiers-mondisme socialiste, voire du communisme, la guerre d’Algérie doit être analysée comme un phénomène total, dont la dimension religieuse et sacralisée doit être prise en compte». Car, rappelle-t-il, « Dans son livre « Histoire religieuse de l’Algérie», Chems Eddine Chitour, universitaire algérien, explique combien le phénomène religieux est étroitement lié à l’histoire de l’Algérie ». Pour Chitour, nous rappelle Roger Vetillard « la religion - en fait pour lui l’Islam - constituait au moment de la période française de l’Algérie « le seul ciment fédérateur sur lequel les tentatives de dépersonnalisation se sont avérées vaines». La religion, écrit-il, a été d’une façon ou d’une autre, « le dernier recours dans les situations de désespoir et l’arme fatale qui a fédéré les Algériens dans les heures les plus sombres et en définitive a bouté, en 1962, l’occupant hors de l’Algérie ».
Que la Guerre d’Algérie ait usé de religion comme arme pour fédérer les populations ne fait donc pas de doute. Mais comment les politiques, qui au début étaient tous des nationalistes, en étaient-ils arrivés à cette utilisation du sacré dans un combat politique et idéologique ? La réponse semble venir de Mohamed Harbi : «Nos propagandistes, n'étaient pas écoutés quand ils faisaient référence à la nation algérienne, mais quand ils évoquaient le soulèvement de l'Islam, les paysans leur répondaient : voilà cent ans que nous attendons cela ». Belaïd Abane a expliqué ce phénomène par le fait que « l’islam constituait à l’époque pour les Algériens un substitut de nationalité car l’administration coloniale ne les reconnaissait pas comme tels ». Ceci, sans parler des prises de positions de Ben Badis qui ne reconnaissait pour les indépendantistes de légitimité que s’ils se réclamaient de l’Islam. Ce fut de même pour Messali, et avec une certaine nuance pour Ferhat Abbas. Ce n’est donc pas étonnant que le FLN s’en réclame également.
Durant la Guerre : L’ensemble des douze soulèvements qu’a connu l’Algérie contre l’État colonial français en 132 ans d’occupations avait appelé au Djihad, tout comme ce fut le cas pour le 8 mais 45 et le 1er Novembre 54. Gilles Keppel rappelle que « pendant la guerre d’Algérie, le F.L.N a utilisé le vocabulaire du Djihad. L’organe officiel du F.L.N avait pour titre El Moudjahid ». Mais le FLN ne s’en réclamait pas officiellement, puisque son combat avait certes une dimension religieuse, mais aussi empreinte d’humanisme occidental qui refuse toute discrimination de race et de religion entre les citoyens.Cependant, rappelle l’auteur, à l’indépendance, l’Islam est revenu sur le devant de la scène, avec « des choix décisifs (islam religion d’État, arabe seule langue nationale, code de la nationalité fondé sur l’ascendance musulmane, code de la famille prohibant le mariage d’une musulmane avec un non-musulman).
Le livre de Roger Vetillard est passionnant. Il est riche et très bien documenté, et ses sources sont très variées, faisant appel à des historiens de renom qui, une fois relus, révèlent en effet que la part de la religion dans les motivations qui ont emmené l’Algérie vers la Guerre d’Indépendance n’était pas négligeable, pour ne pas dire qu’elle était fondamentale.
L’ensemble des publications de cet auteur est intéressant, notamment à cause de cette richesse documentaire, et la profondeur de leur analyse. Assis entre deux chaises, (sa double appartenance à l’Algérie et à la France) l’a obligé à être très prudent dans ce qu’il avance. Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises, on sent chez lui cet amour pour la vérité historique, sa volonté de dévoiler des parts de mystère, son désire de contribuer à éclaircir les choses pour mieux les assumer, sans donner l’impression d’un quelconque désir de revanche ou de règlement de compte. Il garde encore une relation très affectueuse avec de nombreux amis dans le pays. De plus, le fait qu’il ne soit pas historien de métier lui a évité de tomber dans les prises de positions dogmatiques et idéologiques. c’est l’œuvre d’un médecin qui agit avec délicatesse, même s’il sait parfaitement que certains coups de scalpels peuvent être douloureux. Il est certain que le sujet n'est pas clos, et qu'il mériterait qu'on revienne dessus.
Nabil Z.
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