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Photo du rédacteurNabil Z.

Le Mystère Insondable de la Kahina.

Beaucoup d’encre a coulé dans l’histoire et la littérature, pour essayer de percer le mystère de cette reine berbère mythique. Mais jusqu’à présent, personne n’a vraiment réussi à en donner une histoire définitive, tellement les légendes à son sujet sont nombreuses.


Nessrine Naccach, une spécialiste des femmes dans la littérature, a décidé de s’attaquer au mythe de la Kahina, et s’est très vite rendu compte de la complexité du sujet. En effet, les sources documentaires fiables sont rares et l’historiographie de la reine berbère est très variée et dépend surtout du regarde qu’en porte l’écrivain qui décide de disserter sur ce sujet.

Celle qu’on appelle également Dihya « est à comprendre dans sa totalité et ce, à la lumière des données historiques mais aussi dans le miroir des œuvres dans lesquelles elle s’insère » avance Nessrine. Son portrait serait la résultante de la somme de tout ce qui a été imaginé, fait ou dit à son sujet. Il devient donc indispensable, pour essayer d’en cerner les contours, de la « lire-voir dans sa pluralité, à découvrir dans sa multiplication à l’infini, et à saisir dans le pullulement de ces petits inter-non-tra-dits qui nous échappent ».

Quel est son véritable nom ?

Pour commencer au bon endroit, il conviendrait d’abord de connaître le véritable nom de cette femme-légende. Les Berbères l’appellentDihya. Mais elle est également surnommée al-Kāhina ou Kahéna (ce qui signifierait pour les arabes, devineresse ou quasiment sorcière) « en raison de ses dons sybillins », précise Nessrine Naccach. Et de détailler : « On raconte qu’elle prévoit l’avenir à travers ses rêves prémonitoires. On dit, par exemple, qu’elle voit venir la trahison de Yazīd (un otage que certains pensent son fils adoptif et que d’autres considèrent comme son amoureux caché) ». Reprenant les récits légendaires, elle ajoute : « La légende dit que ce dernier−captif mais très bien traité, espionne la reine pour le compte du gouverneur Hassān Ibn N’umān ». Le procédé semble astucieux, mais les rêves de la Kahina vont le dévoiler, augmentant ainsi le prestige de la reine auprès de ses sujets.  « Yazīd écrit une lettre qu’il remet à un messager dans une galette de pain. Le messager à peine parti, la Kahéna, cheveux au vent, effarée, sort et prévient ses fils que leur perte se trouve dans ce que mangent les gens). 

Les données disponibles actuellement, sont un mélange entre histoire et légende. C’est pourquoi Nessrine reste prudente quand elle avance des choses, et prend soin de le préciser quand il le faut. Dihia était donc la Fille d’un certain Thabet, chef de la tribu des Djéraoua. Elle aurait perdu sa mère et son frère dans un incendie. « Reniée−raconte-t-on− par son père qui, à sa naissance, se sent battu et impuissant parce qu’il s’attendait à avoir un garçon et pensait qu’une fille ne peut accéder au trône ». Mais la jeune fille apprend très vite à manier les armes. « On n’en sait pas plus sur sa vie ou la manière dont elle règne » précise Nessrine Naccach. La légende rapporte qu’elle aurait eu un fils avec Koceila, et un autre avec un grec, mais rien n’est sûr. En incluant son fils adoptif, le nombre monterait à trois, selon d’autres sources. 

Avec le temps, le surnom de Kahina a pris le dessus sur celui de Dihia. Et c’est avec ce surnom qu’elle deviendra célèbre. « On pense que « Dihya » vient de « Tacheldit », « belle » en chaoui. Les Berbères l’appellent aussi « Dihya Tadmut » ou « Dihya Tadmay », deux mots qui signifient « gazelle ». Elle serait ainsi, probablement, la « belle gazelle ». En arabe, « dāhiya » veut dire « habile, rusé » ; quant à son surnom « Kahéna », on raconte qu’il serait une dérivation de « kohn, kohen » qui signifie « prêtre » en hébreu et en arabe ».C’est l’origine de sa judéïté supposée. 

Pour Ibn Khaldoun le surnom al-Kāhina lui aurait été donné comme comme conséquence de sa capacité à prédire l’invisible. A sa mort, elle avait 127 ans. Ce qui rappelle curieusement l’âge de Sarah, femme d’Abraham. Mais aurait-elle pu continuer à faira la guerre à cet âge-là, à supposer qu’elle ait vécu aussi longtemps ? Et Nessrine de préciser que malgré cela, on ignore toujours l’année de sa naissance.  « Alors Dihya, Damya, Kahina, 127 ans, païenne, adoratrice de Gurzil, juive ou chrétienne ? Nous ne le saurons peut-être jamais ». 

Si la plupart des écrivains la disent d’une grande beauté, les détails sur son physique se font très rares. « On la dit aux yeux lavande, aux cheveux couleur de miel ». C’était suffisant comme indication pour que les écrivains se lâchent et décrivent leurs phantasmes la concernant. Les descriptions qu’en font certains tendent à insinuer que c’était plus grâce à sa grande beauté qu’à son habilité à porter les armes et ses dons de devineresse qu’elle aurait réussi à séduire les gens qui l’entouraient.  

Femme courage

Ce qui en rajoute à sa légende, c’est qu’elle tient tête aux Omeyyades lors de la conquête musulmane du Maghreb.Et les écrivains arabes ne tarissent pas de sobriquets pour ladiminuer aux yeux des conquérants qui la redoutaient. Le nom de Kahina était devenu célèbre. Synonyme de courage et de résistance, personne n’avait réunssi à lui tenir tête. 

« Kahéna succède à Koçeila, chef des Ourébas (tribus berbères de l’Aurèsoccidental) mort en 688, lors de la bataille de Mammès contre les Omeyyades dirigés par Zohaïr Ibn Qaïs. Chevauchant à la tête de ses armées, elle réunit, sous son commandement, sédentaires (de l’Aurès occidental) et nomades (de l’Aurès oriental dont elle est originaire) et demande main forte à tous les Berbères. Elle mène une bataille d’un bras de fer, dans son fief, sur l’oued Nini appelé « Nahr al-balā’ » (Fleuve des supplices) contre Hassān Ibn Nu’mān. »

Hassan Ibn Nu’man était chargé de la conquête du Maghreb. Il a été l’auteur de nombreux massacres depuis la LMibye, pensant que la prise des terres de l’ouest n’était qu’une formalité. « Celui-ci quitte l’Égypte, en 698, pour chasser les Byzantins et marcher sur Carthage. On raconte qu’à la question de Hassān sur l’ennemi le plus redoutable, on lui avait répondu :  Dihya “Kāhinat el-barbar” (La Kahéna des Berbères). On parle d’une pluie de flèches, de chevaux mais encore de guerriers cachés derrière les chameaux ; c’est ainsi que la reine, rassemblant son peuple sous sa bannière, inflige une défaite aux armées omeyyades et réussit à repousser Hassān Ibn N’umān et ses troupes vers Tripolitaine. C’était la célèbre « bataille des chameaux ». C’est dès lors, semblable à Massinissa ou Jugurtha, que Kahéna règne sur Ifrīqiyā ». 

Cette victoire donne à la reine des ailes, mais craint leur retour. Constatant que la motivation des arabes était l’accaparement des richesses, elle décida de leur couper l’herbe sous les pieds. Plus de richesses à prendre et donc plus de raison de revenir. « Elle applique−pour arrêter ou tout au moins retarder ses adversaires− la stratégie des « terres brûlées ». Une politique désapprouvée par son peuple et qualifiée par certains d’«erreur fatale ». Car même son peule désapprouvait cette méthode.

Affaiblie, Dihya voit sa fin approcher. On ne sait pas vraiment comment elle a terminé, mais c’est la légende qui nous raconte la suite : « tout ce qu’elle a pu faire c’est de conseiller ses fils de s’allier aux Arabes ».

Mort de la légende ?

Le général arabe est en effet revenu, ayant reçu des renforts envoyés par le calife Abd al-Malik Ibn-Marwān, Hassān Ibn N’umān reprend la route et contre-attaque à Tabarqa (en Tunisie), d’autres diront à Tebessa (en Algérie). Et c’est ainsi que finit l’histoire.

Les récits de sa mort, là aussi, varient. Nessrine Naccach en rapport plusieurs variantes :  Soit elle se serait donné la mort par empoisonnement, soit elle aurait été décapitée après avoir été arrêtée. La troisième hypothèse est la plus connue. Elle aurait reçu une flèche mortelle près de Khenchela, puis sa tête aurait été coupée et envoyée comme trophée au Khalife de Damas. Beaucoup d’écrivains ont également fait appel à leur imagination pour raconter différentes autres morts. 

Mais pour beaucoup, la Kahina est restée immortelle. La preuve, c’est qu’on ne cesse de la ressusciter, de raconter sa vie, de la tuer à nouveau pour la retrouver plus loin, sous la plume d’un autre écrivain ou historien. 

« Elle est toujours vivante aussi bien dans le corps des femmes tatouées (dans les pays du Maghreb) que dans les mémoires. Kahéna, n’a pas été oubliée des siens ; elle est aujourd’hui considérée comme le symbole de l’amazighité, figure représentative de l’Histoire comme de l’identité des Amazighs. En Algérie, une statue a été construite au centre-ville de Beghai (à Kenchela) en 2002, par le sculpteur algérien Ali Bouteflika. Une statue qui a été vandalisée en 2016 mais très vite restaurée par des jeunes chaouis pour qui Dihya est plus qu’un simple amas d’acier corten. … Dihya a aimé. Son peuple avant toute chose. Celui qu’elle a réussi à unifier (nomades et sédentaires). Celui qu’elle a défendu pendant trente-cinq longues années (vérité historique ou fiction ?) Elle a aimé. Ses deux fils : Ifran et Yazdia. Un otage : Yazīd. Aujourd’hui, en Afrique du Nord, on se proclame d’elle (l’exemple des féministes). Certains l’appellent Yemma Kahéna (mère en berbère). C’est dire la charge affective qu’elle condense et transmet à des générations qui y voient le symbole de la liberté et l’incarnation d’une femme au destin exceptionnel », conclut Nessrine Naccach.

Nabil Z.

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