Comment un simple roman américain, quasiment inconnu dans le monde francophone, a réussi à changer les règles sanitaires dans le monde, obligeant même le président des Etats-Unis à réagir à la polémique née de la publication de « La Jungle »
Au début du vingtième siècle, les Etats-Unis se débattaient encore dans des problèmes sociaux et économiques très profonds. Quelques années plus tard, ce fut le déclenchement de la première guerre mondiale, puis, encore quelques années de plus, et ce fut la fameuse crise économique de 1929, jetant le monde dans une terrible misère, les Etas-Unis en tête.
La force des USA réside dans sa civilisation et dans ses valeurs spirituelles. Upton Sinclair est un écrivain américain de la classe moyenne. Son roman « La Jungle », sorti en 1905 relate la misère dans laquelle vivait une partie des américains, avant de devenir lui même célèbre grâce à son roman. Ses parents étaient des notables vivant au Sud des États-Unis. Sa famille venait d'une tradition de service dans la marine qui remonte à la Guerre d'indépendance.
Ayant perdu sa fortune après la guerre de sécession, la famille de Sinclair commence à boiter socialement, basculant entre pauvreté et richesse. C'est dans le Maryland que naît Upton, alors que son père était devenu alcoolique. Sa vie durant, il est poursuivi par la malchance, puisque les coups durs se sont accumulés pour lui. Il a du très tôt se mettre à l'écriture pour pouvoir payer ses études, en travaillant comme pigiste pour quelques journaux et en publiant des romans de gare. Il déménage plusieurs fois et se marie trois fois. Plus tard, il ira s'installer au New Jersey, non loin de New York, après avoir bourlingué entre la Californie et l'Arizona.
Avec l'argent gagné grâce à son roman La Jungle, le jeune Upton qui était entre temps devenu socialiste, fonde une communauté socialiste en 1906. Celle-ci prendra feu et sera détruite une année plus tard. Puis, Sinclair se présente aux élections au congrès américain, mais échoue. La malchance continue à le poursuivre, puisqu'en 1934, ayant rejoint le partie Démocrate, il se présente aux élections pour devenir Gouverneur de Californie. La aussi, il échoue. Cette série d'échecs le hantera tellement, que son roman phare en sera imprégné de bout en bout.
La Jungle
C’est l’histoire d’un couple américain de la classe moyenne inférieure, Jurgis et Ona qui s'installent dans le quartier des Abattoirs de Chicago. L'atmosphère est lourde et l'air pue. Jurgis travaille dans ces mêmes abattoirs pour pourvoir aux besoins de sa famille. Il achète donc une maison, et chaque mois, il paie ses traites. Elles sont plus élevés que prévu, et se sentant arnaqué, il fait appel à sa belle famille pour l'aider. Plus que ça, il découvre que la maison qu'il a achetée a été construite sur une sorte de décharge publique mal recouverte, ce qui rend malades les membres les plus fragiles de la famille. La malédiction semble poursuivre cette famille puisque un enfant meurt d’une intoxication alimentaire, le père de Jurgis meurt d’une infection pulmonaire, sa femme tombe enceinte et lui avoue qu'elle a été maintes fois violée par son patron et perd son boulot. Pris de colère, Jurgis tabasse ledit patron qui porte plainte. Notre héros se fait arrêter et il se retrouve en prison. A sa sortie, il découvre qu'il a perdu sa maison, puisque sa famille ne pouvait plus assurer le paiement des traites. Sa femme meurt dans d’atroces souffrances en donnant naissance à son bébé qui meurt également. Son premier enfant meurt à son tour noyé, à cause d'un trou béant creusé à même la chaussée, mais qui n'a pas été recouvert. Rempli d'eau par la pluie, le gamin ne se doutait pas que l'eau cachait un puits trop profond pour lui, et tombe dedans. A son tour, Jurgis boit et devient alcoolique. Il s'installe pour quelque temps à la campagne, mais se rend compte que les conditions de travail étaient aussi inhumaine qu'en ville. Il retourne donc à Chicago, ou les conditions de vie ne se sont guère améliorées.
Etat de l'abattoir
Upton Sinclair dans son roman, raconte la vie à l'intérieur de l'abattoir. C'est à trembler, quand on pense aux conditions similaires qui existent encore aujourd'hui dans certains abattoirs en Algérie. Les ouvriers affectés aux cuisines «avaient tendance à basculer dans les cuves béantes dont le rebord supérieur affleurait le sol. Quand on les repêchait, il ne restait plus grand chose à montrer au public. On ne s’apercevait parfois de leur disparition qu’au bout de plusieurs jours: leur dépouille, à l’exception des os, était déjà partie pour être vendue aux quatre coins du monde, sous forme de saindoux cent pour cent pur porc...». On utilise des produits dangereux pour le traitement des viandes, dont de la mort aux rats, pour en réduire le coût de production. Les conditions d'hygiène sont exécrables. La viande malade et avariée est retraitée avant d'être revendue, sans scrupules. Et l'auteur de La Jungle y va dans certains détails :«On y ajoutait également les rognures qui avaient traîné par terre dans la sciure et la saleté, qui avaient été piétinées par les ouvriers, souillées par leurs crachats. (…) Quand les ouvriers chargeaient à pleine pelle la viande dans les wagonnets, ils ne prenaient pas la peine d’éliminer les cadavres des rongeurs. (…) Comme les hommes n’avaient aucun endroit où se laver les mains avant le déjeuner, ils avaient pris l’habitude de le faire dans l’eau destinée à la saucisse.
On croirait que c'étaient les élucubrations d'un écrivain en mal de sensations, cherchant à forcer des traits pour faire vendre son livre, sans connaissance réelle du milieu de l'industrie carnée des Etas-Unis du début du vingtième siècle. Mais ce n'est pas le cas. Pour écrire son roman, Upton Sinclair se fait embaucher durant six mois dans ces abattoirs et raconte la vie de l'intérieur. Il y décrit le fonctionnement dans des détails à soulever le cœur de n'importe quel lecteur. Sa description du traitement de la viande va provoquer un véritable scandale au Etats-Unis.
Les Américains sont choqués à la lecture du livre. Il découvrent stupéfaits ce qui se cachait derrière la viande industrielle qu'ils avaient l'habitude de consommer.
Impact du Livre et changements dans la société
L’impact du livre a donc été énorme, et dépassait même ce que pouvait imaginer son auteur et son éditeur. Il a fait la une de la presse, contribuant à faire vendre le livre au delà des espérances. Le sujet est débattu partout, à la télévision encore naissante, au cinéma, dans les radios, dans les journaux, etc... Ce qui a obligé le président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt à réagir. Après avoir affirmé dans un premier temps que le roman de Sinclair racontait n’importe quoi, il fut obligé par l'opinion publique à lancer une enquête officielle pour vérifier les descriptions de La Jungle . L'enquête a donc confirmé les dires du romancier et un rapport va être remis au président qui fera adopter deux lois : le Meat Inspection Act (loi sur l’inspection des viandes) et le Pure Food and Drug Act, (loi sur la nourriture propre). Désormais, touts aliments nuisibles et toxiques sont interdits à la vente. C'est de cette époque que date l'obligation de mentionner les ingrédients contenus dans des produits alimentaires proposés à la vente, sur leur emballage. Et c'est à partir de cette date que fut créée la puissante Food and Drug Administration(FDA), toujours en place encore aujourd'hui.
Rôle de l'intellectuel
C'est donc grâce à une œuvre littéraire que la santé humaine fut préservée. Il n'y a donc pas que les rapports scientifiques et les commissions parlementaires qui sont capables de faire changer les choses. Tout travail intellectuel peut donc contribuer de manière parfois décisive, au changement et à l'évolution des conditions de vie. Chaque écrivain, enseignant, journaliste ou artiste a donc le devoir de s'exprimer sur les choses qui lui tiennent à cœur, surtout s'il en va de la santé morale ou physique de la société. Le silence des intellectuels demeure donc coupable, dans un pays ou les dérives sont légions. Les exemples du faux médicaments anti-diabète RHB, de la clinique de la Roqia, de l'urine de chameau, et de tant d'autres dérives n'auraient pas pu être mis sous les feux de la rampe, sans une contribution effective et décisive de la classe intellectuelle du pays, les journalistes en tête. Le silence de nous tous sur les dérives et débordements de la société nous culpabilise davantage, surtout que notre supposé niveau de conscience est en éveil. Qui ne dit mot consent. Il est peut être temps que les lettrés, médecins, ingénieurs, et autres administrateurs se ressaisissent pour éviter que la société sombre et que le pays aille à vaut l'eau. L'Amérique ne s'est pas faite en un jour, tout comme Rome, d'ailleurs, comme dit l'adage. Ce que l'Amérique est devenue, est largement le fruit du travail et de la conscience des américains, qui, par amour pour leur pays ont pris le risque de se mettre au devant de la scène. Beaucoup ont payé leur audace et leur courage de leur vie même. Mais cela a contribué à faire avancer leur pays, et leurs enfants et les enfants de leurs enfants vivent aujourd'hui dans des conditions meilleures, même s'il reste encore beaucoup à faire pour atteindre l'idéal. La tradition américaine continue et s'étend dans le monde civilisé, puisque des lanceurs d'alerte ont pris le relais, à l'exemple de Julian Assange ou Edward Snowden qui sont entrain de payer leur implication dans la dénonciation des dérives de leur système politique, mais qui sont soutenus par des millions de personnes dans le monde.
Nabil Z.
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