La prière est l’acte de s’adresser à Dieu. Soit pour lui réclamer des bénédictions ou juste lui adresser des louanges, des remerciements et des actes d’adoration. Pour qu’elle soit vraie et sincère elle devra être exprimée dans la langue la plus naturelle du prieur.
Il existe plusieurs types de prières. Beaucoup sont liturgiques et consistent à lire des textes figurant dans une sorte de livre de prière, comme les Psaumes. Et dans ce cas, il existe des textes pour chaque circonstance : prière du matin, celle du soir, avant les repas, lors d’une fête, d’un deuil, ...
La langue dans laquelle on prie est très importante. Car la liturgie impose ses textes, ses mots et ses formulations. Le choix des mots est primordial, d’où la nécessité de les dire dans une langue précise. C’est notamment ce que font les Catholiques dont la vie de prière est régentée par des processus pré-déterminés et parfois, répétés à plusieurs reprises. On retrouve également ce phénomène dans l’Orthodoxie ou chez les protestants avec la récitation du Notre Père.
Pendant très longtemps, la langue liturgique chez les Catholiques a été le Latin. Et chez la majorité des Orthodoxes, le Grec. En ce qui concerne les Protestants, le choix de la langue est libre depuis que Martin Luther avait traduit la Bible en langue Allemande, la rendant accessible au simple croyant qui ne maîtrisait pas le Latin. Puis, toutes les autres nations ont fait des traductions dans leurs propres langues, et les croyants pouvaient ainsi utiliser la langue qu’ils connaissaient le mieux.
Est-ce le cas pour les Arabophones ? On sait que la prière musulmane est très codifiée. A chaque prière correspond un rituel précis composé de gestes et de paroles. Ces dernières sont directement tirées du Coran, écrit en Arabe. Le musulman se doit donc d’effectuer sa prière en langue Arabe et ce, quelque soit sa langue maternelle et l’endroit où il vit. Les Saoudiens, les Turcs, les Pakistanais, les Indonésiens, les Égyptiens, les Sénégalais, les Maghrébins se doivent tous de faire leurs prières dans la langue de Koreich qui est l’Arabe. Ceux qui ne connaissent pas cette langue doivent donc apprendre les sons, et répéter les mots et les phrases liturgiques afin d’être conformes aux exigences religieuses.
La prière chez les Chrétiens du Maghreb.
Un curieux phénomène est constaté dans la prière des Chrétiens Maghrébins qui sont des anciens Musulmans convertis à Jésus-Christ. Pendant qu’ils étaient Musulmans, ceux qui faisaient la prière priaient obligatoirement en Arabe. Mais, depuis leur conversion, ils sont libres de choisir la langue dans laquelle ils prient, notamment leur langue maternelle qui leur permet de mieux exprimer leurs requêtes et louanges. C’est le cas par exemple des Kabyles qui, non seulement prient dans leur propre langue, mais aussi développent des chants et des poèmes dans leur langue.
Il existe également plusieurs langues utilisées au Maghreb appelées Daridja. Chaque région utilise sa propre Daridja qui est un mélange d’Arabe et de langues locales mélangées à des mots d’origine Espagnole, Française ou Italienne. Ainsi, la Daridja utilisée dans le Rif au Maroc est différente de celle utilisée dans les Aurès en Algérie ou en Tunisie. Mais,....
On remarque que la prière chez les Chrétiens dits Arabophones ne se fait que rarement en Daridja. Ces Chrétiens dits Arabophones ne sont pas encore arrivés à se libérer de la tradition musulmane qui impose l’usage de l’Arabe comme langue liturgique, donc de prière. Alors que le patrimoine musical au Maghreb est d’une extraordinaire richesse, les cantiques et louanges de ces Chrétiens sont toujours en Arabe classique et se rapprochent parfois, de l’Égyptien. Il n’y a presque pas de chants Chrétiens développés en Daridja, alors qu’en Kabyle on en compte des milliers. Même traduits à partir d’une autre langue comme l’Anglais ou le Français, ils sont chantés en Arabe Classique, très rarement en Daridja.
La question de la langue au Maghreb n’a pas encore été tranchée. Elle reflète clairement la problématique identitaire de ce peuple. Berbère dans le sang et les gènes, on leur a imposé la langue d’El Moutanabi que personne, à part les lettrés, ne maîtrise. Elle interfère dans la vie politique et administrative, dans les rapports sociaux et même, dans la vie intime des individus, quand ils se retrouvent en face de leur Créateur, s’étant introduit de force dans leur esprit et ayant colonisé jusqu’à leur propre pensée.
Ce phénomène a des causes sur lesquelles il faudra se pencher. Comme dit plus haut, la question linguistique au Maghreb n’a pas encore été résolue, malgré les avancées récentes en matière de reconnaissance de la langue Amazighe comme langue officielle en Algérie et au Maroc. Cependant, la Daridja n’a toujours aucun statut. C’est l’Arabe classique qui est enseigné à l’école et utilisé dans l’Administration. Ainsi, Tchina est devenue Brotoqal, Tomobile Siyara, Dar el Mir se dit Baladiya et la Nekoua est devenue Bitaqat taarif. La langue populaire, celle du peuple n’a pas droit de cité dans l’idéologie officielle, et les structures de l’Etat n’arrivent pas à pleinement s’intégrer dans la culture locale.
Ajouter à celà l’absence quasi totale de traductions de la Bible en langues Daridja. Et même si elles existaient, la déformation imposée par l’école ne leur permettrait pas de les lire. Ajouter à cela, l’absence de normalisation de ces langues. Chaque région ayant sa propre Daridja.
Cette question linguistique et identitaire a été déjà posée par l’introduction du Phénicien dès le neuvième siècle avant Jésus Christ. Cela avait donné naissance à une langue particulière, le Punic. Elle a été accentuée par l’arrivée des Arabes au Septième siècle de notre ère, influent lourdement sur les cultures locales sans avoir totalement réussi à les remplacer. D’où cette situation de mélange des langues qui a donné naissance à la Daridja. D’autant plus que la langue Arabe est professée par l’Islam qui la sacralise. Cette langue est en effet considérée comme étant celle du Paradis, voire de Dieu lui-même, la Lingua Divina.
La résolution de ce problème- d’origine spirituelle- devra donc se faire d’une manière spirituelle. Les Chrétiens Maghrébins dit Arabophones ou, devrions-nous dire, Daridjophones, doivent se réapproprier cet élément constitutif de leur personnalité, c’est à dire leur langue. C’est le support de leur relation avec l’objet de leur foi et de leur adoration. C’est le biais par lequel ils communiquent en permanence avec leur créateur. Ils ne doivent pas laisser une autre langue, une autre culture ou une autre idéologie interférer entre la créature et le créateur. Quand on verra des Chrétiens Maghrébins prier chanter, enseigner dans leurs langues, alors on pourra dire que la libération est proche.
Nabil Z.
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