La littérature est réputée puiser son essence dans l’Histoire et les histoires du passé et du présent. Rares sont les auteurs sérieux, en dehors de ceux de la Science Fiction, qui osent s’aventurer dans le futur. Mais il en existe quand-même quelques-uns qui prennent le risque de jeter leur regard dans le futur pour essayer d’anticiper les événements, aussi précisément que possible.
L’un des écrivains les plus célèbres qui ont osé affronter le futur avec leur plume fut George Orwell qui avait commis un des plus beaux chefs d’œuvre de la littérature moderne avec son célèbre « 1984 ». II avait à son époque imaginé ce qui pouvait se passer dans le monde, des décennies à l’avance. Et il avait largement vu juste. Son esprit d’analyse et sa méthode de travail lui avait permis de devenir le maître en ce domaine.
C’est sur ce chemin que s’est également engouffré Boualem Sansal avec son nouveau titre « 2084 ». Déjà, il a été nominé à la majorité des prix littéraires de la rentrée en France. Cet auteur algérien, lauréat du prix de la francophonie l’année dernière, impressionne par sa vision de l’avenir. Beaucoup partagent son analyse, mais il est le seul à pouvoir la partager au travers de la littérature, en utilisant le genre romanesque. Ce qui en rajoute à son style, puisque cela lui permet de se cacher derrière la créativité littéraire, plutôt que dans l’analyse futurologique.
D’autres auteurs ont décidé de mouiller d’avantage leurs plumes. Il s’agit de quelques rares auteurs qui ont décidé d’utiliser la littérature comme outil d’alerte, par rapport au futur proche. C’est clairement le résultat de leur observation de la réalité présente qui leur a permis de se projeter dans cet avenir proche, en y ajoutant les éléments de littérature qui permettent de susciter l’émotion et emmener le lecteur à adhérer à leur vision. Mais en aucun cas, ils ne se mettent dans la peau du futurologue utilisant les outils scientifiques d’analyse, pour peu que ces derniers existent et leurs soient accessibles.
L’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur est allé en dénicher quelques-uns qui ont ainsi décidé de prendre le risque de partager leurs inquiétudes et leurs angoisses quant au futur immédiat. Le climat général dans le monde est à l’inquiétude, et la littérature, plutôt que d’ouvrir des horizons pour permettre de rêver et de dépasser les angoisses du moment, se met à accompagner les nuages noirs pour en accentuer les effets.
Quatre romanciers
C’est le cas du premier roman du suisse Jonas Lüscher qui vient de sortir « Le Printemps des Barbares » aux éditions Autrement. Il s’agit d’un roman écrit en allemand puis traduit en français, et qui annonce l’arrivée imminente des barbares. Il s’agit d’une horde de richissimes britanniques, sur-consommateurs de cocaïne, et prêt à user de leur argent pour acheter tout et n’importe quoi. Il raconte l’univers des riches et leur vie de luxe qui les mène petit-à-petit à la ruine. Il compare volontiers cet univers à celui qui a aussi mené la Grèce à la faillite. Les symptômes sont les mêmes et le comportement n’a pas tellement changé depuis la crise de 2007 qui avait mené le monde au bord de la ruine. Certes, il y a eu du replâtrage depuis, mais dans l’ensemble, la réforme du système financier mondial reste insuffisante. Ce qui l’élit pour de nouvelles crises dont certaines sont imminentes.
Le deuxième livre a été commis par Alain Fleisher. Il raconte le monde de l’Art. Pour lui, « les plus grands artistes du moment sont des imposteurs, et leur art, une supercherie ». Cela suffit à l’auteur pour entrevoir les prémices ou les symptômes annonçant une crise majeure dans le monde. Ainsi, une œuvre médiocre change de propriétaire, et passe de main en main en prenant de la valeur, pour coûter vingt ou trente fois son prix initial, alors que sa valeur artistique reste basse. Alain Fleisher appelle cela de la crétinisation. Si le héros de son roman qui est l’héritier du plus grand collectionneur d’art du monde, décidait de tout vendre d’un coup, il provoquerait l’effondrement du marché de l’art, et tout le reste suivrait. Serait-il sérieux de prendre le risque de faire dépendre l’économie mondiale de quelques œuvres d’art de valeur douteuse ? « L’art devenu marchandise et son marché sont devenus l’une des plus importantes bulles spéculatives qui produisent des valeurs aussi fictives et éphémères du point de vue économique que du point de vue de l’histoire de l’art. Le trompe-l’oeil élaboré par le marché de l’art qui fait artificiellement grimper la cote et la renommée de certains artistes produit un phénomène de crétinisation du milieu de l’art et du public, et cela au détriment des artistes.» A-t-il déclaré. Les éléments du marché sont tellement liés entre eux, que si cette bulle venait à exploser, elle entrainerait tous les autres avec elle.
C’est entre autres, ce qui a emmené un autre romancier suisse, Martin Suter à imaginer l’effondrement du système bancaire. Se basant en partie sur l’histoire du trader français Jérôme Kerviel qui avait fait perdre à sa banque plusieurs milliards d’Euros, l’auteur de « Montercristo » a imaginé encore pire, en soupçonnant l’Etat helvétique d’être derrière une histoire de fausse monnaie. Si la faillite d’une banque privée en 2007, « Lehmann Brothers » avait déclenché une des plus grandes crises économiques de l’histoire, qu’en serait-il s’il s’agissait de l’effondrement d’une grande banque publique suisse, et quelles seraient ses conséquences sur l’économie mondiale ?
Enfin, Gérard Mordillat reste collé à l’actualité française de cette année, en tournant au ridicule la politique française du moment. Tout au long de son roman, « La Brigade du Rire », l’auteur montre comment le système politique actuel a atteint ses limites. En racontant l’histoire de trois copains qui mènent une vie dure et qui décident de réagir à leur manière, ils montrent comment la politique actuelle risque de mener la société à sa perte. Avec beaucoup d’humour et de sarcasme, ils font défiler les hommes politiques français un à un, en leur affectant des travaux « durs » afin qu’ils goûtent à la vraie vie, s’ils devaient subir les conséquences de leur politique.
Fiction et Futurologie
Les vrais auteurs, capables de produire de vraies histoires avec de vraies visions existent donc, mais sont tellement rares. Certains se prennent au sérieux, tandis que d’autres prennent du bon temps à analyser les faits qui les entourent et en essayant d’imaginer et d’anticiper sur la question. C’est ce que fit il y a à peine quelques années, un autre visionnaire, Jaques Atali, avec ses « conversations du futur », ou il donnait son point de vue sur l’évolution du monde et en essayant de se projeter sur l’avenir en usant d’arguments de toutes sortes, s’appuyant sur les études futurologiques de nombre de scientifiques.
Si nos hommes politiques aimaient lire, nous leur conseillerions de se procurer ces ouvrages pour les aider à anticiper les événements en adoptant les politiques nécessaires. Mais savent-ils au moins lire ? Savent-ils ce qu’un un livre, ce qu’est une œuvre de fiction, un travail de recherche ? Si c’était le cas, ils deviendraient eux-mêmes producteurs d’idées, et non seulement consommateurs de budgets.
Nabil Z.
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