Alors que l’Algérie surprend le monde par le caractère pacifique des énormes manifestations, on a oublié qu’Alger a connu d’autres manifestations sanglantes. C’était il y a cinquante-sept ans.
En 1962, l’Algérie était sens dessus dessous. Nous sommes à la veille du Cessez-le feu, et les français d’Algérie reprochaient à leur gouvernement de les avoir trahis en reconnaissant le droit des indigènes à leur indépendance. Un bras de fer était engagé entre le Général De Gaulle et les français d’Algérie, suscitant même la révolte de plusieurs généraux français qui se sont soulevés contre leur président. Mais De Gaulle était décidé à ne pas se laisser faire. Et pour cela, il décide d’utiliser tous les moyens.
Dans Le Figaro du Vendredi 23 Mars 1962, soit quatre jours après le Cessez-le feu, le général de Gaulle écrit à son premier ministre, Michel Debré, une brève missive : " Mon cher Premier Ministre, tout doit être fait sur-le-champ pour briser et châtier l'action criminelle des bandes terroristes d'Alger et d'Oran. Pour cela, j'ai, sachez-le, entièrement confiance dans le gouvernement, dans le haut-commissaire de la République et dans les forces de l'ordre. Veuillez le dire aux intéressés. Bien cordialement. Charles de Gaulle. "
« Fortement représentatif du petit peuple des Français d' Algérie, fournissant à l' O.A.S. le gros de ses troupes et de ses commandos, Bab-el-Oued, quartier populaire européen situé à l'Ouest de la capitale, est le foyer de l'insurrection des forces conservatrices qui, pour certaines, en dépit du contexte politique désastreux, continuent à lutter pour la survie de l'Algérie française ; concentrant à ce titre les attaques des forces de l'ordre, ce quartier est soumis, à partir du 23 mars 1962, à un blocus qui durera quatre jours » écrira le Lieutenant-colonel Armand Bénésis de Rotrou.
Dans le cadre de cette opération, Bab el-Oued se voit imposer un couvre-feu de vingt-trois heures sur vingt-quatre au cours duquel sa population de soixante mille âmes dispose d'une heure par jour pour sortir et faire des courses, les forces de l'ordre ne laissant passer le ravitaillement qu'au compte-gouttes.
Le gouverneur d’Alger était bien décidé à écraser la rébellion. Et un groupe de l’OAS décide de passer à l’action pour tenter de briser le blocus. Il ouvre le feu sur une patrouille de l’armée et tue un lieutenant, sept soldats appelés et blessant quinze autres appelés. L'irréparable était commis. Les renforts militaires et de police arrivent. Des milliers de soldats, gendarmes et C.R.S. encerclèrent le quartier. Ils sont soutenus par des blindés, des hélicoptères et des avions de guerre. Des barrages de fils de fer barbelés furent dressés. Bab-el-Oued était isolée du reste du monde… La population est avertie que toute circulation dans les rues, toute présence aux fenêtres et sur les balcons l'exposeront au feu des forces de l'ordre ; en même temps, deux escorteurs d'escadre, le Surcouf et le Maillé-Brézé, avec leurs pièces d'artillerie jumelées de cent vingt-sept millimètres, mouillent à vue en rade d'Alger.
Pendant quatre jours, Bab-el-Oued allait vivre un véritable cauchemar. Pendant quatre jours elle sera isolée du reste du monde, sans ravitaillement et sans soin. Alors, la foule algéroise se pressa devant les fils de fer barbelés qui ceinturaient le quartier et implora le service d'ordre de mettre fin au blocus.
« Bab-el-Oued, la citadelle du pataouète, le quartier de la joie méditerranéenne et de la douceur de vivre, allait subir un terrible châtiment par le fer et par le feu » ajoutera le lieutenant-colonel. « Les premiers chars qui se présentèrent, tirèrent sans discontinuer sur les façades tandis que deux hélicoptères et quatre chasseurs T6 menèrent une vie d'enfer aux tireurs retranchés sur les toits.De toute part les blindés affluaient vomissant leurs nappes de feu et d'acier. Ils écrasaient les voitures en stationnement, montaient sur les trottoirs et éventraient les devantures des magasins.Durant l'assaut, les façades et les terrasses des immeubles sont pilonnées aux obus de trente-sept millimètres et à la mitrailleuse lourde, faisant des victimes et des dégâts dans les habitations. L'historien Jean Monneret précise qu' " à 17 heures, l'Armée de l'Air intervint avec des T6 et mitrailla les immeubles. "
Dans les appartements dévastés, on pleurait les morts et on s'efforçait de soigner les blessés. On soigne ses blessés et on enterre ses cadavres soi-même… Nicolas Loffredo, Maire de Bab-El-Oued témoignera à ce sujet : " Nous sommes intervenus auprès des autorités en faisant remarquer que des bébés étaient en train de mourir. Un officier de gendarmerie me répondit : " Tant mieux ! Plus il en crèvera, mieux ça vaudra ! Il y en aura moins pour nous tirer dessus ". Et comme nous demandions qu'on enlève au moins les morts, il a éclaté : " Vos cadavres, mangez-les ! "
En Métropole cependant, on ignorait ce qu'était réellement Bab-el-Oued. On ignorait que ses habitants étaient tous des ouvriers et de surcroît, les plus pauvres de la terre algérienne. On ignorait que quatre vingt pour cent d'entre eux étaient communistes inscrits au parti et, qu'écœurés par l'attitude du P.C.F, ils avaient tous déchiré leur carte. Pourtant ce sont eux qui fourniront la majeure partie des commandos Delta de l'OAS et c'est parmi eux que se trouveront les plus courageux et les plus tenaces. Pouvait-on, sans faire sourire, les qualifier de nantis et de fascistes ? » ajouta l’auteur de « Monographie sur les faits ayant entraîné le déclin précipité de l'Algérie française ».
Lundi 26 mars des tracts firent leur apparition conviant la population du Grand Alger à se rendre, dès 15h, drapeaux en tête et sans armes à Bab-el-Oued dans le but de tenter d'infléchir le traitement inhumain infligé aux 60.000 habitants de ce quartier. Une foule pacifique d'Européens, y compris des femmes et des enfants, se rend en cortège vers le quartier de Bab-el-Oued pour protester contre son bouclage par l'armée française, en passant par la rue d’Isly. Devant la grande Poste, un détachement de l'armée française, 45 tirailleurs du 4e RT du colonel Goubard, sous le commandement d'un jeune lieutenant kabyle, fait face aux manifestants.
La tension était à son comble quand soudain part une première rafale se fait entendre. Peut-être en riposte à un coup de feu tiré depuis la foule. Pendant 12 minutes, c'est le carnage. L’armée française continuait à tirer sur des civils pacifiques. Le lieutenant kabyle crie : « Halte au feu ! ». Mais rien n'y fait. Le bilan non officiel fait état de quatre-vingts morts et de deux cents blessés.
Le gouvernement français a longtemps évité de parler de cet événement. Il a fallu attendre le 12 septembre 2008 pour que la télévision française consacre enfin une émission à cet événement, dans un documentaire de 52 minutes,Le massacre de la rue d'Isly.
Nabil Z.
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