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  • Photo du rédacteurNabil Z.

Le Hirak a-t-il Échoué ?

Après près d’une année depuis sa naissance, le mouvement populaire dit « du 22 février » a besoin de faire son bilan, et analyser lucidement son parcours, pour en comprendre les succès et les échecs.


La récente sortie de Kamel Daoud a beaucoup surpris, et les réactions à son article furent nombreuses. Les réseaux sociaux continuent à en parler, et beaucoup en ont condamné la teneur, si ce n’est pas l’auteur lui-même qui a été fustigé.

Mais qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’on puisse jeter un regard critique sur l’événement majeur de ces douze derniers mois en Algérie, et qui a eu un écho dans le monde entier ? Qu’y a-t-il de surprenant en plus, de ce qu’un journaliste, écrivain, et de surcroit, philosophe, prenne la peine de regarder plus en profondeur les tenants et aboutissants d’un mouvement qui n’appartient à personne en particulier, et qui par définition, est la propriété de tous, accordant à chacun le droit de l’encenser ou de le critiquer ?

Ce mouvement appelé par beaucoup « Hirak », serait-il sacralisé ? Aurait-il déjà atteint un niveau de béatification dogmatique qui interdise quelque réflexion que soit à son sujet ? Rejoindra-t-il les vaches sacrées de la Révolution Algérienne, avec interdiction absolue d’en dire autre chose que ce qui a été décidé en Haut Lieu ?

Succès du Hirak :

En réalité, le « Hirak » a obtenu de grands succès indéniables depuis son déclenchement. Le premier a été celui de fédérer toute la population contre un pouvoir pourri, despotique, prédateur et criminel à bien des égards. En se soulevant ainsi, la population a réussi à vaincre sa peur et à se montrer comme un corps uni qui a fait face à une dictature qui ne disait pas son nom.  Le second succès est sans conteste l’arrêt du processus électoral qui devait porter Bouteflika à un cinquième mandat, envers et contre la volonté populaire, puis d’en obtenir la démission.

Pour une fois, il y a eu un très large consensus sur ce qui écœurait à juste titre le peuple algérien, et qui avait créé un réel fossé entre lui et ses dirigeants. Avec le départ de Bouteflika, le peuple a aussi obtenu le départ de la clique de son entourage, accusée de prédation, et qui avait réussi à se faire détester et rejeter par tous, les opportunistes mis à part.

Mais, en dehors de ces succès, le Hirak n’a-t-il pas aussi eu des échecs ? Même s’il est trop tôt pour trancher cette question, il est évident que, pour le moment, le succès n’est pas encore total. Loin s’en faut. Car pour réussir une révolution, un retournement de situation, il faut réunir des conditions qui sont toujours difficiles à obtenir. Parmi elles, il y a le temps. Et c’est d’ailleurs, le principal défi qui est à retenir, celui de tenir, résister jusqu’à la victoire et durer le temps qu’il faut. Jusqu’où ira ce mouvement, et quel en sera le résultat ?

Les échecs :

Parmi les principaux échecs à retenir de ce mouvement, est celui du nom qu’il n’a pas réussi à se donner. Jusqu’à présent, aucun nom ne se dégage pour le désigner de façon claire et lui donner une identité. Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui ont manqué. De la « Révolution du Sourire » qui en a fait sourire plus d’un, à celui du « Mouvement du 22 Février », seul le « Hirak » a réussit à faire un certain consensus. La Révolution du Sourire a tourné court dès que la répression a commencé au mois de Juin. Des dizaines, sinon des centaines de personnes ont été arrêtées, parfois malmenées dans les commissariats et les fourgons de police, faisant passer aux manifestants l’envie trop rapide de se réjouir d’une victoire non encore acquise.

La Révolution du 22 Février porte en elle une injustice de premier plan. D’abord, parce qu’elle n’a pas commencé le 22 Février, mais le 16 du ce même mois. Elle a commencé à Kherrata puis, quelques jours plus tard, elle s’est poursuivie à Khenchela. Le reste du pays n’a fait qu’emprunter ces portes ouvertes plusieurs jours plus tôt. L’appeler Révolution du 22 Février serait donc une inexactitude spatio-temporelle.

Le nom du Hirak :

Concernant le nom de Hirak, plusieurs observations peuvent être faites. D’abord, ce mot est générique. Il veut dire « mouvement ». Le Mouvement n’est donc pas un qualificatif unique, susceptible de ne désigner que celui de l’Algérie de 2019. Il y en a eu d’autres en Algérie même, depuis celui du 20 Avril 1980, baptisé « Le Printemps Berbère », et qui avait une identité propre, à celui du « Printemps Noir », en passant par la révolte populaire du 5 Octobre 1988. Il y a également eu un Hirak au Maroc, grâce auquel la revendication berbère a fait un bond de géant dans ce pays. Les Printemps dits « Arabes » étaient également des Hiraks, dont le premier a eu lieu en Tunisie. Tout au plus, le « Hirak » représente cette incapacité de ce mouvement de se doter d’une identité propre, dévoilant par la, une de ses faiblesses, à savoir l’absence d’une profondeur philosophique qui tarde à se constituer.

Ainsi, le mal nommé « Hirak » n’a pas réussi à s’identifier et à se donner un contenu réfléchi et revendiqué. Le seul slogan « Tetnehaw Ga3 », vous dégagerez tous, est loin de répondre aux questionnements d’une société qui a jeté toute sa colère sur un système injuste et illégitime. Rien dans le déroulement de ces événements n’indique une remise en question de soi-même, une interrogation sur ses propres comportements, sa propre conception de la vie. Ledit Hirak se contente de revendiquer à juste titre, le départ du Système, sans proposer d’alternative à l’après-système. Et la réaction manifestée à l’égard de l’article de Kamel Daoud montre que ledit Système est en fait ancré dans les mentalités. C’est-à-dire, la répression de la pensée libre, du droit à la réflexion et à la critique. Exactement comme le Système l’a fait depuis toutes ces années. On peut également citer la critique émise à l’égard de Abane Ramdane par un directeur départemental de la culture, et qui lui a valu d’être voué aux gémonies, alors qu’une réponse intelligente aurait suffi à le remettre en place, sans lui dénier le droit à la critique, expression d’une liberté d’opinion. Cette liberté qu’il a voulu exercer l’a mené tout droit en prison. La culture du tabou est encore ancrée dans les mentalités, et le Hirak, semble-t-il, n’est pas prêt à se remettre en question, ni questionner sa mentalité et ses convictions. Or, critiquer Abane est de loin plus intéressant que de l’ignorer comme ce fut le cas depuis l’indépendance. Jamais le chef du FLN n’a été célébré de façon officielle, puisqu’il était considéré, sans le dire tout haut, comme un traitre à la Cause, justifiant ainsi son assassinat par ses propres frères d’armes. Aucune enquête n’a été menée pour faire éclater la vérité sur son exécution, et aucun des responsables de sa liquidation n’a été poursuivi. Le fait de l’avoir critiqué ainsi de manière publique a permis de ressortir son dossier et de le dépoussiérer, le portant ainsi à la connaissance d’un public dont beaucoup n’en ont jamais entendu parler.

Culpabilité collective :

Aujourd’hui, après une année de contestations, le mouvement populaire a clairement identifié ce qu’il ne veut plus, mais peine à dire où il veut aller. Les slogans comme « État Civil et non Militaire » souffre d’un manque de contenu. Abane justement l’avait annoncé lors du Congrès de la Soummam, le congrès structurant de la Guerre de Libération, mais il n’a jamais pu être mis en pratique. Le « Hirak » a besoin de penseurs et de philosophes qui réfléchissent à une alternative crédible à l’actuel Système. Ce n’est pas le rôle des politiques dont l’objectif est de prendre le pouvoir, quitte à garder le même système. Pour cela, le pays a besoin de puiser dans les ressources de son identité, de sa culture et de son histoire, pour en tirer le meilleur. Il faudrait avoir le courage de chercher les causes qui l’ont menées à cette situation pour éviter de retomber dans les mêmes erreurs. La répression des idées et de leurs porteurs a vidé le pays de toute dimension philosophique, installant la prédation comme seul modèle de penser. De fait, le peuple lui-même est tombé dans le piège, permettant à la corruption de s’installer à tous les niveaux de la société. De fait également, chacun est coupable, à des degrés différents, de ce qui est arrivé au pays. Soit en ayant soutenu le Système, soit en s’étant tu par crainte ou par calcul. Car nous avons gardé le silence, alors que le pays agonisait. Bouteflika en son temps, avait offert un voyage à la Mecque à de nombreux intellectuels de l’époque. Ce faisant, il les a mis dans sa poche. Même au sein de l’Université algérienne, la course aux privilèges a soumis la communauté sensée faire avancer les idées, et l’a réduite à devenir une simple clientèle au service du régime en place. Les opposants à cette logique ont été marginalisés et nombre d’entre eux ont dû prendre le chemin de l’exil. Ce qui en reste aujourd’hui porte en elle les séquelles de la flétrissure de sa conscience. Du moins pour une grande part.

Le Hirak est donc coupable de vouloir inconsciemment reproduire le Système avec tous ses travers. Refusant de se regarder en face, il passe son temps à accuser les autres du malheur du pays auquel il a contribué, de façon aussi individuelle que collective. Pourtant, il a montré qu’en se mobilisant, il est capable de changer la donne. Mais il ne faudrait pas se contenter des changements de forme. La véritable révolution consisterait à se débarrasser de tous les obstacles qui ont barré la route à la prospérité du pays aux mille milliards dilapidés.

Les obstacles sont nombreux. Et celui du reniement de son identité, de son histoire et de sa culture est le plus dangereux. Le pays a besoin de récupérer sa véritable identité, en se débarrassant des éléments qui l’ont conduit à se renier et à revendiquer celle des envahisseurs. Ce « Syndrome de Constantine Capitale de la Culture Arabe » en a été le point culminant. Alors que cette ville a été la fière capitale Amazighe du plus grand État de l’Afrique du Nord, elle a été tellement dépouillée de son histoire qu’elle est devenue la risée du monde. Après avoir été la gloire de Tamazgha, pays des Berbères, elle est devenue la servante de son envahisseur, allant jusqu’à renier son identité pour se revêtir de celle de son fossoyeur.

La liberté.

La valeur « Liberté » n’a pas non plus été définie dans Le Mouvement Populaire. Elle s’est cantonnée dans celles de la liberté d’expression et de la presse, oubliant qu’avant d’avoir la liberté de s’exprimer, il faudrait d’abord s’assurer qu’on est libre de penser. Et pour cela, il faudrait faire un long travail de remise en question de soi, et de la culture de l’autocensure qui a gangréné les esprits. La peur du sacré et la crainte de la répression et de la punition ont depuis longtemps restreint l’espace de la liberté de l’esprit. La réaction à l’article de Daoud montre, si besoin est, que même la liberté des autres dérange la mentalité dominante, celle du FLN dont les portes du placard de l’histoire n’arrivent toujours pas à se refermer. Alors qu’elle n’a eu pour objectif que de faire réfléchir. Or comment réfléchir sans liberté ? Toute la question est là. Le peuple de Tamazgha tout-entier souffre de ce manque, sinon absence, de liberté qui lui laisserait une marge suffisante pour y voir clair. Aujourd’hui, il en est encore à reproduire la pensée, les gestes et les comportements de son ravisseur, une sorte de Syndrome de Stockholm, à défaut de celui de Constantine. Pourtant, les ressources philosophiques et intellectuels ne manquent pas dans le pays qui a produit les penseurs qui ont façonné la civilisation occidentale d’aujourd’hui. Tertullien, Cyprien, Augustin, Apulée, Africanus, … Autant de trésors que l’Algérie n’a même pas pu lire, ignorant jusqu’à leur existence.

La liberté est donc la première des priorités. Liberté par rapport au Système et liberté par rapport à soi-même, pour tenter de guérir les profondes blessures et corriger les travers engendrés par tant de siècles d’ignorance, de reniements et de vaines tentatives d’autoprotection contre l’envahissement de sa pensée et de son identité et la prédation contre ses richesses et ses trésors. N’est-il pas temps que des philosophes se lèvent, que des écrivains s’expriment, et que le peuple s’examine ? S’il est trop tôt pour parler de succès ou d’échec de ce mouvement, il n’est jamais trop tard pour se corriger et revenir aux fondamentaux son identité, tels qu’exprimés par des Augustiniens et des Khaldouniens.

Nabil Ziani

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