Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'usage de la langue kabyle dans les espaces publics en Algérie était sévèrement contrôlé.
Plusieurs personnes ayant osé écrire, puis présenter des pièces théâtrales dans cette langue se sont retrouvées derrière les barreaux. Mais, depuis la révolution populaire d'Octobre 88, et la libération des médias, cette langue s'est peu à peu remise sur la place publique, avec même certains journaux publiés en Kabyle. Ce qui a encouragé les autres composantes berbérophones à se libérer à leur tour.
Au sein de l'église évangélique algérienne, l'introduction de la langue kabyle ne s'est faite qu’à petits pas. L'essentiel de l'enseignement biblique était donné en français. Les personnes désireuses de prier dans leur langue maternelle éprouvaient des difficultés à s'exprimer, tant le christianisme a été quasiment absent de leur culture. Le choix des mots et des expressions pose encore problème aujourd'hui. D'un côté, la culture "chrétienne" connue en Algérie est directement inspirée du catholicisme. C'est ainsi que, par exemple, on appelle Ramadan, le mois du jeûne musulman: Carême, Dieu est appelé "Bon Dieu", etc...
Les arabisants, quant à eux, ne peuvent s'inspirer, dans un premier temps que de la langue de l'Islam. Dieu est appelé Allah et Jésus, Aissa...
Mais depuis quelques années, une évolution de langage est constatée. Beaucoup de chrétiens évangéliques en Algérie sont kabyles. Une prise de conscience a vu le jour ces derniers temps dans différentes églises, amenant les chrétiens à se poser des questions sur le vocabulaire à utiliser. C'est ainsi que nous entendons encore aujourd'hui, des chrétiens, pour dire Merci à Dieu, utiliser des expressions courantes de type: "Qu'Il te donne la santé", Yaatik essehha. Autrementdit, que Dieu te donne la santé. Egalement, l'expression "Qu'il ait pitié de tes parents", Yerhem waldik a Rebbi, a été utilisée parfois pour également dire merci à Dieu. Aujourd'hui, on utilise de plus en plus le terme "Thanemirth",Merci.
Ces problèmes ont été rencontrés par les traducteurs de la Bible en Kabyle. Parfois, certaines expressions utilisées perdaient complètement leur sens dans le contexte culturel Kabyle. Ainsi, la traduction de l'expression "le Dieu de votre père" peut être perçue comme une insulte extrême, voire un blasphème, dans certaines régions. Les mots tels que Roi, royaume, par exemple sont ignorés de la plupart des kabyles. Seuls les chrétiens les redécouvrent petit à petit. La Gloire, "El Âdhima"expression quasi absente de l'Islam, n'est découverte que dans la le cture de la Bible en kabyle.
C'est ainsi que cette langue quasiment morte, reprend vie en se ré-appropriant des termes et expressions oubliés, et en introduisant un vocabulaire biblique de mieux en mieux accepté dans l'église et dans la société qui en est petit à petit imprégnée. L'Evangile, n'est-il pas basé sur le principe de la résurrection? La langue kabyle, grâce à l’évangile, est entrain de ressusciter.
Mais, parmi tous les mots, les noms et expressions, ceux qui posent le plus de problèmes sont Allah et Aissa.
Allah est le nom donné par l'Islam à Dieu. Du moins, c'est ce que nous avons crus pendant longtemps. Mais avec l'amélioration de la connaissance de la parole de Dieu par les chrétiens kabyles, il est devenu clair que Allah n'est pas une traduction du nom de Dieu, mais tout simplement un autre dieu que celui de la Bible. Il n'est ni Yahvé, ni Elohim. C'est une autre divinité qui tente de prendre la place du Très Haut, tel que dénoncé dans Esaïe 14. Désormais, beaucoup de kabyles utilisent le mot "Illou" (Eloï) tel que connu par les anciens.
De la même manière, les chrétiens en Algérie, arabophones et kabylophones confondus, comprennent de plus en plus qu’Aissa n'est pas Jésus.
C'est aussi une tentative de l'islam d'imposer un autre christ. Aissa est né d'une vierge, Marie, soeur de Moïse et d'Aaron. Enfant, il avait l'habitude de former avec de l'argile des oiseaux, de souffler dessus et de les faire s'envoler. Il a enseigné, guéri les malades, ressuscité des morts. Puis, laissant quelqu'un d'autre être crucifié à sa place, il fut enlevé au ciel. Il reviendra à la fin des temps pour se convertir à l'Islam, et conduire son peuple dans la voie de Mahomet.
Ce n'est donc pas le Jésus de la Bible. C'est une autre personne. Jésus est bien né d'une vierge appelée Marie quelque quinze siècles après Moise et Aaron. Il ne s'agit donc absolument pas de la même Marie. Jésus a fait son premier miracle à l'âge de trente ans, pas avant. Il a effectivement guéri les malades et ressuscité des morts. Son enseignement était tellement puissant qu'il dérangeait les pouvoirs religieux et politiques de son époque. Il a été crucifié (il est venu sur terre pour ça, justement). Il est mort et est ressuscité le troisième jour. Il a été élevé et enlevé au ciel et est assis à la droite du Père. Il reviendra pour juger les vivants et les morts.
Il ne s'agit donc pas du tout de la même personne. C'est pourquoi, les chrétiens kabyles utilisent de plus en plus le mot "Yassoue" à la place d’Aissa pour désigner Jésus, le Fils de Dieu.
L'évolution de la langue kabyle va encore permettre de corriger certaines expressions de type "Sidhi Rebbi", pour dire Dieu mon Seigneur. Or cette expression, traduite en français, donnerais "Mon Seigneur Mon Seigneur". Il s'agit en fait du problème de l'ignorance du nom véritable de Dieu appelé usuellement Allah ou Rabbi.
Avant de finir cet article, j'aimerais aussi signaler le travail merveilleux des chanteurs chrétiens kabyles, qui, au travers de leurs chants, permettent aux uns et aux autres de redécouvrir la richesse de cette langue, longtemps étouffée par l'Islam et l'arabe, dans l'esprit de langue unique de la tour de Babel.
Nabil Z.
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