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Photo du rédacteurNabil Z.

La Pensée Kabyle au Fil du Temps

Le Café littéraire de Béjaïa a reçu, samedi dernier, Younes Adli pour parler de ses publications, dont celle consacrée à la pensée kabyle, parue aux éditions de l’Odyssée.



Younes Adli est chercheur, linguiste et historien. Il a été pendant un certain temps, le directeur de l’hebdomadaire « Tamurth », (Le Pays). Il a publié plusieurs ouvrages dont « La Kabylie à l’épreuve des invasions, des phéniciens à 1900 »,;« Si Muhand Ou M’hand, errance et révolte », «Arezki L’Bachir», puis ,« la Pensée Kabyle», entre autres. De prime abord, l’assistance qui fut nombreuse se posait des questions légitimes. Existe-il une pensée kabyle ? Si oui, comment se défini-t-elle ? Qui sont ses portes flambeaux, et en quoi serait-elle différente des autres pensées au point d’avoir des particularités. Younes Adli, dans un kabyle fluide, a entamé sa conférence en déroulant son discours de façon claire et suivie, en bon enseignant qu’il est. Selon l’auteur de la Pensée Kabyle, « Si Muhand Ou M’hand a ouvert un chemin que nous continuons à suivre ». Il a été le témoin de son époque. « En le suivant, nous avons trouvé un plaisir à découvrir d’autres facettes de notre culture ». Il a combattu l’envahisseur avec sa parole, au moment où d’autres ont choisi l’utilisation du fer comme arme de résistance et de combat. Il y a ainsi le cas d’Arezki L’Bachir. Il a été un modèle comme Si Muhand. Après son arrestation, son procès avait été couvert par une quinzaine de journaux. Il avait voulu susciter une révolution similaire à celle de 1871. Le gouvernement français a essayé de négocier avec lui, mais il avait rejeté son offre. Le contexte socio-historique a permis l’émergence du poète Si Muhand et du Résistant Arezki.


Constat des étrangers

Thomas Show avait déclaré dans l’une de ses publications que les kabyles savaient extraire le minerai de fer, le transformer et le vendre. À Aït Abas, les femmes savaient coudre et broder avec du fil doré. Le costume constantinois n’est que la continuité du travail des femmes d’Ath Abas. La tuile, la cire, le miel et d’autres produits de Bougie étaient exportés dans tous les pays du bassin méditerranéen. Ce sont aussi les kabyles d’Ath Ouacifs qui ont appris aux turcs à construire les retenues collinaires et les barrages d’eau. Ce sont ces mêmes kabyles qui savaient aussi fabriquer des armes et de la poudre. Ces derniers savent assurer la transmission du savoir. Mais il est fait de façon orale. Selon Younes Adli, « il y a peu de sources écrites. Dans ce domaine, l’essentiel de la recherche se fait sur des corpus oraux. Ce n’est que ces dernières années qu’ils ont été admis comme source de recherche ». Ajoutant : « Les sources amazighes remontent jusqu’à l’époque de Carthage ». La bibliothèque de cette ville a été brûlée par les romains. Ce qui fait que de nombreux écrits n’existent plus. L’un des premiers rois à avoir écrit, c’était Hiempsal II, le petit fils de Massinissa. Il avait rédigé ce qu’on appelle le « Libri Punici ». Dans ce livre, il affirmait que les premiers habitants de l’Afrique du Nord furent les berbères. Il a aussi parlé des Gétules. Il y a eu aussi un autre roi écrivain. Il s’agit de Juba II. Il était roi, savant et aussi explorateur. Il a fait de nombreuses découvertes. Adli cite, notamment, la découverte de l’Ile de Madère. Massinissa a imposé aux romains le statut du Libyque. Il a fait graver en caractères Tifinagh une inscription sur une défense d’éléphant qu’il avait offerte au roi de Malte. La pensée kabyle résulte de la pensée amazighe. Hierbas avait accordé l’Aänaya à la reine carthaginoise Elyssa-Didon. Sans cette valeur typiquement berbère, Carthage n’aurait jamais existé. C’est une notion humaine hautement philosophique, et elle est très répandue chez les kabyles. Quand quelqu’un était convaincu de crime, la peine de mort était souvent commuée en peine d’expulsion de la société pour donner une seconde chance à la personne et pour éviter de faire couler le sang et mettre fin à la série de vendettas et de vengeances. Pendant ce temps, en Europe, on exerçait encore des supplices dans leur système juridique. Les Cheikhs Mohand Oulhoucine et Ahaddad ont bien exprimé leur pensée philosophique. Ce dernier a réformé la pratique de la Zakat, pour la faire passer d’un système égalitaire à un système proportionnel. Il n’était pas normal que le riche et le pauvre payent la même somme.


La pensée politique

Thadarth était considérée comme l’équivalent de la Cité comme ce fut le cas en Grèce. Les élections, aux 18ème et 19ème siècles en Kabylie, se faisaient par un système de représentation familiale. C’est comme ça qu’on élisait le Chef de tribu. Son adversaire, ayant perdu les élections, devenait le Chef de la minorité chargé de contrôler le chef de la tribu. Les affaires religieuses étaient distinctes des affaires de la Cité. C’était un système laïc. Dès le 18ème siècle, la femme a été responsabilisée sur des affaires d’importance. Elle était appelée Thimqeddemt. Pendant cette même période en Europe, la Franc Maçonnerie refusait encore d’intégrer les femmes dans son assemblée. La Kabylie était la seule région qui fêtait Noël sans ambages. L’Achoura qui était à l’origine une fête juive, était également célébrée par les kabyles, tout comme celle du Mouloud. Celui qu’on appelait Bouqabrine ne faisait pas de distinction entre les prophètes et les religions. Il y avait donc une pensée religieuse kabyle.


La pensée économique

Le corps expéditionnaire français fut surpris de découvrir qu’il existait un système économique en Kabylie. Maxime Kovalevski, qui était russe et ami de Karl Marx, en a parlé à ce dernier. Celui-ci en a informé Engels. Après cela, Karl Marx fit un voyage en Algérie pour vérifier tout cela. Il fut surpris de découvrir qu’en Kabylie on avait résolu, depuis belle lurette, les problèmes qui se posaient encore en Europe. Rosa Luxembourg, quant à elle, fut surprise par la découverte du modèle organisationnel kabyle. Le père de la sociologie, Emil Durkheim, dans son livre relatif à l’organisation sociale du travail avait évoqué l’exemple de Tadjmaâth et lui a redonné sa place. La pratique de l’hypothèque existait aussi chez les kabyles. C’était Tadjmaâth qui tranchait les différends, en donnant une nouvelle chance à la personne endettée pour éviter l’exécution de l’hypothèque.


La pensée juridique

Dans le système juridique kabyle, il y a deux notions. El Aâda et Thaarift. Le droit en son adaptation. Jusqu’aux années soixante-dix, il y avait encore le module de droit coutumier kabyle à l’université d’Alger. Puis, il a été supprimé. Chez les kabyles, il y avait aussi une pensée écologique. Il était, par exemple, interdit d’abattre un arbre sans raison valable. Tadjmaâth était chargée de vérifier les motivations qui ont poussé une personne donnée à demander l’autorisation de le faire. Si sa demande était justifiée, on lui imposait de replanter un autre arbre à sa place. Younes Adli, vers la fin de sa conférence, s’est exclamé : « Nous sommes la survivance d’une grande civilisation. Nous avons eu un âge d’or ». Alexandre le Grand est allé à Siwa pour consulter les oracles berbères. La conférence a été passionnante. Le public a visiblement aimé puisque le débat qui a suivi la communication de Younes Adli a été très riche. Cependant, des points sombres demeurent dans le discours de cet éminent chercheur. À partir de quel moment, a-t-on commencé à parler de « Kabylie » et de « Kabyles ». Quelles étaient les limites géographiques dans lesquelles ces vocables pouvaient être utilisés ? Comment s’est articulée la pensée kabyle par rapport à la pensée des autres composantes amazighes. Les berbères qui peuvent être fiers d’avoir donné naissance au plus grand des philosophes, à savoir Saint Augustin, quelle a été l’influence de la pensée augustinienne sur la pensée kabyle ? De quelle manière s’est faite la transmission de la pensée berbère originale, et comment s’est-elle développée à travers les siècles ? Autant de questions qui nécessitent un approfondissement dans la recherche, et qu’il faudra venir présenter au public du Café littéraire qui s’honore à être présent en nombre à chaque nouvelle édition.


N. Si Yani.

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