Après la fin des deux grands royaumes berbères Almoravide et Almohade, on a vu apparaître un nouvel Etat Berbère prospère dans le Maghreb Central : le Royaume des Zianides.
A la chute du royaume Almohade, plusieurs prétendants au trône se font concurrence pour la fondation d’un nouvel Etat pour la domination du Maghreb central. A l’Ouest, les Mérinides occupaient déjà l’actuel Maroc, tandis qu’à l’Est, les Hafsides prenaient de plus en plus d’importance.
La tribu Zénète des U Ziane, également connue sous le nom des Abdoulwadid, originaire des Aurès et ayant fui l’arrivée des Banou Hilal, a obtenu du dirigeant berbère de la dynastie des Almohade, Abdelmoumen, de pouvoir s’installer à l’est du fleuve Moulouya, frontière naturelle entre les actuels Maroc et Algérie. A la chute de cette dynastie, Yaghmouracène U Ziane se révolte contre le califat de Marrakech et fonde un nouveau Califat dont la capitale est Tlemcen, en 1236. Quatre années plus tard, il rejette définitivement son appartenance au royaume des Almohades et devient Emir, affrontant tous ceux qui voulaient récupérer Tlemcen, qu’ils soient Almohades, Mérinides ou Hafsides. En 1248, il a enfin la victoire sur tous ses ennemis et devient le chef d’un Etat fort qu’il consolide, fortifie et développe de manière remarquable.
Yaghmouracène fondateur de la dynastie
Le développement du Maghreb Central prend, sous la direction de Yaghmoracène une dimension étonnante. Il favorise l’agriculture, l’architecture, les sciences et la culture, et son royaume devient prospère et développé. Pour sa sécurité personnelle, craignant les coups bas de son entourage, il engage une garde spéciale constituée de chrétiens, seuls dignes à ses yeux de confiance. D’ailleurs, son armée était constituée de ses frères berbères, auxquels il a associé des kurdes, des andalous et des chrétiens venus le soutenir dans ses guerres incessantes avec les Hafsides de Tunis. Ses courtisans, voulant diminuer de sa puissance morale et de ses capacités personnelles, tentant ainsi de diminuer ses mérites dans la prospérité de son pays, ont engagé des généalogistes qui ont voulu faire remonter les origines de ce nouveau roi au Prophète Mohamed. Signifiant ainsi qu’il a eu un coup de pouce de Dieu à cause de ses prétendues origines arabes.
Mais Yaghmoracène qui ne parlait exclusivement qu’en berbère, bien que connaissant parfaitement la langue arabe, aurait répondu, selon Ibn Khaldoun de la manière suivante : « Nous avons obtenu les biens de ce monde et le pouvoir par nos épées et non par cette ascendance. Quant à son utilité dans l'autre monde, elle dépend de Dieu seul. » Alors que les autres rois et émirs de la région se réclamaient tous plus ou moins de la descendance du Prophète, Yaghmouracène a eu le courage de la rejeter, car mensongère, préférant garder ses racines en terre de Massinissa, et s’en réclamant ouvertement. Il est mort en 1283, laissant à ses descendants un royaume prospère et respecté.
Sur le plan religieux, Ni Yaghmouracen, ni ses descendants n’imposeront une quelconque doctrine religieuse. Le royaume prônait à la fois la liberté et l’humilité. Quand le fondateur de cette dynastie a fait construire un minaret, on a voulu y graver son nom, mais il a préféré une autre inscription : « Issen Rebi », Dieu seul sait. C’est d’ailleurs à son époque que la population, petit à petit, sans que personne ne le leur impose, choisit le rite Malékite, probablement sous l’influence des Medersas que Yaghmouracène a encouragées.
Développement du royaume.
Durant tout le règne des Zianides, le royaume a développé les arts, construit des palais, des bibliothèques, des écoles pour théologiens, fonctionnaires et juristes, des jardins publics, des parcs, et organise l’agriculture, notamment en mettant de l’ordre dans le système d’irrigation, partageant équitablement les ressources hydriques. C’est Yaghmouracène qui a construit le Mechouar, ce palais et cette place centrale qui est devenu l’un des symboles de la ville de Tlemcen. Son nom signifie « Lieu du conseil ». Ce qui montre que ce dirigeant n’avait rien d’un despote. Il favorisait le conseil et la concertation. Il était particulièrement sensible à l’avis des hommes de lettres et des artistes.
Expansion territoriale.
Le frère de Yaghmouracène, connu sous le nom d’Abou Hamou Moussa 1era réussi à consolider le royaume et poussa ses limites jusqu’à Bougie et Constantine, incluant Ténès et Médéa. Durant son règne, le royaume devient encore plus prospère et plus fort.
Les attaques des Mérinides et des Hafsides, tentant de grignoter sur le territoire des Zianides ont été nombreuses. Les alliances avec les Banou Hillal et les Banou Soulayem se sont faites et défaites au grès des circonstances. Ces tribus arabes se mettaient volontairement d’un côté ou d’un autre, selon leurs intérêts du moment. Parfois, ils ont rallié les troupes des Zianides, d’autres fois, ils les ont combattues.
Pour consolider son royaume, Abu Tashfin U Zian a fondé une place forte dans la vallée de la Soummam, appelée Timzizdekt. Une sorte de poste avancé sur les frontières est du territoire. Sa stratégie d’expansion a été contrée à la fois par les Hafisides de Tunis et le roi de Fès au Maroc.
Un autre roi Zianide, né en Espagne accéda au trône vers la fin de la dynastie. Abou Hamou U Zian II a réussi à conforter son pouvoir, mais a dû faire face à des querelles internes opposant les tribus berbères entre elles. Cette situation a emmené les souverains Zianides à se mettre sous la protection des espagnols, surtout que le péril des frères Barberousse approchait. Ces derniers ont conduit en 1518 une expédition pour déloger le roi de Tlemcen et y installer un autre qui leur soit plus favorable, mais se heurtent à une telle résistance que Ishaq, un des frères Barberousse, y périt. Et Tlemcen ne sera prise qu’e 1554 par Salah Raïs. Ce fut la fin du dernier royaume Berbère sur le territoire de l’actuelle Algérie. Un règne qui dura de 1235 à 1554, soit plus de trois siècles.
Le dernier royaume berbère en Algérie
Sur le Maghreb de cette période, trois royaumes berbères se côtoyaient : les Mérinides à l’Ouest, les Zianides au Centre et les Hafsides à l’Est. Des royaumes qui, au lieu de s’unir et s’entraider, ont préféré se faire la guerre, chacun pour étendre son influence et sa domination sur les autres. A un autre niveau, c’est ce qui se passe encore au Maghreb de nos jours, puisque les trois pays, Maroc, Algérie et Tunisie, loin de collaborer pour un développement commun, au mieux se tournent le dos, chacun essayant de profiter de la faiblesse de l’autre et d’exploiter ses difficultés conjoncturelles. Le royaume des Zianides a terminé sa course à l’arrivée des invasions ottomanes. Depuis, sur le territoire algérien d’aujourd’hui, on peine à reconnaître son identité. Peut-être, aurait-on besoin d’un nouveau Yaghmouracène ?
Cependant, le Royaume des Zianides laisse une histoire très élogieuse, que nos élèves ne connaissent pas, car mal ou pas enseignée de façon adéquate, alors que cette partie de notre histoire devrait être un sujet de fierté. Ibn Khaldoun et d’autres historiens ont fait l’éloge de cette dynastie qui a été célèbre pour ses savants et scientifiques, ses hommes d’arts et de lettres, et la discipline qui régnait dans l’administration et l’armée. Le royaume était aussi renommé pour sa tolérance et son ouverture religieuse. Alors que ses souverains étaient musulmans, ils n’hésitaient pas à incorporer les juifs et les chrétiens dans leur administration et dans leur armée. Les juifs étaient même autorisés à construire leurs synagogues et exercer librement leur culte. Sa capitale Tlemcen était considérée par les historiens comme une des villes les plus policées du monde. D’ailleurs, les principales villes de la Méditerranée se hâtèrent de conclure des accords commerciaux avec le Royaume Zianide, à l’instar de Gênes, Pise, Venise, Barcelone, Marseille, ... Les échanges commerciaux furent très fructueux entre ces deux rives de laMéditerranée. Alors que les Zianides vendaient des produits agricoles, des plumes d’autruches et des épices, entre autres, il importait surtout des produits manufacturés ou de la matière première pour développer sa propre industrie, encore artisanale à l’époque. On a compté plus de trois mille marchants chrétiens et négociants juifs en activités au profit de ces échanges commerciaux. Les routes commerciales allaient jusqu’au Soudan, au Niger et à la Maurétanie.
Le Royaume des Zianides dont les limites variaient en fonction des guerres avec les voisins, s’étendait normalement entre la Soummam et la Moulouya, c’est-à-dire entre Tlemcen et Bougie. Il se réclamait ouvertement de la berbérité et a rejeté toute allusion à une éventuelle arabité, assumant ainsi sa culture, ses origines et son identité. Il s’est caractérisé pour son amour pour la liberté de penser à travers l’exercice des arts et de la littérature, ne se mêlait pas des affaires religieuses, léguant cette question aux médersas qui étaient laissées libres de leurs activités et intégraient différentes communautés au sein de sa population.
Ce qui a mis fin a cette formidable histoire est dû à deux facteurs. Le premier externe, représenté par les guerres incessantes avec les royaumes voisins qui n’ont jamais cessé tout au long du règne de cette dynastie. A la chute de Grenade, la politique de l’Espagne à l’égard des pays de l’Afrique du Nord a fortement changé. Les armées de Ferdinand et Isabelle de Castille ou encore Charles Quint ont occupé plusieurs ports comme Oran, Ténès et Bougie. Cela a commencé à sonner le glas des Zianides. Le deuxième facteur est dû à des divisions internes, constitués de querelles intestines entre familles et tribus berbères, fragilisant le royaume et devenant une proie facile pour les envahisseurs qui n’ont pas tardé à pointer du nez et privant le Maghreb de toute forme de liberté durant plusieurs siècles.
Il y a encore certainement beaucoup à dire sur ce royaume et cette dynastie. La vulgarisation des travaux de recherche sur cette période par des historiens, y compris algériens, tarde à venir. Un jour peut-être, verrons-nous organisé, un véritable colloque sur la question suivi d’un vrai programme de vulgarisation, notamment auprès des jeunes et des écoles.
Nabil Z.
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