Depuis quelques semaines, la Turquie se mêle ouvertement du conflit libyen et a annoncé l’envoi de troupes pour prendre part aux combats opposants l’Est et l’Ouest du pays. Mais quelles conséquences y aura-t-il pour l’identité et la culture berbères ?
Depuis la chute du régime Kadhafi, les libyens ont retrouvé un semblant de liberté, permettant enfin aux berbérophones du pays de pouvoir enfin s’exprimer et s’identifier comme étant de véritables amazighs. La berbérité de la Libye était en cours de restauration, et les écoles comme beaucoup d’organismes culturels ont pu remettre la culture ancestrale libyque à l’ordre du jour.
Mais les beaux jours n’ont pas beaucoup duré. Très vite, le pays est entré dans une guerre civile aux dimensions multiples et qui n’en finit pas. Le pays est aujourd’hui clairement divisé en trois, l’Est, à Benghazi commandé par le Mareshal Haftar, l’Ouest dirigé par le gouvernement de Saraj, et le Sud aux mains de multiples milices aux obédiences changeantes, en fonction des intérêts du moment.
Sur le plan militaire, les troupes du Mareshal Haftar, soutenu par l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats du Golfe, prennent le dessus, et la chute de Tripoli pourrait intervenir très bientôt. Mais le gouvernement de Tripoli est soutenu par « la communauté internationale », notamment par le Qatar et la Turquie, derrière lesquels se cachent l’Union Européenne et l’ONU.
En dehors des enjeux stratégiques liés notamment au Pétrole et aux richesses de la Libye, il y a également les dimensions culturelles et civilisationnelles. Les deux principaux protagonistes se réclament de l’arabité, au détriment de l’amazighité. L’Armée de Faraj se fait appeler l’Armée Arabe Libyenne. Tandis que Haftar qui est né à Syrte comme Kadhafi, a fait avec lui l’Académie Militaire de Benghazi et a participé avec lui au renversement du roi Idris 1er, après avoir fait partie des Officiers Libres de Gamal Abdennaser, leader du panarabisme à l’époque. L’idéologie panarabiste de Haftar n’est donc pas à démontrer.
Les Intrus :
Dans la guerre qui oppose Haftar et Saraj, il y a une forte dimension internationale, ou des pays tiers se mêlent de façon régulière, en procurant des armes et des moyens logistiques considérables. Si l’Égypte est concernée à juste titre à cause de son voisinage avec la Libye, tout comme par exemple, la Tunisie et l’Algérie, il n’en est pas de même avec les pays du Golfe qui se font la guerre par la Libye interposée. Quel serait l’intérêt de l’Arabie Saoudite ou du Qatar dans un conflit interne d’un pays qui se situe à des milliers de kilomètres et qui ne les menace en rien ? Il faudrait se rappeler que ces pays sont des États Théocratiques, d’un côté, mais surtout, des pays qui soutiennent fortement l’idéologie même de l’Arabité. Ils ont largement contribué à détruire la Syrie pour de multiples raisons, mais aussi pour le fait que Bachar El Assad avait déclaré que la Syrie n’était pas arabe, mais Syriaque. La Libye, du moins son peuple, prend progressivement conscience de sa véritable identité berbère, et son éventuel détachement du monde arabe inquiète les états-majors des gouvernements panarabistes. D’où la nécessité de financer et armer des belligérants qui, tous deux, défendent l’arabité de la Libye.
L’intrus turc :
Mais, nous dira-t-on, les turcs ne sont pas arabes. Ni même les ruses d’ailleurs qui ont intégré la problématique libyenne. La Turquie, via l’Empire Ottoman a été la puissance dominatrice de la région, depuis l’Égypte jusqu’à l’Algérie. Et le dictateur actuel d’Ankara ne rêve que de récupérer ces pays perdus à la faveur de la première guerre mondiale qui a vu s’effondrer l’Empire, et les mouvements nationaux de libération. Erdogan a mis tout son poids dans le projet de récupération de l’Afrique du Nord, à commencer par l’Égypte. Il avait beaucoup investi dans les frères musulmans dont il est un des principaux soutiens, et qui ont porté Morsi au pouvoir, se soumettant ainsi à la volonté de l’Empire Ottoman en cours de reconstitution. Mais l’arrivée d’un autre Mareshal, Sissi d’Égypte, a chamboulé tout son programme. Pour le moment, l’Égypte échappe totalement à Erdogan, et les tensions entre les deux pays restent vives.
Qu’importe, en attendant, Erdogan va investir dans la Libye, en soutenant le gouvernement qui lui est favorable. Bien évidemment, sous des prétextes économiques, pétrole oblige. Mais tous savent que le but réel de la Turquie est la récupération de la Libye tout-entière. Dans sa stratégie, il a commencé par ouvrir une porte aux centaines de djihadistes qui n’ont plus d’avenir au Proche-Orient, pour s’installer en Libye et ainsi contribuer à accentuer le désordre qui y règne et ainsi affaiblir le pays pour empêcher toute solution pacifique à la crise. Une fois le pays à genoux, il serait là, avec son armée, pour cueillir le fruit et récupérer le pays voisin de l’Égypte, de la Tunisie et de l’Algérie.
Cette étape qui vise à installer des djihadistes en Libye sera suivie de celle de l’installation des Frères Musulmans au pouvoir, sous contrôle turc ; les Frères Musulmans sont une meilleure image pour la propagande que les Djihadistes qui seront alors envoyés en Tunisie, puis en Algérie et en Égypte, pour renouveler la même expérience.
Les Berbères :
Cette stratégie pourrait très bien marcher si rien ne vient mettre un grain de sable dans la machine. Certes, il y aura les autres puissances, notamment régionales qui s’opposeront au dessein de la Turquie. Mais l’Europe, par exemple, s’est jusque-là montrée incapable de résister aux projets du dictateur d’Ankara. Celui-ci s’est même permis à plusieurs reprises de traiter les dirigeants européens avec des mots très peu diplomatiques. La solution libyenne qu’il va leur proposer consistera à y envoyer tous les migrants qui frappent aux portes de l’Europe et qui sont actuellement retenus en Turquie. Cette solution aura pour avantage de donner une forte contrepartie aux gouvernements européens en lutte contre les vagues migratoires venues d’Asie et d’Afrique. Ainsi, un Eldorado libyen sera miroité aux migrants qui seront ainsi contenus dans l’enfer projeté sous domination islamiste.
Ces flux migratoires ainsi réorientés, auront pour conséquence d’étouffer le réveil identitaire amazigh en Libye. Les berbères vont se retrouver minoritaires dans leur propre pays, passant de la domination panarabiste de Kadhafi à celle Panislamiste d’Erdogan. En réalité, les enjeux se situent à ce niveau-là, et pas sur les plateformes pétrolières. Pour paraphraser Ibn Khaldoun, un peuple arabisé est bientôt mûr pour la dictature. C’est pourquoi il est impératif pour les projets turcs de réduire au silence toute velléité de résurrection de l’identité amazighe. Plus les Libyens – et ensuite les autres- seront arabo-islamisés, plus ils seront faciles à dominer, même si pour sauver les apparences, on leur donne un semblant de liberté. L’Histoire nous le rappelle sans cesse.
Les amazighs de l’ensemble du continent doivent être conscients du danger qui les guette en tournant le dos à leurs frères libyens. Il ne s’agit pas de prendre les armes pour ajouter du feu au feu. Il y a assez de pétrole là-bas pour l’alimenter. Mais un travail intelligent de veille, de soutien, de dénonciation d’alerte de l’opinion publique mondiale devra être fait par les vrais patriotes amazighs. Car si le scénario libyen réussit, ce ne sera plus qu’une question de temps pour que les autres pays tombent.
Ce travail devra essentiellement être mené par des pays comme le Maroc et l’Algérie, dont la conscience amazighe est plus avancée et plus forte. Une des choses à faire est de convaincre les décideurs de ces pays à proclamer ouvertement l’amazighité de leurs peuples et de leurs gouvernements, en barrant la route à la réislamisation et réarabisation du Maghreb, comme le préconise l’actuel président tunisien, déjà à la botte d’Erdogan.
L’abandon du drapeau vert de Kadhafi au profit de l’actuel en Libye, portant le croissant et L’étoile, annonçait déjà le retour de la domination ottomane de ce pays. Le drapeau tunisien ressemble à s’y méprendre à celui de la Turquie, et les murs du Palais Présidentiel de Carthage est tapissé de portraits des beys tunisiens à la solde de la Sublime Porte. Au Maghreb, seul le Maroc ne porte pas ce symbole de la domination idéologique et spirituelle ottomane. Parce que le Maroc n’a jamais été occupé par les prédécesseurs d’Atatürk.
Que les amazighs se réveillent, et qu’ils comprennent que les enjeux sont très importants, et que c’est maintenant qu’il faudra préparer la sécurité de nos enfants.
Nabil Ziani
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