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Photo du rédacteurNabil Z.

La Polémique Boudjedra Rebondit

Depuis l’été dernier, l’écrivain algérien Rachid Boudjedra ne cesse de faire parler de lui. Habitué aux débats polémiques, ce dernier ne s’attendait pas à être à ce point dans le point de mire des critiques, tant littéraires que politiques. La semaine dernière, une nouvelle polémique est née suite à une interview accordée à une chaine de télévision nationale.


La réponse aux déclarations de l’écrivain est venue de Sabrina Zouagui, spécialiste en littérature maghrébine à l’université de Béjaia. Dans une lettre ouverte relayée par les réseaux sociaux, elle qualifie Rachid Boudjedra de « Contrebandier de la scène littéraire algérienne ». Son texte, d’une violence inouïe, ne ménage en rien Boudjedra. Ainsi, et selon elle, « Rachid Boudjedra n’en finira pas de nous scandaliser et de nous provoquer des ulcères à chacune de ses sorties médiatiques. Je me suis retenue à chaque fois de réagir négativement, me disant qu’il avait le droit d’exprimer ses idées, aussi affligeantes soient-elles, et que nul n’avait le droit de museler la parole d’autrui, comme le font ses détracteurs et critiques qui lui tombent dessus à chaque fois et le traitent de tous les noms » a-t-elle ainsi commencé sa lettre. Puis, s’adressant directement à lui, « pour vous exhorter à vous taire en tant qu’intellectuel, parce que vous n’incarnez en rien l’idéal de l’Intellectuel tel qu’il a été forgé depuis le combat épique d’Emile Zola lors de l’affaire Dreyfus »0 Cette déclaration chache quand même une certaine admiration de l’auteur, puisqu’il est comparé à Emile Zola. Mais la suite est encore plus surprenante. « Je m’autorise à vous parler ainsi parce que je suis sûre de mon objectivité envers vous et que je n’ai aucun autre intérêt à vous clasher à part le désir ardent de vous dire vos quatre vérités et de vous mettre face à vos responsabilités… « 

« Je n’ai cessé d’admirer depuis des années votre écriture, et je fais de mon mieux pour réaliser des travaux dessus. Par exemple, rien qu’en septembre passé, j’ai participé à un colloque international à l’université d’Alcala de Madrid où j’ai présenté une communication sur l’un de vos romans. Après ces présentations, les critiques pleuvent : Vous tirez sur tout ce qui bouge et pense autour de vous ! Lorsque vous critiquez vos semblables vous ne le faites ni avec art, ni avec classe et encore moins avec tact, diplomatie ou humanisme ! Quel est donc ce mal qui vous ronge cher écrivain ?? 

Vous prétendez critiquer les autres alors que vous ne faites qu’insulter, jacasser et verser un fiel qui vous déshonore ! 

Vous prétendez instaurer un débat littéraire alors que vous ne faites qu’empester l’atmosphère et enliser le débat dans les caniveaux, chose malheureuse pour la vie intellectuelle algérienne ! 

Ce qui m’a encore plus scandalisée dans vos propos ce n’est point votre arrogance et mégalomanie auxquelles nous nous sommes, hélas, habitués… mais c’est l’abîme de l’ignorance dans lequel vous pataugez ! » Un jugement crû et direct, sans ménagement de la part de l’enseignante. « Oui je dis bien ignorance et je vais vous le démontrer ci-dessous : Soit vos connaissances en systèmes politiques est vraiment déficitaire, soit vous êtes animé de mauvaise foi ! » Et la lettre prend une tournure politique, reprochant à l’écrivain de confonde entre les systèmes politiques. Rien n’arrête l’enseignante qui reproche à Boudjedra d’user d’un langage ordurier. « Qualifier de « vieille » une grande dame comme Merkel, dont aucun de nos dirigeants n’arriverait à la cheville, me parait navrant de la part d’une personne qui prétend être imbue de philosophie et qui se prévaut d’un haut niveau intellectuel ! Mais on dirait que ce langage est votre seule ressource quand vous manquez d’arguments : j’ai déjà eu mon lot de chocs quand j’ai lu dans Les Contrebandiers de l’Histoire la façon dont vous traitez nos écrivains algériens de « psychopathes avérés » (p. 86), et que vous citez en les affublant de l’expression péjorative « de tels individus » (p. 87)… Oui M. Boudjedra, c’est devenu presque chose normale que le langage ordurier soit toujours convoqué pour venir à votre rescousse dans vos discours censés émaner d’un intellectuel ! Puis, on assiste à une véritable invective contre Rachid Boudjedra. Et l’enseignante n’a pas froid aux yeux, puis qu’elle avance des arguments. Ce ne sont pas juste des mots, mais des analyses pointues auxquelles peut être l’auteur aura à répondre. « Nous sommes dans un débat entre intellectuels ! Haussez le niveau de grâce ! » Pour revenir à votre maitrise douteuse des systèmes politiques, j’ignore jusqu’à cet instant comment vous avez réussi à mettre sur un pied d’égalité ce qui se passe sur les scènes politiques africaine et européenne. Donc pour vous les dictateurs africains, qui s’éternisent au pouvoir et qui massacrent la moitié de leurs populations et de leurs opposants pour ne rien déranger de leurs petits plaisirs et caprices, ne diffèrent en rien de la reine d’Angleterre qui n’est reine que de façon symbolique et honorifique, et qui n’exerce aucune activité hormis les petites bagarres entre belles-mères trop grincheuses et belles-filles trop rebelles… sans oublier son rôle, tout aussi honorifique, de chef de l’Eglise anglicane hérité de son prestigieux ancêtre le roi Henri VIII ! »

L’allusion est claire : commencez à balayer devant votre propre porte, dénoncez ce qui se passe dans votre propre pays, et ne critiquez pas ce qui se passe dans de vrais Etats démocratiques. Puis, parlant de notre classe politique elle ajoute : « Ne sont-ce pas là les contrebandiers de la santé publique ? Les contrebandiers de la politique algérienne ? Les champions de la démagogie et du nationalisme à deux balles ???? »

Sabrina Zouagui élève le débat en allant directement sur le terrain de Boudjedra. « Vous savez, votre situation me prouve, on ne peut mieux, la pertinence de la théorie de Marcel Proust développée dans son célèbre Contre Sainte-Beuve (1954) sur la distinction entre le Moi Social de l’écrivain et son Moi Profond !  Cette citation s’applique admirablement à votre cas : « L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n’est pas la même personne ». Comme il a raison finalement ce grand Proust !! Votre Moi Social si détestable et dont le discours patauge dans la fange n’a rien à voir avec votre Moi Profond créateur et virtuose du Verbe ! »

Me concernant, ajoute l’enseignante, « j’adore et j’admire votre Moi Créateur qui a innové et enrichi la littérature algérienne d’une esthétique révolutionnaire ! Je n’hésite pas une seconde à estimer que vous avez surpassé les Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, André Breton et tant d’autres novateurs du XXème siècle ! Oui M. Boudjedra, vous voyez comme je suis objective envers vous et fais bien la part des choses… Mais voilà, ce qui me pose sérieusement problème c’est votre Moi Social.


Pour finir, Sabrina Zouagui annonce à l’écrivain « mon cours de cette semaine va porter sur vous et sur votre œuvre ? Savez-vous qu’à un moment donné j’ai dû lutter contre mon indignation et ma subjectivité qui me dictaient de vous rayer de mon programme ? Mais non… je n’accepte pas de tomber dans le piège de la malhonnêteté intellectuelle que je ne cesse de dénoncer. Je vous enseignerai à mes étudiants, et je leur ferai découvrir votre œuvre fulgurante ! Vous êtes un écrivain incontournable de notre littérature, n’en déplaise à tous ceux qui vous haïssent ! Il me semble que c’est plutôt vous qui êtes animé d’une haine indicible et incompréhensible ! »

Et pour donner un coup de grâce à celui qui s’est souvent comparu à Marcel Proust : « Je vous invite à bien méditer la fin de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust, lorsque, dans le dernier volume Le Temps retrouvé, le protagoniste aboutit enfin à la découverte de son Moi Profond et qu’il s’écrie avec enthousiasme : « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réelle, c’est la littérature ». Il me semble que c’est ce qui s’applique à vous : Je vous exhorte à sauver ce qui vous reste de prestige sur la scène littéraire algérienne. Immergez-vous dans votre littérature et n’en sortez plus ! « 

« L’expérience a prouvé que votre Moi Social ne fait que des dégâts. Qu’il se taise ! Seul votre Moi Profond vous sauvera cher écrivain ! Qu’il s’exprime donc ! » Mon respect à l’Écrivain que vous êtes.

Voilà un débat intéressant. Il faudra surveiller attentivement la réaction de Rachid Boudjedra, car cela promet un débat riche et de qualité.

Nabil Z.

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