Depuis l’indépendance, l’Algérie a reconnu à ses citoyens le droit de conscience, c'est-à-dire la liberté de croire en d’autres religions, prophètes ou philosophies que celles prônées officiellement par l’Etat qui a la charge du culte musulman, du fait que l’Islam est sa religion.
Mais, depuis quelques mois, le gouvernement s’acharne contre un groupe de citoyens algériens qui ont décidé de croire en une autre philosophie, une autre façon de voir. Il ne nous appartient pas d’en juger le contenu, mais il faut rappeler ce qu’est l’Ahmadia.
Qu’est-ce que l’Ahmadisme ?
L’ahmadisme ou Ahmadia est un mouvement réformiste musulman messianiste fondé par Mirza Ghulam Ahmad, originaire d’un milieu soufiste sunnite, à la fin du XIXᵉ siècle au Penjab. Il a affirmé en 1889 avoir reçu des révélations de Dieu, qui lui aurait confié la tâche de restaurer l’Islam dans sa pureté. Pour rassembler sa communauté en Inde, il a déclaré qu’il était un avatar de Krishna et de Jésus. Il puise son inspiration de plusieurs sources religieuses, dont l’écrivain mystique arabe, Ibn Arabi. Ses adeptes axent surtout leur discours religieux sur le renouveau qu’ils veulent initier dans le monde grâce à leur Messie et ne font pas grand cas des interdits ou des devoirs religieux. Aujourd’hui, on estime qu’ils sont au nombre de dix millions dans le monde, essentiellement en Inde et au Pakistan.
Depuis leur apparition en Algérie ces dernières années, les gouvernements successifs n’ont cessé de les combattre. L’actuel ministre des affaires religieuses les accuse de toutes sortes de maux, dont la préparation d’actes violents. Si elles sont avérées, ces accusations sont d’une extrême gravité, surtout que l’Algérie a très sévèrement souffert de la violence religieuse, exprimée par les islamistes.
Mais qu’en est-il réellement ? Depuis ces derniers mois, quelques deux cent soixante-six ahmadis ont été arrêtés sur le territoire national. C’est l’ONG Human Rights Watch qui a sonné l’alarme cette semaine. Une cinquantaine d’entre eux ont comparu devant la justice. Un de leurs avocats, Salah Debbouz affirme qu’il n’y a « aucun fait qui atteste ces accusations ». Il dénonce même la procédure utilisée, puisqu’elle « s’appuie sur une ordonnance destinée aux non musulmans et qui crée une discrimination entre citoyens ».
Le sens de la justice.
L’affaire des ahmadis relance encore une fois la question de la pratique de la justice dans notre pays. N’est-elle pas un instrument pour réprimer les personnes contrevenant à la loi ? Et celle-ci, condamne-t-elle les citoyens pour leurs seules croyances ou pour leurs actes répréhensibles ? Peut-on sincèrement réprimer quelqu’un pour ses convictions religieuses, spirituelles ou philosophiques ? Peut-on entrer dans le cœur d’un croyant pour lui dire ce qu’il doit croire ou pas ? Peut-on également arrêter quelqu’un uniquement sur la base de soupçons ? Alors, les procès d’intention ne devraient plus avoir une fin, puisque les gens développent des idées, puis changent d’avis, et même plusieurs fois dans la vie. S’il faut les réprimer à chaque fois qu’ils se posent des questions et qu’ils se recherchent, on n’est pas sorti de l’auberge.
Si la loi ne protège pas les ignorants, elle leur doit respect et aide. Le rôle du Ministère des Affaires religieuses est de garantir à chacun, selon ce qui est reconnu dans la constitution, le droit d’avoir ses propres opinions et convictions, et de lui assurer les moyens de les pratiquer et de les développer. Ce n’est pas le rôle d’un Etat de réprimer les opinions et les convictions de ses citoyens. La liberté de conscience englobe le droit de croire ou de ne pas croire. Et si on croit, on a le droit de croire en autre chose que ce qui est prôné par la masse. La liberté, c’est aussi le droit à la différence.
La loi est là pour fixer des lignes rouges. Parmi elles, le recours à la violence sous toutes ses formes. Verbales ou physiques. La répression policière comme violence légitime du pouvoir, ne doit pas s’exercer contre la pensée et les opinions, mais contre des actes avérés. Comment donc expliquer que sur la base de soupçons, certains ahmadis ont été privés de leurs droits constitutionnels, comme la liberté d’aller et venir, le droit au travail (certains ont été licenciés de leur travail), et la liberté de réunion et de culte ?
Les pouvoirs publics, n’ont-ils pas le devoir de contribuer, sinon d’initier la promotion de leurs citoyens à tous les niveaux ? Plutôt que de réprimer, ne serait-il pas plus intelligent d’ouvrir un débat, et de permettre aux idées d’être partagées, critiquées ou combattues par d’autres idées ?
Il est grand temps que les pouvoirs publics revoient leur conception de la liberté, et de comprendre que la seule liberté dont jouis un gouvernement est celle de protéger ses citoyens, collectivement et individuellement. Si les algériens ahmadis ou autres ont besoin de pratiquer leur culte, il est du devoir du gouvernement de leur en assurer les moyens et de leur en garantir la liberté.
Nabil Z
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