Après l’histoire du premier Iftar officiel à la Maison Blanche, voici celle de la première célébrité musulmane sur les terres de l’Oncle Sam. L’article est extrait du blog de David Johnston, spécialiste en islamologie, actuellement enseignant à Philadelphie aux Etats-Unis. Il avait passé seize ans entre l’Algérie ou il a vécu une dizaine d’années, l’Egypte et la Cisjordanie.
De façon Invraisemblable, le premier musulman à être reçu à la Maison Blanche, n'a pas été un dignitaire étranger, mais un esclave africain qui avait enduré des travaux forcés aux USA pendant trente-neuf ans. Grâce à un ensemble d’étonnantes "coïncidences" Abd al-Rahman Ibrahim avait été libéré par son maître du Mississippi pour être renvoyé en Afrique, mais à son grand dam, pas avant une tournée de conférences très médiatisées, allant de Chicago à toutes les grandes villes de la côte est américaine.
Terry Alford, un docteur en histoire, a farfouillé dans le Mississippi, à la recherche de pistes sur l'esclavage américain pour réaliser un nouveau projet de livre. Grâce à un commis enthousiaste au palais de justice, il est tombé sur l'histoire d'un homme, qui devait conduire sa recherche de Natchez dans le Mississipi à Washington, DC, et de l'Angleterre au Sénégal.
Dans cet article, l’auteur s’est concentré sur trois aspects du livre, tels que débattus dans les différentes conférences et réunions publiques organisées à ce sujet : la providence de Dieu comme on le voit dans les aspects très durs et aussi bons dans la vie d’Ibrahima (Ibrahima était le nom sous lequel Abderrahman Ibrahim était connu) ; la question plus large de l'esclavage en Afrique et au-delà ; la question du prosélytisme entre musulmans et chrétiens.
La providence de Dieu et l'histoire unique d’Ibrahima
« Une partie de ma fascination pour la vie d’Ibrahima », déclare l’auteur dans son article, « est en relation avec son Père, Sori. Ce dernier est devenu le bras militaire et politique de la Foulbé (ou Fulani) Futa Jalon, un érudit de Karamako Alfa ». En fait, Sori est devenu un chef religieux initiant une longue lignée d’imams aux vues similaires dirigeant un imamat entre 1750-1898 dans la Sénégambie - régions du Sénégal, de la Gambie d'aujourd'hui, et les deux Guinées.
Ibrahima suivi une éducation musulmane traditionnelle entre l’âge de sept à douze ans, lisant le Coran couramment en arabe et mémorisant de grandes parties du texte. Il avait aussi la maîtrise de la lecture et de l’écriture de la langue du Pular, la langue de Foulbé. Il a montré tellement de capacités intellectuelles que son père le voyait promis à un avenir certain. Il l'envoya donc étudier dans la ville savante et florissante de Tombouctou.
Ironiquement, ce sont les activités de jihad de son père qui l’ont formé aux techniques militaires et finalement l’ont entrainé dans l'embuscade qui lui avait été tendue par les guerriers côtiers qui l’ont capturé et vendu à un marchand d'esclaves britannique en 1788. Mais sept ans plus tôt, un cas fortuit a eu lieu, qui lui servira de nombreuses années plus tard à sceller sa propre émancipation dans le sud des Etas-Unis.
Une partie des chasseurs débarqués d'un navire britannique comprenait le chirurgien irlandais du navire, qui était borgne, le Dr John Coates Cox. Malheureusement pour lui, il a été séparé de son groupe et le navire qui l’avait ramené est reparti sans lui. Entre-temps, il a été littéralement sauvé par le père d’Ibrahima Sori, qui l'avait aidé à retrouver sa santé et l’a invité à rester pour un temps à Timbo, la capitale du Fouta Jalon. Il lui a même donné une femme et Coates a eu un fils avant de prendre congé pour retrouver son chemin de retour vers l'Irlande. Quelque temps plus tard, il a émigré en Amérique.
Des années plus tard, quand Ibrahima avait été mis comme responsable d’une centaine d’autres esclaves qui travaillaient dans la même plantation que lui, il avait eu l’occasion d’aller au marché pour vendre les produits de la ferme. C’est là qu’il retrouva le Dr Cox, ami de son père, qui après une série de mésaventures financières en Caroline du Nord venait chercher fortune à Natchez dans le Mississipi. La « coïncidence » est assez forte pour ne pas écarter la main du Destin, dans ce cas.
Le contexte plus large de l'esclavage
La Bible et le Coran reconnaissent l'existence de l'esclavage dans les sociétés auxquelles ils se sont adressés. Et les deux cherchent à en atténuer les effets les plus odieux sur l’opinion des gens, mais sans jamais chercher à l'abolir. Émanciper un esclave dans le Coran est un acte méritoire, capable d'expier certains péchés. L'appel de Jésus à aimer même ses ennemis, de pardonner à tous ceux qui nous font du tort, et la façon dont il traitait les femmes vont toutes dans le sens de l'émancipation. Mais il n’était pas un leader politique, et cette question n'a jamais été soulevée. Paul dans sa lettre à Philémon Son ami demande de reprendre son esclave fugitif et le traiter comme un frère, puisqu’il avait fini en prison comme lui, et était venu à la foi en Christ.
Soumettre les tribus ennemies et asservir les prisonniers a été une pratique courante dans de nombreuses parties de l'Afrique. Lamin Sanneh, historien de Yale, lui-même originaire de la Gambie, a écrit dans son livre paru en 1997, La Couronne et le Turban, que «la pénétration de l'islam en Afrique noire semble avoir encouragé la pratique généralisée de l'esclavage.» Il explique : «Le commerce et la guerre dans ce contexte ne sont pas mutuellement exclusives. C’étaient des moyens d'acquérir ou de faire des esclaves. La forte demande pour les esclaves, qui était partout une caractéristique des marchés à un moment ou un autre, a encouragé la prise par la force des voisins plus faibles, dans le cas d'un différend "(p. 49). Ces Mahométans n’étaient pas mieux que les chrétiens. Voici donc une bonne déclaration de la cupidité humaine sur la façon dont les deux parties - musulmans et chrétiens – sont venus à justifier, ou simplement ignorer toutes les implications éthiques du phénomène de l’esclavage.
Mission, daawa, et le fléau du prosélytisme
L'Espagne avait interdit l'introduction de musulmans africains dans l'hémisphère occidental, mais avec le temps cette politique avait été oubliée. Pourtant, un pourcentage plus élevé d'esclaves ont été ramenés aux États-Unis et les propriétaires d'esclaves étaient libres de réglementer les «rituels religieux » de leurs esclaves comme ils le souhaitaient.
Cela dit, plusieurs personnes influentes sur cette tournée de la côte Est ont mis un certain effort en essayant de "convertir » Ibrahima. Mais ce dernier resta fidèle à sa foi musulmane. Ibrahima n'a jamais cédé à la"pression intense pour convertir», malgré la sympathie qu’il éprouvait pour Jésus et les chrétiens.
A la lecture du conte d’Alford, ajoute David Johnston dans son article, « ça me rappelle mon expérience en Egypte. Personnellement, j’ai eu à souffrir en Egypte (pas en Algérie, ni en Palestine) de cette pression prosélyte pour m’amener à me convertir, tout comme Ibrahima a dû endurer ces pressions également ». Peut-être que les égyptiens ont encore cette croyance qu'ils sont encore au centre du monde et ont toujours cette tendance à être passionné dans tout ce qu'ils font. Mais « des dizaines de fois des Egyptiens se pressaient autour de moi à deux ou trois et souvent plus, pour essayer de me convertir à l'Islam ». Ils me disaient "Vous parlez l'arabe, vous êtes à mi-chemin !" Souvent, ils insistaient. Dire que ce fut une expérience désagréable est un euphémisme. Donc, je suis très sensible à cette question, peu importe qui essaie de convertir qui !
Par l’intermédiaire du Dr. Cox, Ibrahima pu retrouver sa liberté et parti avec lui en tournée sur toute la côte est des Etats-Unis, avant de rentrer chez lui en Afrique. Son témoignage a fait le tour de l’Amérique, et son nom devint très célèbre. Son éducation, ses connaissances à la fois de l’Islam et du Christianisme lui a permis d’établir de sérieuses relations amicales et intelligentes avec nombres d’intellectuels américains de l’époque. Il avait été reçu partout, y compris à la Maison Blanche, malgré sa peau noire, ses origines africaines et sa foi musulmane.
Les détails de cette formidable histoire peuvent être trouvés sur le blog de David Johnston : http://www.humantrustees.org/
Nabil Z.
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