Tout le monde connaît les difficultés qu’ont eu les romains pour coloniser les territoires de l’Afrique, et la résistance héroïque des berbères contre leur domination. Mais parmi tous les habitants de Tamazgha, il y avait une région qui a particulièrement donné du fil à retordre à l’envahisseur : la Kabylie.
Il est de notoriété publique que la Kabylie a aussi donné du fil à retordre aux français et au turcs. La résistance semble être une seconde nature chez les berbères en général, et chez les kabyles en particulier. L’Histoire nous rapporte les nombreuses fois ou les romains ont eu affaire aux résistants berbères, tant aux temps de Jugurtha, de Takfarinas ou de Firmus. Plus récemment encore aux Cheikhs El Mokrani et Ahaddad, puis aux légendaires Krim Belkacem, Abane Ramdane et Amirouche. Il suffit de lire l’archéologue Nacera Benseddik pour se rendre compte de l’ampleur de la résistance des berbères face à l’empire de Rome.
Les Quinquagentaneï
Le centre de l’Algérie était une région prisée par les colonisateurs venus d’Italie et d’Europe. Le littoral, riche et fertile contribuait dans une large mesure à l’approvisionnement en denrées alimentaires de Rome et de son armée. On a retrouvé des amphores estampillées « Tubusuptu » c’est à dire l’actuelle ville d’El Kseur, aussi loin qu’en Turquie et en Iran, et dans tout le bassin méditerranéen. Preuve de l’exportation de richesses agricoles de la vallée de la Soummam vers un peu partout dans le monde antique. On y a exporté de l’huile d’olives, du vin, et des fruits et légumes de toutes sortes.
Au quatrième siècle, alors que Théodose premier était le dernier à régner sur l’empire romain unifié, l’Afrique regorgeait de grands personnages, à l’exemple de Tertulien, Cyprien, Lactance, Fronton, et le géant Augustin. La population avait alors majoritairement abandonné le paganisme, et beaucoup étaient devenus chrétiens. Dans les montagnes des Babors, racontait Gabriel Camps, « on comptait en moyenne trois églises par village ». Le pays prospérait malgré le comportement ignoble des romains qui pillaient sans vergogne les richesse du pays. Parmi les résistants de l’époque, on peut citer Firmus dans la région sud de la Soummam, et dont le quartier général est encore en train d’être fouillé par des archéologues dans la région de Seddouk.
Firmus, dont nous aurons à reparler une autre fois, avait pour grand-père le légendaire Iflis. On rapporte que ce dernier était de la race des géants et dirigeait un grand royaume qui s’étendait sur toute la région allant de la Mitidja à la région de Rusicada, l’actuelle Skikda. Iflis eut cinq fils, à qui il a légué son royaume à sa mort. Chacun d’eux s’installa avec sa famille et ses proches dans la région reçue en héritage de la part de son père. C’est ainsi que cinq tribus puissantes ont vu le jour. Les romains les craignaient beaucoup et essayaient tant bien que mal de les éviter. Ils les appelaient les Quinquagentaneï. Autrement dit, les cinq tribus.
Les Cinq tribus
Tout d’abord, commençons par clarifier deux concepts. Le premier, celui de Kabyle. Il est évident que la thèse selon laquelle le mot « Kabyle » aurait été donné par les arabes à ceux qui se soumettaient à l’Islam est fausse. Il ne vient pas du mot « Kabala », c’est à dire « Accepté ». Il y eut d’autres soumissions à l’Islam ailleurs en Afrique et au Moyen-Orient, et personne n’a été appelé ainsi. Les arabes ont tout simplement repris le nom romain donné à cette région, à savoir « Les Tribus », ou les cinq tribus. De même que le mot « Maghreb » et c’est le deuxième concept à clarifier, n’a pas été inventé par les arabes non plus, en opposition avec Machreq, puisque les grecs appelaient déjà cette région du monde l’Hespérie, c’est à dire le pays du couchant. Faudrait-il rappeler que le demi-dieu Hercule avait reçu pour mission de la part des dieux grecs d’aller rapporter les pommes d’or du pays des Hespérides ? L’Afrique du Nord a depuis toujours été considérée comme le lieu ou se couche le soleil. Les arabes n’ont fait que reprendre le concept.
Ceci dit, Les cinq fils d’Iflis ont fondé cinq royaumes distincts, se partageant un vaste territoire et s’organisant sous forme de confédération, à la manière de leurs ancêtres qui géraient toute Tamazgha sous forme de confédération de tribus ou de peuplades. Le plus connu dans ce système n’est autre que le grand Aguelid, Massinissa.
Il y eut donc, le premier des cinq fils, appelé Massissen, qui a fondé la tribu et le royaume de Msisna, qui est devenu un simple village dans la wilaya de Béjaia, situé au sud de laSoummam.
En deuxième position, il y a eu Tindens à la tête d’une tribu-royaume dans la région de Fenaïa des actuels Ait Ouaghlis, dans la région de Sidi Aich.
Ensuite, Il y a eu Isaflens, identifié comme chef de la tribu-royaume des Iflissen, connus dans l’histoire pour leur légendaire épée appelée Flyssa, à lame droite, gravée de motifs berbères et au manche en forme de tête d’animal.
Le quatrième fils était appelé Jubalen, probablement en hommage aux célèbres rois amazighes, Juba I & II, rois de la Numidie et de la Maurétanie. Il a été le fondateur du royaume historique des Zouaoua.
Enfin, le dernier des frères eut en partage la dernière tribu-royaume. Il s’agit de Jessalen, qui a occupé les territoires situés plus à l’ouest.
Ces faits sont attestés par de nombreux historiens, dont le Capitaine Ernest Carette, qui a fait une « Exploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842 », et qui a publié un livre sur le sujet à Paris, avec le concours d'une commission académique, en1848. Ibn Khaldoun en a aussi parlé dans son « Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, republié plus tard à Alger, aux éditions Berti en 2003. Deux autres historien se sont intéressés au sujet et ont également publié un livre intéressant en 1872-73. Il s’agit d’Adolphe Hanoteau et Aristide Letourneux. Leur livre est intitulé « La Kabylie et les coutumes kabyles ». On ne peut pas non plus passer sous silence le livre de Amar Boulifa qui a été publié avec un titre évocateur : « Le Djurdjura à travers l'histoire depuis l'Antiquité jusqu'en 1830 : organisation et indépendance des Zouaoua (Grande Kabylie) et ce, en 1925.
Ceci pour dire combien cette histoire en a intéressé plus d’un. Il conviendrait aujourd’hui de la déterrer, après plusieurs décennies passées sous silence, pour permettre aux chercheurs d’abord, puis au grand public de mieux connaître l’histoire de la région. D’autant plus qu’elle est glorieuse et porteuse de grands enseignements. La bravoure de ces tribus a donné naissance au caractère trempé des kabyles, à l’image de celui des autres berbères. Ce qui a fait passer de nombreux mauvais quarts-d’heures à ceux qui se croyaient en terrain conquis dans cette terre de résistance et de victoires. Le mot Kabylie ne serait donc que la version plus récente du nom romain attribué aux cinq tribus les plus combatives de l’Afrique, au moment ou Rome était encore considérée comme le champion du monde.
Nabil Z.
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