Depuis « La Cité de Dieu » de Saint Augustin, les penseurs ont toujours rêvé d’écrire des essais de géopolitique, à l’instar de George Orwell avec son célèbre « 1984 ».
Trois auteurs se sont distingués dans l’écriture de la géopolitique d’anticipation. George Orwell avec son « 1984 » que Boualem Sansal a tristement essayé de mimer avec son « 2084 », Aldous Huxley avec « le meilleur des mondes » et enfin, Ievguéni Zamiatine avec « Nous autres ».
Joyce Carol Oates est une écrivaine américaine régulièrement proposée au prix Nobel de Littérature. Elle se spécialise depuis longtemps dans l’écriture de romans d’anticipation. Et sa vision du monde à venir n’est pas toujours joyeuse. Elle le voit comme dirigé par un totalitarisme qui se manifestera sous diverses formes. Son dernier roman « Petit Paradis » en est un exemple, puisqu’il révèle petit à petit une forme effrayante d’un totalitarisme subtile mais radical. Il trace une généalogie du totalitarisme et tente une sortie de cette fatalité. Il montre comment le désir de tout gouvernement est de contrôler la société d’une manière ou d’une autre. La méthode utilisée aujourd’hui est ludique en apparence, mais très dangereuse dans le fonds. Il s’agit de la technologie. Elle vient au secours des régimes totalitaires pour créer un certain embrigadement, effectuer une sélection génétique faisant de l’Homme un simple outil au service du Pouvoir et enfin, la surveillance généralisée, notamment par l’usage intensif des caméras de surveillance, du traçage des moyens de communication, et de l’implantation des puces électronique sous la peau des gens. Cela a déjà des conséquences visibles, puisque les jeunes ne peuvent plus se passer de ces moyens technologiques, faisant de moins en moins la distinction entre le monde réel et celui qui est virtuel.
Dans ce roman, « Le Petit Paradis », l’auteure anticipe la prise du pouvoir en Amérique du Nord par un gouvernement sous prétexte d’une lutte acharnée contre le terrorisme. Dans ce contexte-là, tout citoyen est présumé coupable. Il peut être éliminé à tout moment sans motif apparent en dehors de celui de la raison d’Etat. Des purges régulières frappent au hasard la population, comme lors de la période stalinienne. Tout cela est géré par un système bureaucratique sophistiqué assisté par ordinateur.
Carol Oates raconte ainsi dans son roman l’histoire d’une lycéenne, major de sa promotion qui va prononcer un discours lors de la fête de fin d’année de son lycée aux Etats-Unis. La fille est déjà mal vue, puisqu’elle montre des signes d’intelligence avancée et de rébellion à l’ordre établi. Elle sera donc envoyée en exile pour y être rééduquée en lui apprenant la soumission absolue à l’idéologie et au système en place. L’auteur amène le lecteur à comprendre que le totalitarisme ne consiste pas en l’élimination physique de ses opposants, mais en les mettant à genoux, les brisant et les humiliant, jusqu’à ce qu’ils rentrent dans les rangs.
L’exile dans lequel la lycéenne sera envoyée n’est ni une prison, ni un camp de concentration, ni encore moins un goulag à la russe. On commence par changer l’identité de la personne, puis, grâce aux nouvelles technologies, sera renvoyée dans le passé. Notre lycéenne est donc renvoyée en 1959 pour y vivre une nouvelle vie, avant éventuellement être rapatriée vers notre époque. Pourquoi 1959 précisément ? Parce que, selon notre auteure née en 1938 et ayant connu l’université ou elle a étudié puis enseigné, c’était une époque ou l’enseignement était tout-entier dirigé vers le behaviourism. C’est-à-dire l’encouragement à développer une série de réflexes et de comportements, sans prendre le temps de réfléchir.
La leçon effrayante à tirer de ce roman est que le totalitarisme, loin d’avoir été vaincu, est en train de se redéployer de manière plus subtile et plus efficace. Si on n’y prend garde, il reprendra du pouvoir plus tôt qu’on ne le craint.
Qui est Joyce Carol Oates ?
La fiche Wikipedia de Joyce Carol Oates, nous apprend beaucoup de choses intéressantes à son sujet. Elle est à la fois poétesse, romancière, nouvelliste, dramaturge et essayiste. Elle a également publié plusieurs romans policiers sous les pseudonymes Rosamond Smith et Lauren Kelly.
Elle publie son premier livre, un recueil de nouvelles intitulé By the North Gate, en 1963. Depuis, elle publie des romans, des essais, des nouvelles, du théâtre et de la poésie ; au total plus de soixante-dix titres. Fine psychologue, elle « aime les personnages ambigus, leurs zones d'ombre et leurs secrets. À l'opposé de ces textes ancrés dans la réalité sociologiques américaine, l'autre versant de l'œuvre de Joyce Carol Oates use d'un réalisme magique dans des romans gothiques contemporains, où apparaissent les influences conjuguées de William Faulkner, Franz Kafka, Thomas Mann et, surtout, Flannery O'Connor, notamment la Tétralogie du Pays des merveilles, qui inclut le roman Eux (Them, 1969), lauréat du National Book Award, et dans la Saga gothique, qui s'amorce avec le roman Bellefleur (1980) et s'achève avec Maudits (The Accursed, 2013).
Un peu à part dans l'ensemble de l'œuvre, son roman Blonde, inspiré de la vie de Marilyn Monroe et publié pratiquement dans le monde entier, lui vaut les éloges unanimes de la critique, tout comme le roman Les Chutes (The Falls, 2004) grâce auquel elle remporte en France le Prix Femina étranger. Elle suscite aussi la controverse à plusieurs reprises, notamment avec son roman de littérature d'enfance et de jeunesse intitulé Sexy (2005), qui aborde de front les thèmes de l'adultère, de la pédophilie et de l'homosexualité.
Excellente nouvelliste, Oates signe aussi de courts romans, dont le plus reconnu demeure Reflets en eau trouble (Dark Water, 1992), qui revient sur le fait divers de l'accident de Chappaquiddick. Essayiste, elle donne des études sur les œuvres de D. H. Lawrence et Oscar Wilde et s'intéresse également à l'écriture féminine et à la boxe. Elle a figuré deux fois parmi les finalistes du prix Nobel de littérature. Elle enseigne toujours la littérature à l'université de Princeton.
Nabil Z.
Comments