Un ouvrage publié aux éditions de Paris est passé inaperçu en Algérie. Pourtant, il pose une question essentielle concernant la berbérité actuellement enfouie dans le monde arabe. L’auteur, Lucien Oulahbib est enseignant universitaire, diplômé en sociologie et sciences politiques. Il enseigne aussi bien aux universités de Paris que de Lyon.
La problématique posée dans son ouvrage nous interpelle, en ce que l’auteur pose des questions concrètes et précises. La première est la plus pertinente : Pourquoi éclipse-t-on la civilisation berbère au profit des arabes ?
Pourtant, poursuit-t-il, « L’histoire des peuples berbères, Kabyles, Libyens, Maures, Numides, Gétules, Massyles, Chleuhs, Touareg... a débuté bien avant l’annexion romaine. Le règne de Massinissa et de Massyle n’a rien à envier aux dynasties islamisées maures almoravide et almohade ». Question pertinente en effet, qui nous renvoie à l’Histoire, la notre. Celle-ci demeure encore obscure, en ce qu’elle n’a pas encore été suffisamment creusée par les chercheurs berbères eux-mêmes. Il y a donc encore beaucoup à faire pour amener à la lumière les éléments factuels qui ont fait que nous soyons ce que nous sommes aujourd’hui.
Evoquant les grands personnages de notre histoire, l’auteur rappelle que durant la période antique, l’Afrique du Nord était prospère. Elle a même donné de grands noms à l’Humanité : « les papes Victor Ier, Gelasius Ier, Apulée, ou Fronton maître de Marc-Aurèle, Cyprien, Tertullien, Augustin et tant d’autres ».
La question concernant ce qui nous a amenés à la situation d’aujourd’hui n’a pas été tranchée par Lucien Oulahbib. Mais il a le courage de la poser, en se demandant ce qui s’est passé pour que le statut de Berbéro-Chrétien soit remplacé par celui d’Arabo-Islamique. Dans un commentaire sur son livre, Samir Gharbi pose un terrible constat dans « Jeune Afrique. Il donne des éléments de réflexion que peu ont le courage d’affronter :
La Ligue des Etats Arabes
« Créée le 22 mars 1945, la Ligue des États arabes compte aujourd’hui vingt-deux membres, situés sur deux continents, l’Afrique et l’Asie. Pourvue d’un Conseil économique et de plusieurs comités « permanents » spécialisés, elle a adopté un nombre incalculable de conventions et de protocoles sur la coopération et l’entraide. Sans résultat : les échanges interarabes se maintiennent à un niveau ridicule. À de rares exceptions près, les investissements et les placements de capitaux prennent la direction de l’Europe, de l’Asie ou de l’Amérique du Nord.
Le « monde arabe » existe donc davantage en théorie qu’en pratique. Alors qu’il regroupe 5 % de la population mondiale (autant que les États-Unis), il ne produit chaque année que 2 % du revenu mondial. Son Produit intérieur brut est deux fois inférieur à celui de l’Allemagne, pourtant quatre fois moins peuplée. Le revenu par habitant varie d’un peu plus de 30 000 dollars pour une minorité de privilégiés de la région du Golfe, à moins de 2 000 dollars pour l’écrasante majorité.
Les organisations internationales, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001, ont tenté de comprendre les raisons de ce marasme économique*, d’autant plus difficilement explicable que la région dispose des plus importantes réserves d’hydrocarbures de la planète : 760 milliards de barils de pétrole brut (70 % du total mondial) et 81 000 milliards de m3 de gaz naturel (52 %). En fait, deux grandes richesses, humaines celles-là, font défaut au monde arabe : des systèmes éducatif et sanitaire dignes de ce nom »
Alors, se posent des questions difficiles. Les traiter demande un certain courage et une certaine lucidité. Quel est l’intérêt des pays de l’Afrique du Nord de rester dans le Monde Arabe ? Ce dernier, se regroupe autour de la Ligue des Etats Arabes qui sont encore en train de ronger leur échec. Qu’y a-t-il de commun entre un maghrébin et un saoudien ? Quels liens pourrait-on invoquer pour justifier la présence dans une même institution arabe, un Qatari et un Marocain ? Le Libyen, a-t-il quelque chose en commun avec un Yéménite ?
Un avenir à nouveau glorieux ?
Mais au delà de ces questions, Lucien Oulahbib s’intéresse particulièrement au sort et à l’avenir des berbères en invoquant leur glorieux passé, le comparant avec le ridicule de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. En abandonnant ces racines, sa culture et ses coutumes, il s’est mis sous un joug qui l’a renvoyé vers la période arabe de la Jahiliya. Combien savent en effet, qu’au moment ou les arabes vivaient encore dans ces temps d’ignorance, les berbères avaient déjà produit des géants de la pensée universelle ? Sait-on que Guelma et Carthage abritaient des universités fréquentées par l’élite mondiale de l’époque ? Qui est au courant du foisonnement des idées et des philosophies qu’il y avait dans la région de Cyrène en Libye ? Et qui pourrait rappeler que les philosophes, médecins et scientifiques grecs allaient à Cherchell pour étudier les sciences aux pieds de Juba II ?
Faudrait-il continuer à s’accrocher à l’arabité dépassée par l’Histoire, et ne pas revenir à ce qui a fait de nous une véritable lumière pour les nations ? Il conviendrait que les intellectuels posent cette question, aussi crûment que possible, en se débarrassant des préjugés politiques, idéologiques et religieux. Revenir aux sources nous permettra certainement de nous ré abreuver à une source fraîche, nous désaltérant et nous donnant la force de reprendre notre voyage. Car, à l’instar d’Ait Ibettouten, plus connu sous le nom d’Ibn Battuta, nous pourrons à nouveau faire le tour du monde, et reprendre notre travail de découverte et de création. Depuis l’arrimage de l’Afrique du Nord au Monde Arabe, la source s’est tarie, et plus aucun fruit, à des exceptions près, n’est sorti de Tamazgha.
Jusque là, les politiques invoquent une question de géopolitique et la nécessité de rester unis pour affronter ensemble les défis avenir. Belle confession de foi, si le terrain ne venait pas à démentir le rêve avancé. Car, que reste-t-il du monde arabe ? Sachant de toutes les façons, que cette entité n’existe que dans la forme, puisque l’essentiel de ses membres ne sont même pas arabes, à l’instar du Maghreb et du Proche Orient. Seuls quelques pays peuvent légitimement se revendiquer de l’arabité, comme l’e pays des saoudiens, autrefois appelé Madian, le Yémen et une partie de la Jordanie. Le reste est Chaldéen, Kurde, Assyrien, Phénicien, Berbère, Coushite, etc…
L’Histoire a voulu que des grandes nations comme la Perse et la Turquie n’adhèrent jamais à la Ligue des Etats Arabes. Et pour cause ! Ils ne se revendiquent pas de l’arabité, et ont toujours défendu leur identité. Ils ne sont pas prêts à la troquer contre une autre, pour le moins qu’on puisse dire, loin d’être attirante. En se détachant de l’étiquette « arabe », l’Algérie avait tout fait, au moment des révolutions dites « Printemps Arabe », pour se démarquer de ce monde condamné à s’effondrer. L’on se souvient du slogan adopté par les plus hautes autorités : « Notre Printemps est Algérien ». Les pouvoirs publics ont eu cette sagesse d’anticiper la crise qui frappait à notre porte, pour partager le sort des Etats qui se réclamaient le plus de l’arabité : Irak, Syrie, Yémen, Egypte, le Soudan, la Libye et la Tunisie.
Amalgame religieux
L’autre argument avancé relève du religieux. L’amalgame entre identité ethnique, appartenance géopolitique et adhésion à un système religieux est sidérant. Ne peut-on donc pas appeler un chat, un chat ? Mettre les bons mots pour décrire les situations complexes permet de mieux les comprendre. Le monde arabe se dit donc appartenir à l’Islam. Ce qui n’est pas totalement vrai, puis qu’une partie des pays dits arabes comprennent de larges populations non musulmanes : chrétiens, dreuzes, yézidis, Zoroastriens, etc… Quant aux juifs, set selon Georges Bensoussan, cela fait longtemps qu’ils ont quitté le Monde Arabe, ne s’y sentant plus les bienvenus, malgré leur présence millénaire sur ces terres. De plus, la majorité des musulmans n’ont rien à voir avec le monde arabe. Il suffit de regarder à la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, et l’Indonésie par exemple.
Amalgamer les concepts conduit à entretenir une confusion qui n’a rien de bon. Se revendiquer de sa véritable identité, fruit d’une histoire, d’une culture, d’une pensée et d’une civilisation nous permettrait de récupérer les moyens de notre propre développement, et nous assurerait une porte de sortie avec un espoir renouvelé donnant force et courage à notre peuple. Car avec l’arabité, il faudrait bien se rendre à l’évidence. L’avenir est dans un retour inévitable à la Jahilya.
Reste que des livres comme celui de Lucien Oulahbib ne sont pas légion. Il conviendrait d’encourager la recherche dans ce domaine, et de faire un travail scientifique objectif, permettant un débat de haut niveau et ouvrant des perspectives d’avenir avec une issue à la clé : reprendre notre place dans le concert des civilisations.
Nabil Z.
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