Quel rôle les anciens libyens, c'est-à-dire les berbères, ont-ils joués dans l’établissement du Christianisme, et comment ont-ils forgé la mentalité occidentale ? C’est à ces questions que Thomas Oden, éminent théologien américain, a tenté de répondre.
Le christianisme libyen ancien est le troisième d'une série de livres sur le christianisme africain ancien du Dr Thomas Oden, professeur émérite de théologie à l'Université Drew aux USA. La publication de lasérie a commencé en 2008 avec la sortie de « How Africa Shaped the Christian Mind » (Comment l’Afrique a forgé la mentalité chrétienne) suivie par « The African Memory of Mark » (La Mémoire africaine de Saint Marc) au début de 2011. En plus d'être le rédacteur en chef de l'Ancient Christian Commentary of Scripture (ACCS), Oden est un auteur prolifique, particulièrement dans le domaine de la théologie, depuis près d'un demi-siècle.
L'objectif d'Oden dans cet ouvrage, poursuivant la thèse de « How Africa Shaped the christian mind», est de faire la lumière sur une région et un domaine négligés des premières études chrétiennes et de montrer la grande influence que le christianisme africain a eu sur le développement de la théologie et de la pratique occidentale. Il écrit : " Le christianisme libyen primitif fournit l'occasion de raconter toute l'histoire du christianisme africain primitif d'un point de vue particulier : la Libye, ses principaux personnages et caractéristiques chrétiens, son histoire intellectuelle, son essor et sa chute ». En utilisant le nom « Libye », l’auteur parle évidemment de toute l’Afrique du Nord, puisque dans l’Antiquité, on appelait ainsi toute la région. Il ajoute : "Sur les milliers de livres sur le christianisme primitif, pas un seul, à ma connaissance, n'a fait l'objet d'un traitement de la Libye sous forme de livre". De plus, en guise d'introduction, Oden soulève de nombreuses questions qui devraient être suivies par les spécialistes en Patristique, en particulier ceux du continent africain.
Dans le chapitre un, Oden lance un appel aux érudits pour qu'ils considèrent la riche histoire chrétienne de la Libye. Ce faisant, il raconte une partie de son propre voyage vers l'histoire chrétienne africaine, qui a commencé par la rédaction de l'ACCS et qui a ensuite donné lieu à des conférences sur le christianisme libyen au séminaire théologique de Dallas et à l'Université islamique Da'wa en Libye. Le présent ouvrage est le fruit de ces deux séries de conférences.
Dans un bref deuxième chapitre, l'auteur passe en revue les récits de l'ancienne Libye dans la Bible, tout en discutant de ses communautés de la diaspora juive et de l'importance de Cyrène en tant que centre d'investigation philosophique. Dans les chapitres 3 et 4, Oden montre le lien significatif entre Cyrène et Jérusalem dans la montée du christianisme ainsi que le rôle clé que les dirigeants chrétiens des Cyrénéens ont joué dans la direction de l'Eglise au premier siècle.
Dans le chapitre 5, Oden présente un résumé des contributions de quelques penseurs libyens avant le fameux Concile de Nice organisé par l’empereur romain Constantin, qui a fait du christianisme la religion officielle de l’Empire. Positivement, cela inclut l'évêque Victor devenu Pape (le premier évêque africain de Rome), Tertullien, Wasilla (Basiledes), et Julius Africanus, que nous avions déjà présenté dans ces mêmes colonnes. D'autre part, Sabellius et Arius (également déjà présenté) venaient tous deux d’Afrique du Nord. Dans le chapitre 6, de loin le plus long de l'ouvrage, l'auteur propose une biographie détaillée de l'un des plus grands évêques de Libye, Synésius de Cyrène (v. 365-413). Faisant des parallèles avec les voyages spirituels d'Ambroise et d'Augustin, Oden relate utilement le parcours de Synésius, sa culture, son éducation, sa conversion, son appel au ministère et sa contribution comme évêque libyen.
Dans les chapitres 7 à 9, s'appuyant sur des sources textuelles et archéologiques, l'auteur résume davantage l'histoire chrétienne de la Libye à Cyrène, en Libye orientale et en Tripolitaine au milieu du VIIe siècle, c'est-à-dire, au moment des invasions arabes. Enfin, au chapitre 10 et dans un bref chapitre de conclusion, Oden revient sur son appel initial à inviter les chrétiens du monde entier (en particulier ceux de l’Afrique du Nord) à s'engager dans l'étude du christianisme libyen ancien.
Parmi les nombreux points forts de ce travail, Oden a réussi à démontrer que l'histoire chrétienne libyenne a beaucoup à offrir pour comprendre l'histoire chrétienne africaine et mondiale. Le travail d'Oden, qui constitue une étude introductive approfondie, offre une nouvelle invitation aux chercheurs à s'engager dans ce domaine d'étude. L'auteur a accompli ceci en partie en racontant l'histoire de dirigeants d'église comme Synésius avec beaucoup de bonheur.
Deuxièmement, comme Oden l'a démontré par l'écriture de cet ouvrage, « discuter du christianisme libyen offre une base pour un dialogue significatif entre chrétiens et musulmans libyens (et africains), bien que certains musulmans aimeraient réprimer cette histoire préislamique et la rejeter comme faisant partie de la Djahilya » commente Ed Smith qui a effectué des recherches de doctorat en Tunisie, qui ont inclus la présentation d'une demi-douzaine de conférences ou d'articles sur le christianisme africain ancien. Sa conclusion était que « La plupart des Maghrébins sont fiers de leur histoire et de leur culture, même de leur passé chrétien. En flânant dans les grandes universités tunisiennes, on trouve des salles de classe et des amphithéâtres portant le nom d'Augustin et de Tertullien. Dans l'ancienne Carthage, lapetite route menant à l'église où Cyprien aurait été enterré s'appelle "rue St Cyprien". Bien que ces noms et ces lieux demeurent - y compris une abondance de preuves archéologiques chrétiennes - l'Afrique du Nord moyenne ne sait rien de son histoire chrétienne » a-t-il ajouté.
Ce travail effectué par l’un des plus éminents théologiens américains est d’un grand apport. Ce qu’on pourrait cependant lui reprocher, c’est le fait d’avoir ignoré la question amazighe. A aucun moment il ne se pose la question de savoir qui sont ces libyens ? Et pour quelles raisons ont-ils ainsi joué ce rôle de premier plan dans l’établissement du christianisme et dans la formation de la mentalité occidentale. Ce qui nous montre qu’un grand travail reste encore à accomplir, et ce serait –pourquoi pas ?- aux berbères eux-mêmes de défendre leur mémoire, leur histoire et leur héritage.
Nabil Z.
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