Voici un livre qui devrait faire partie de la littérature amazighe, même s’il a été écrit par un étranger. Il raconte une histoire romancée, de la condamnation de deux chrétiens berbères de Tazoult par le tribunal romain de Cirta.
Certes, ce n’est qu’un roman. Mais écrit par un auteur qui est considéré comme le plus grand spécialiste français de l’histoire de Rome. Après avoir publié de nombreux essais, cet augustinien confirmé a usé de son érudition pour publier à l’âge de 87 ans, son premier roman. Passionnant !
Ce roman est en effet passionnant autant par la vérité historique qu’il rapporte que par la profondeur de la connaissance de la nature humaine dont fait preuve Lucien Jerphagnon. Les faits se déroulent en Septembre 258 après J-C, à Tazoult-Lambèse siège de la IIIeme Légion, et à Cirta. Caïus Macrinius, légat romain en Afrique du nord, aux portes de la retraite, et ne cherchant qu’à terminer sa carrière de manière paisible, porte tout son intérêt à une affaire qu’on vient de lui soumettre, concernant l’accusation portée à l’encontre de deux chrétiens berbères qui refusaient de renier leur foi. Ce qui était à l’époque un véritable crime. Car tous ne devaient adorer qu’une seule divinité : César, au dessus de toutes les autres. Déjà, les autorités avaient réussis, sous la torture, à en faire renier cinq autres. Deux sont morts, mais trois résistent : Agapus, le vieil évêque de Cirta, la courageuse Sylvia et Stratonikos, obsédé par le reniement de St Pierre. Car le premier des apôtres de Jésus avait renié son maître, après que le Seigneur lui eut annoncé que « avant que le coq ne chante tu m’auras renié trois fois ». La lutte intérieure est intense, face aux tortures effroyables infligées par les soldats romains. Caïus prend alors en main le procès. Il ne voyait rien en eux qui puisse constituer un quelconque danger pour l’Empire, mais il a un travail à faire, et surtout, satisfaire les exigences de Rome en matière de persécution des chrétiens. Il voulait aussi donner à ces trois êtres une chance de survie, si seulement ils acceptaient de sacrifier aux dieux païens.. Les chrétiens croient ce que la plupart des hommes ne voient pas. Pour eux le royaume des Cieux est bien supérieur à celui de Rome. Caïus est intérieurement tourmenté. Il n’avait rien à reprocher aux prévenus, sinon d’adorer un Dieu que lui même ne connaissait pas. Mais, il a une mission à accomplir : « éliminer d’intolérables innocents ». Fallait-il obéir aux ordres ou à sa conscience ? Devait-il obéir à la logique ou préserver sa retraite imminente ? Lucien Jerphagnon joue alors sur les aspects psychologiques des personnages de son roman. A la tristesse de Caïus déçu par sa charge, il oppose l’esprit réaliste du premier magistrat de Cirta, Serotinus, amateur de chair fraîche et de bon vin. Selon lui, l’esprit de discorde n’épargne personne : même les chrétiens, par leurs faiblesses humaines et leurs ambitions personnelles, laissent succomber l’Agneau ( allusion à Jésus) et ressurgir la Louve (le diable)…L’auteur utilise ainsi une forte métaphore pour frapper l’esprit du lecteur.
La veille du procès, Stratonikos abandonne la résistance et renie sa foi. Mais le vieil évêque et la jeune Sylvia tiennent bon.
On ne sait pas si Lucien Jerphanion raconte des faits réels, ou bien s’il s’est laissé inspirer par d’autres procès restés célèbres dans l’histoire, comme ceux de Tertullien et Cyprien.
Lors de son procès, l’évêque de Carthage qui a vécu à peu près à la même période fut confronté à son juge Paterne:
- Paterne : « Les très saints empereurs Valérien et Gallien ont daigné m’adresser des lettres par lesquelles ils ordonnent à ceux qui ne suivent pas la religion romaine d’en reconnaître désormais les cérémonies. C’est pour cette raison que je t’ai fait citer: que réponds-tu ? - Cyprien : « Je suis chrétien et évêque. Je ne connais pas de dieux, si ce n’est le seul et vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent. C’est ce Dieu que nous, chrétiens, nous servons; c’est lui que nous prions jour et nuit, pour nous et pour tous les hommes, et pour le salut des empereurs eux-mêmes. - Paterne : Tu persévères dans cette volonté?
- Cyprien : Une volonté bonne, qui connaît Dieu, ne peut être changée.
Plus tard, suite à un nouvel Edit, Cyprien fut ramené de son exil pour être à nouveau jugé. L’entretient avec le proconsul ne laisse place à aucune ambiguïté. Il y avait foule, et le jugement fut public. Pressentant la sentence, Cyprien demanda aux jeunes filles présentes de se retirer, afin de leur épargner la vue de la violence de l’exécution qui allait s’en suivre.
Galère, le Proconsul :
Tu es Thascius Cyprien? Les très saints empereurs ont ordonné que tu sacrifies.
Cyprien : Je ne le fais pas.
Suite à quoi la sentence fut prononcée.
-Galère : - Nous ordonnons que Thascius Cyprien soit mis à mort par le glaive.
-Cyprien : Grâces à Dieu … Et Cyprien fut décapité.
Ainsi, les procès contre les amazighs chrétiens furent nombreux et rapportés abondamment par la littérature. Le livre de Lucien Jerphanion, l’Agneau et la louve n’est donc qu’une partie de la réalité vécue par nos ancêtres et rapportée dans ce livre de manière romancée.
Nabil Z.
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